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L'Aujourd'hier [III]

Posté par Emrys, 24 septembre 2008 · 1 720 visite(s)

Carmen III : L'Aujourd'hier
Demain, on ne meurt que deux fois



"Comment pouvais-je savoir que ce temps qui avait été le tien et dont j'avais tout oublié serait désormais aussi le mien ?"

Il arrive parfois que nos habitudes s'écroulent en un éclair pendant lequel temps et espace que nous croyons nôtres deviennent subitement autres et se parent de couleurs inconnues.
J'ai cette impression les rares fois que certains crépuscules aux teintes ineffables éblouissent mes yeux, interrogent ma mémoire, semblent la défier et me forcent à me rappeler. Cela nous fait un drôle d'effet de sortir ainsi de la routine pour rejoindre un décor oublié où quelque chose qui ne nous appartient plus vraiment se met à nous parler.
Le reste du temps, tout n'est qu'une mécanique sans surprise sur laquelle nos yeux fatigués se posent négligemment.

Ce jour-là, un vendredi du mois d'octobre, sur cette route, rien d'inhabituel pourtant.
Le temps, je le croyais muet depuis longtemps. Aveugle, je ne remarquai rien des lieux.
Cherchaient-ils à me dire qu'ils allaient être ceux de mon rendez-vous avec toi ?
Je ne le saurai jamais.

Ce soir-là, ce parcours connu de moi dans ses moindres détails, allait me faire faux bond. Un pas de travers peut-être, trop long ou trop court. À moins que ce fût le seul pas droit de cette journée, le seul pas de ma vie dont la mesure fut exacte.

La mesure exacte de toi.

Ce qui est connu demeure croyons-nous sans surprise. C'était le cas de ce trajet entre Saint-Étienne et Le Puy-en-Velay. Il faisait partie de mon univers familier aux balises bien précises, donc sans surprise. Un espace automatique maintes fois parcouru lors de mes déplacements à la filiale anicienne de ma société stéphanoise.

Mes pensées, elles aussi automates suspendus à un jeu de ficelles bien réglées, s'abandonnaient à leurs douces habitudes : le sourire de Nathalie, l'ombrelle en dentelle que j'allais lui ramener du Puy pour lui en faire la surprise, les rires de nos deux enfants, nos projets pour le week-end, les achats pour la semaine...
Perdu dans mes songes dans lesquels je retrouvais le confort d'une vie bien remplie, pleine d'amour, de réussite et de bonheur tranquille, je me surpris à sourire à un présent aimé que je croyais être le mien, à un passé peuplé d'êtres chers à mon cœur. Enfin je croyais.

Mais toi où étais-tu ? Pourquoi t'avais-je oubliée ? Pourquoi avais-tu choisi précisément ce jour-là pour notre rencontre à nouveau ?

Sans doute mon esprit était-il trop occupé pour être très attentif à cette route bien connue de moi dans ses moindres détails, ses lignes blanches, ses zones de dépassement alterné. Rien n'est surprenant quand on sait...

Les moindres détails.

Un pas de travers.
Ce camion espagnol devant moi. Il ne roulait pas assez vite. Pas question qu'il ralentisse la course de ma Chrysler, ma course vers toi. J'étais pressé de rentrer chez moi. Sûr de mon droit je me lançai, sollicitant la totale puissance du moteur de mon bolide. À peine le temps de réaliser mon erreur qui n'en fut peut-être pas une, je vis les yeux écarquillés d'horreur d'un inconnu ahuri. L'expression sans doute un peu imbécile que nous avons tous face à la mort imminente et brutale qui nous prend par surprise.

À peine le temps de penser...

Nathalie, les enfants !

Puis le vide...
...
C'est bizarre cette sensation d'être encore vivant alors lorsqu'on est presque mort.
Le vide se remplit lentement d'une vie au goût de sang et de fer...
L'âcre goût de métal liquide dans la bouche.
Des douleurs lointaines comme étrangères dont on perd le détail et le sens.

Je savais confusément que j'avais mal. Il m'aurait été difficile de dire où.

J'entendais des voix ; les secours sans doute :

- Ces deux-là sont morts... Lui est encore vivant... Faites vite !

Surpris. Je te vis alors, incertaine. Tu étais là, près de moi et tu me regardais avec tes grands yeux. Tu souriais. Et ton sourire fut ma nouvelle route.

-
Il est vraiment mal en point !...

Peu à peu les traits de ton visage se précisèrent, ma mémoire les dessina enfin dans les moindres détails.

Que faisais-tu là, toi la petite inconnue que j'avais oubliée ? Il y avait si longtemps. J'avais vingt ans. J'étais étudiant. J'étais insouciant. Je me souvins un court instant de cette petite église du bout du monde et de toi couchée près de l'autel.

Pourquoi étais-tu sortie de ma mémoire ? Pourquoi revenais-tu justement maintenant ?
Tu me souriais encore de tes grands yeux. Ô tes yeux ! Ô ce
crépuscule aux couleurs ineffables !

- On a tenté l'impossible. C'est fini !

Je te rejoins Abigaël !




Une fiction certes, mais dont certains aspects trouvent leur inspiration dans le réel, comme d'habitude

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