A onze ans à l'école, j'avais très peu d'ami. Au moins il y avait Frank;
il semblait être le seul à m'apprécier et à reconnaître l'originalité
naissante de mon esprit. J'arrivais souvent à le faire rire. En imagination
je compensais assez largement ce que j'étais incapable de réaliser en vrai.
Et en vrai j'étais toujours soit le plus jeune, soit le plus petit, le plus faible
ou le plus maladroit.
Mais il y avait dans cette école, un autre moi-même, en pire. Très effacé,
pleurnichard. Tandis que moi je passais le plus souvent inaperçu, lui était
raillé en quasi-permanence. Nous n'avions entre nous aucun rapport,
sauf que je participais parfois aux histoires honteuses que l'on élaborait
à son sujet. J'éprouvais ainsi un plaisir particulier à m'attacher enfin au
groupe, moi aussi.
Sortant un jour de l'école avec Frank, je m'efforçais de le faire rire par
quelques histoires de mon invention où j'étais un grand héros. Sur le
chemin, il y avait un petit terrain d'accès libre, jouxtant une maison, où
nous rencontrâmes Elblin. Nous n'étions que tous les trois, lui, Frank et
moi. Continuant ma dernière histoire dont j'étais le héros, je m'en pris à
Elblin, trouvant je ne sais quel reproche à lui faire. Je me mis à le
bousculer et alors qu'il reculait, je lui envoyai un coup et m'approchant
encore, je le poussai des deux mains en passant ma jambe en crochet
derrière lui. Il tomba en arrière et sembla se faire assez mal. Je me sentis
bien, j'avais réussi ce dont au début, étant si peu expérimenté, je n'étais
pas sûr de réussir. Nous le laissâmes enfin.
Ah Elblin, qu'es-tu devenu aujourd'hui, toi mon frère, mon double, mon
autre moi-même ? Combien de victimes innocentes m'a-t-il fallu pour humilier
définitivement cette image de moi ? Aujourd'hui, si tu n'as pas définitivement
sombré, tu es certainement un homme heureux !

Plus Faible Que Moi
Started by Goldmund, Aug 27 2006 10:44 AM
1 reply to this topic
#1
Posted 27 August 2006 - 10:44 AM
#2
Posted 28 August 2006 - 07:49 AM
Vois-tu, Goldmund, en tant que moralisateur, amateur de La Rochefoucault, Sade, Proust et Char, je lis ton récit, le peu de cas qu'on en a fait, la rapportant à ma propre expérience (ce qu'on fait toujours, n'est-ce pas ?) et je me dis :
Ce texte est bien écrit. Pas d'excès de moralisation, un récit bref bien balancé, équilibré, pourtant quelque chose ne passe pas. Il tient peut-être trop du témoignage, ne déplace pas suffisamment la matière (ta vie, je sais bien) vers le domaine de la pensée.
Bizarre chose en les structures mentales : la pensée vient par l'émotion. L'émotion nait dans la pensée.
Tout y est, sauf la dimension abyssale. Puissant moraliste, La Rochefoucault d'un doigt touchait le mondain, le frivole ; de l'autre caressait l'abîme, la folie.
Un lecteur,
Serioscal Agravé.
Ce texte est bien écrit. Pas d'excès de moralisation, un récit bref bien balancé, équilibré, pourtant quelque chose ne passe pas. Il tient peut-être trop du témoignage, ne déplace pas suffisamment la matière (ta vie, je sais bien) vers le domaine de la pensée.
Bizarre chose en les structures mentales : la pensée vient par l'émotion. L'émotion nait dans la pensée.
Tout y est, sauf la dimension abyssale. Puissant moraliste, La Rochefoucault d'un doigt touchait le mondain, le frivole ; de l'autre caressait l'abîme, la folie.
Un lecteur,
Serioscal Agravé.
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