C’était à cause d’une lettre. Elle était arrivée le matin. Maman l’a mise au-dessus de la casserole d’eau pour les pâtes où sortait la vapeur. Elle avait dit à Fleur qu’ainsi on pouvait ouvrir les enveloppes sans les abîmer, puis les refermer ensuite avec un peu de colle. De cette manière on ne pouvait se douter que quelqu’un les avait lues avant, les lettres. Et là, elle le faisait parce que c’était écrit « urgent » sur l’enveloppe.
Sa mère lut la feuille remplie d’une écriture bleue violette. Ses sourcils ont fait un V au milieu. Elle avait l’air renfrogné du chien de Cendrine quand il aboyait au passage des gens devant sa maison. (C’est normal puisque c’est un chien de garde, un berger allemand. Mais il est gentil avec elle, quand Fleur vient en visite chez son amie parce qu’il la connaît, elle.)
Maman lâcha brusquement un « Non ! », comme ceux qu’elle lui adressait quand elle lui refusait quelque chose. C’est que les petites filles ça ne sait pas tout, et forcément elles font des bêtises si elles touchent aux choses dangereuses des grandes personnes…
Fleur prit peur à l’entendre.
Elle dit à sa mère :
«─ C’est quoi ? C’est grave ?
─ Cela ne te regarde pas. Et puis, va mettre la table ! »
Retenant un gros sanglot, la petite fille ouvrit le tiroir à couverts du buffet à côté de la cuisinière.
***
Quand son mari rentra, le soir, la mère de Fleur s’assit dans le fauteuil devant lui au salon. Il venait de ramasser son courrier et ouvrait la lettre à l’écriture violette que sa femme avait soigneusement recollée ce matin.
─ C’est quoi ? fit-elle comme si de rien n’était.
─ Hein ?
─ Cette lettre…
─ Oh, ça ! Des nouvelles d’un ami de l’Armée.
─ Un ami de l’Armée… Du service militaire, c’est ça ?
─ Oui.
─ …
─ Mais qu’est-ce que tu as. On dirait que tu es fâchée. Cela te gêne que je reçoive des lettres de mes amis ? Tu ne vas pas être jalouse d’eux, quand même !
─ Non, pas d’eux et tu le sais…
─ Que veux-tu dire ?
─ Que tu mens. Ce n’est pas une lettre d’un ami de l’Armée. Et ça ne serait pas écrit « urgent » sur l’enveloppe, si c’était le cas.
─ Quoi ! Tu l’as ouverte ? Tu l’as lue ?...
─ Si tu veux tout savoir, oui. Et je sais tout.
─ Mais…
A ce moment-là, entra dans la pièce leur petite fille, toute endormie dans son pyjama à marguerites, suçant son pouce, sa peluche, un petit âne aussi bleu que ses yeux sous ses bouclettes blondes, sous le bras.
─ Maman, Papa, je suis prête.
Confus, les parents la regardèrent et se levèrent pour la coucher.
***
Une grande partie de la nuit, ils ont parlé et Fleur les entendait. Elle ne comprenait pas bien ce qu’ils se disaient. Ils parlaient haut avec gémissements et pleurs de la part de sa mère, et plus tard… des cris de son père.
─ C’est le mari de ta maîtresse, cet homme de la lettre. Il te dit de tout arrêter… Tu vas payer pour ça !
─ Mais calme-toi, voyons !
─ Non, pas ça ! Tu es folle…
C’était si fort que les voisins du dessous ont frappé des coups qui résonnaient jusque dans la chambre de Fleur.
Elle serrait son petit âne contre son cœur, affolée, désespérée d’entendre ses parents se déchirer pour des choses qu’elle ne comprenait pas. « Maîtresse » ? Son père aurait une maîtresse comme elle à l’école... Elle se mit à crier de toutes ses forces : « Arrêtez ! ».
Soudainement, le silence se fit dans la chambre d’à côté.
***
Le lendemain, un dimanche, l’enfant se leva timidement, encore toute déboussolée par les événements de la nuit. C’est à peine si elle osa ouvrir la porte pour rejoindre ses parents pour le petit déjeuner à la cuisine.
Habituellement, elle était heureuse de le prendre avec tous les deux, car, ce jour-là, Papa n’allait pas au travail. Il y aurait des croissants tout frais comme tous les dimanches. Papa les aurait rapportés de la boulangerie avec son journal. Elle tremperait son croissant dans le chocolat fumant. Hum ! C’est si bon un petit déjeuner en famille !
Mais, ce matin, il n’y avait pas de croissant.
Papa était là, hagard, dans la cuisine, dans sa robe de chambre. Elle ne lui connaissait que celle-ci toute rayée bleu marine et rouge. Mais là, elle était, de la taille vers le bas, tout en lambeaux !
Elle ne comprit pas ce qui c’était passé. Plus tard, quand elle devint grande, elle sut… Sa mère avait pris un couteau dans la cuisine, celui dont son père se servait pour découper le gigot d’agneau quand ils recevaient des gens à manger les jours festifs. Elle était retournée dans leur chambre avec.
C’était un peu avant que Fleur criât. Son cri avait paralysé le geste de sa mère au moment de pointer plus haut le couteau, après avoir lacéré la robe de chambre de son mari qui s’écartait pour esquiver les coups…
Maman n’était pas dans la cuisine. Seul Papa buvait son café.
─ Tu ne m’en veux pas, Fleur, pour les croissants et… cette nuit ? dit-il en reposant sa tasse.
─ Non, Papa. Où est Maman ?
─ Elle dort encore. Elle est très fatiguée…
─ Elle est plus fâchée ?
─ Non, Fleur. Son père esquissa un sourire.
Il se leva et l’a prise par la main et se rassit à sa place. Il la tenait sur ses genoux et l’embrassa sur le front.
─ Tu sais… merci, Fleur ! Lui dit-il tout bas.
─ Pour quoi, Papa ?
─ Pour avoir crié cette nuit, ma chérie…
La porte de la cuisine s’ouvrit. La mère de Fleur entra et se jeta dans les bras de la petite fille et de son mari. Elle répéta à son enfant ce que son père venait de lui dire : « Merci, Fleur! ».