Posted 02 April 2005 - 09:42 PM
NON, NON ET NON !
A l’approche du scrutin, le résultat du référendum sur la constitution européenne s’avère de plus en plus indécis. Rendue possible par la dissidence au sein du Parti Socialiste de Laurent Fabius, puis d’autres, la victoire éventuelle du non ouvre des perspectives inimaginables depuis trois décennies, dont celles, pas des moindres, de pouvoir porter un coup majeur à la construction européenne et mettre à la retraite une partie de la classe politique actuelle.
En effet, jusqu’ici, toutes les voix discordantes étaient systématiquement disqualifiées, supportées essentiellement par des partis considérés comme extrémistes. Elles étaient amalgamées à des positions rétrogrades, nationalistes, réactionnaires. De fait, une chape de plomb idéologique s’était abattue sur l’ensemble du processus de la construction européenne, qui reléguait le questionnement sur son bien fondé aux marges du discours politique.
Pendant tout ce temps, cependant, le fossé n’a cessé de se creuser entre le discours catastrophiste appelant l’Europe comme unique alternative à l’apocalypse nationaliste et la réalité crue vécue par les populations.
La dégradation des pouvoirs d’achat et de la qualité de vie a encore accentué ce hiatus, au point que les populations des pays fondateurs ne font plus que constater amèrement le déséquilibre entre les sacrifices consentis à la construction de l’Europe et les avantages reçus en retour. Surtout, ces populations perçoivent de plus en plus clairement que leur pouvoir, déjà restreint aujourd’hui, ne sera plus rien demain, leurs voix dissoutes et intégrées dans une entité supranationale soumise à des contraintes mondiales.
La question fondamentale n’est ni celle de la Turquie, ni celle du libéralisme. Elle est celle de la fin de l’Etat-nation, décentralisé au profit des régions et des pouvoirs identitaires, et géré en fonction des logiques économiques du marché européen. Elle est celle de la fin de la politique, celle-ci se subordonnant désormais à l’économie. Celle d’un Etat gestionnaire froid, dépourvu de Nation.
Car la seule intégration possible de vingt-cinq Etats et autant de langues, de coutumes, de cultures est économique, et ce ne sont pas quelques manifestations communes contre la guerre en Irak qui démentent cette solide évidence. La perte de souveraineté à l’échelle de la France n’est pas grand-chose si cette souveraineté des peuples est capable de s’exprimer à un échelon plus élevé.
Or rien dans la constitution ne nous certifie que ce sera le cas lorsque nous aurons terminé de transférer notre souveraineté à une entité politique reposant sur la monnaie unique, la BCE et le pacte de stabilité assoupli. Pour faire un peuple, qui se dote d’une constitution, il faut autre chose que la nécessité capitaliste d’un marché libre. Pourtant, ceux qui appellent comme des forcenés à voter oui à la constitution ne font pas autre chose qu’espérer construire une « nation » européenne fondée sur un immense marché libre-échangiste.
C’est qu’une telle perte de souveraineté, qui signifie la fin pure et simple de la politique et l’entrée dans l’ère véritable de la dictature économique, soutenue contre la volonté populaire par la violence sécuritaire et le matraquage propagandiste, est tout simplement inacceptable pour tout citoyen conscient des enjeux et jaloux de son pouvoir démocratique de décider des destinées de la collectivité dans laquelle il s’inscrit.
Voilà pourquoi il faut, encore et encore, se mobiliser en faveur du Non au référendum sur la constitution européenne. Il est encore possible d’enrayer la folle machine européenne à écraser les peuples et à dissoudre les cultures.
Non, car l’Europe ouvre un horizon de guerre sociale, de dictature économique, d’espace sécuritaire.
Non, car l’Europe annonce la mort du politique, la fin de la démocratie représentative, le libéralisme triomphant.
Non, car cette Europe n’est pas destinée à être, ne sera pas un contrepoids stratégique aux Etats-Unis dans un monde multipolaire, mais un interlocuteur unique facile à influencer en jouant sur ses divisions, qui sera voué à une soumission aveugle à son allié (sic) américain, là où jusqu’alors celui-ci devait composer difficilement avec des volontés politiques différentes.
Benjamin Menasce.