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Anna de Noailles & jaal ...
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Un soir d'été
Une tendre langueur s'étire dans l'espace ;
Sens-tu monter vers toi l'odeur de l'herbe lasse ?
Sous ce linceuil de rosée la couvrant de ses audaces
Une subtile mélancolie s'effaçe au vent des préfaces
Ce vent mouillé du soir attriste le jardin ;
L'eau frissonne et s'écaille aux vagues du bassin
Harmonieuses dans une danse qui semble sans fin
La brume s'entoure de chaque chose d'un pas succint
Et ces choses ont l'air d'être toutes peureuses ;
Une étrange saveur vient des tiges juteuses.
La sève s'écoule de cette plaie lente et douloureuse
Sur le bras, elle ruissèle en courbes sinueuses.
Ta main retient la mienne, et pourtant tu sens bien
Que le mal de mon rêve et la douceur du tien
Nous ont fait brusquement étrangers l'un à l'autre ;
Quel coeur inconscient et faible que le nôtre,
La soirée en silence, avance sur ce faible constat,
La nature faillit, après avoir creusé et posé sa croix
Les feuilles qui jouaient dans les arbres ont froid
Vois-les se replier et trembler, l'ombre croît...
En bris de pétales explosant de milles flammes
Quand le prédateur sur une proie, s'acharne
Ces fleurs ont un parfum aigu comme une lame...
Le douloureux passé se lève dans mon âme,
Et nous rappelle, sans en avoir plus guère le choix
Souvenir d'une saison fade, pleine de vides aux abois
Et des fantômes chers marchent autour de toi.
L'hiver était meilleur, il me semble ; pourquoi
Les saisons défilèrent, dans le reste d'une caresse
Résonne encore, quelques instants d'allégresse
Faut-il que le printemps incessamment renaisse ?
Comme elle sera simple et brève, la jeunesse !...
En équilibre sur l'aiguille des heures semble si vain
Rien n'est de le regarder s'échoir, quand il s'éteint
Tout l'amour que l'on veut ne tient pas dans les mains ;
Il en reste toujours aux closes du chemin.
Et de froid, à voir poustillons que l'on tousse
Temps il est, de laisser ce lieu fuir à nos trousses
Viens, rentrons dans le calme obscur des chambres douces ;
Tu vois comme l'été durement nous repousse ;
Si nous avançions ce soir un peu dans les aveux
Nous ne resterions ensemble, bien malheureux
Là-bas nous trouverons un peu de paix tous deux.
- Mais l'odeur de l'été reste dans tes cheveux
Quand ces sentiments amoureux nous assiste,
Et de même, si les souvenirs nous résistent,
Et la langueur du jour en mon âme persiste :
Où pourrions-nous aller pour nous sentir moins tristes ?...
...
Anna de Noailles (1876 - 1933)
Anna de Noailles & jaal ...
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Un soir d'été
Une tendre langueur s'étire dans l'espace ;
Sens-tu monter vers toi l'odeur de l'herbe lasse ?
Sous ce linceuil de rosée la couvrant de ses audaces
Une subtile mélancolie s'effaçe au vent des préfaces
Ce vent mouillé du soir attriste le jardin ;
L'eau frissonne et s'écaille aux vagues du bassin
Harmonieuses dans une danse qui semble sans fin
La brume s'entoure de chaque chose d'un pas succint
Et ces choses ont l'air d'être toutes peureuses ;
Une étrange saveur vient des tiges juteuses.
La sève s'écoule de cette plaie lente et douloureuse
Sur le bras, elle ruissèle en courbes sinueuses.
Ta main retient la mienne, et pourtant tu sens bien
Que le mal de mon rêve et la douceur du tien
Nous ont fait brusquement étrangers l'un à l'autre ;
Quel coeur inconscient et faible que le nôtre,
La soirée en silence, avance sur ce faible constat,
La nature faillit, après avoir creusé et posé sa croix
Les feuilles qui jouaient dans les arbres ont froid
Vois-les se replier et trembler, l'ombre croît...
En bris de pétales explosant de milles flammes
Quand le prédateur sur une proie, s'acharne
Ces fleurs ont un parfum aigu comme une lame...
Le douloureux passé se lève dans mon âme,
Et nous rappelle, sans en avoir plus guère le choix
Souvenir d'une saison fade, pleine de vides aux abois
Et des fantômes chers marchent autour de toi.
L'hiver était meilleur, il me semble ; pourquoi
Les saisons défilèrent, dans le reste d'une caresse
Résonne encore, quelques instants d'allégresse
Faut-il que le printemps incessamment renaisse ?
Comme elle sera simple et brève, la jeunesse !...
En équilibre sur l'aiguille des heures semble si vain
Rien n'est de le regarder s'échoir, quand il s'éteint
Tout l'amour que l'on veut ne tient pas dans les mains ;
Il en reste toujours aux closes du chemin.
Et de froid, à voir poustillons que l'on tousse
Temps il est, de laisser ce lieu fuir à nos trousses
Viens, rentrons dans le calme obscur des chambres douces ;
Tu vois comme l'été durement nous repousse ;
Si nous avançions ce soir un peu dans les aveux
Nous ne resterions ensemble, bien malheureux
Là-bas nous trouverons un peu de paix tous deux.
- Mais l'odeur de l'été reste dans tes cheveux
Quand ces sentiments amoureux nous assiste,
Et de même, si les souvenirs nous résistent,
Et la langueur du jour en mon âme persiste :
Où pourrions-nous aller pour nous sentir moins tristes ?...
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Anna de Noailles (1876 - 1933)