La lettre au Père Noël
Le rouge intense, l’or resplendissant, le bleu profond des boules de Noël rivalisent de flamboiements avec les fils de la vierge festonnant les meubles ou punaisés aux murs de la chambre. Les vitres sont voilées de buée ; le poêle ronronne dans la cheminée, mais la chaleur excessive n’est pas la seule cause de la transpiration qui emperle mon front soucieux.
Penché sur la minuscule table d’enfant, tirant un petit bout de langue appliqué tant est grande ma concentration, je peine sur une feuille de papier jauni extraite d’un cahier de brouillon, et que ma cousine vient de rénover à grands coups de gomme. Le papier garde les stigmates de cette énergique récupération : il est un peu froissé, et l’on y voit encore les traces affadies de fantômes de mots…
Ma cousine Annie, âgée de sept ans, a décidé de me faire écrire ma lettre de commande au Père Noël… Pénétrée du rôle de maîtresse d’école, qu’elle a tenu à mes dépens tout l’après–midi, elle entend bien superviser sévèrement cette importante formalité saisonnière !
Je ne suis pas très fier, car je dois justifier les éloges que ma mère m’a imprudemment décernés, quelques minutes plus tôt, devant mes tantes assemblées dans le salon voisin autour de leurs tasses de café. Pensez donc ! Entré au cours préparatoire en septembre, je sais déjà lire à la mi–décembre !... Ma mère a raconté avantageusement comment, à la surprise générale des voyageurs de la SNCF, j’ai su déchiffrer sans erreur – et presque sans hésitation – le panneau annonçant la gare de PONT–CAR–DI–NET ! J’ai modestement plongé le nez dans mon bol de chocolat, sous les « c’est bien, ça ! » appuyés de mes tantes admiratives…
Mais maintenant, devant l’implacable cousine, toute bouffie de la gloire des grands qui sont en dixième, il va falloir que je confirme mes précoces talents littéraires.
– Eh bien, vas–y ! Commence… ordonne–t–elle avec un léger agacement.
– Euh… j’écris quoi ? hasardé–je, piteux.
– Eh bien, marque déjà « cher Père Noël », lance–t–elle, les yeux au ciel, excédée par l’ignorance de son benêt de cousin.
Je gribouille laborieusement quelques lettres qui, avec beaucoup d’imagination – et un peu d’indulgence –, pourraient s’apparenter à la suscription suggérée.
Submergé par les problèmes de forme, je me résous à une totale sobriété du fond, dans laquelle le souci de ménager le budget familial n’a que peu de place. Je limiterai mes appétits ludiques au strict minimum : un seul jouet suffira pour cette année. J’écarte délibérément l’étincelant harmonica Hohner que je convoitais tant, l’étourdissante panoplie de prestidigitateur qui me faisait rêver, et les fascinantes voitures de chez Dinky Toys devant lesquelles, pourtant, je bavais naguère d’une admiration sans bornes : tous ces jouets aux noms compliqués, pleins de « k », de « y », et d’autres lettres étranges que je ne maîtrise pas vraiment, me paraissent désormais d’un orgueil tout à fait déplacé… En revanche, le monopoli me plaît bien… Pour être franc, je ne sais pas très exactement ce que c’est, mais mes frères et sœurs aînés en font grand cas. J’imagine mal qu’ils puissent se tromper.
Et puis, surtout, mo-no-po-li, ça, je suis certain de savoir l'écrire…
Jakolarime © 12 avril 2005
La Lettre Au Père Noël
Started by Jakolarime, Dec 23 2006 12:21 AM
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