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#360953 Haikus D'hiver

Posted by Jakolarime on 02 December 2006 - 03:35 PM in Salon de publication principal

Citation (Alba @ Nov 28 2006, 01:19 PM) <{POST_SNAPBACK}>
pourtant, je n'aurai pas décomposé comme ça dry.gif
mais tant pis s'il est joli, j'y reviens pas
bizz

Et vous avez mille fois raison... : "lumière" ne se diérèse pas plus que "glaciale", et votre compte de syllabes est exact.
De plus, j'ai trouvé vos haïkus très plaisants, et tout à fait réguliers dans la forme, même s'ils ne sont pas tous tout à fait dans l'esprit haïkus, qui est en effet très particulier.

Jakolarime



#360957 Désert Poilu

Posted by Jakolarime on 02 December 2006 - 03:39 PM in Salon de publication principal

Citation (socque @ Dec 2 2006, 12:19 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Je marche dans un désert
Absolu.
Résolue,
Je recherche un peu de vert.


Très amusant, ce quasi-pantoum ! smile.gif smile.gif Bravo

Jakolarime



#360960 La Ronde Des Mentons

Posted by Jakolarime on 02 December 2006 - 03:44 PM in Salon de publication principal

Ronds, carrés ou pointus, mentons, nous mentez-vous ?
Ou nous révélez-vous la secrète nature
De ceux dont vous ornez le bas de la figure ?
Menton menteur, menton sincère, éclairez-nous !

- Mignon menton mutin de la tendre enjôleuse,
J’émeus le jouvenceau énamouré, pressant ;
Je piège le baiser furtif, volé, ardent,
Qui a manqué sa cible ingénue et moqueuse…

- Je suis le menton bleu de l’ouvrier barbu.
Râpeux, âpre et sérieux, sous l’effort je transpire !
Chacun de ces poils noirs qui sur ma peau s’étire
Trahit le dur labeur qui me laisse fourbu !

- Caché, presque perdu dessous la mandibule
On me prétend fuyant, dissimulé, contrit…
Celui qui me possède encourt le froid mépris
Qu’on réserve au paria, à l’immonde crapule !

- J’achève en doux ovale un visage gracieux,
C’est celui de Mona, la célèbre Joconde !
Posant dans un décor baigné de paix profonde,
Je prolonge l’éclat d’un souris mystérieux.

- Vainqueur et conquérant, attribut des ganaches
  À qui leur forte voix tient lieu d’autorité
J’impose la terreur par la brutalité.
J’aboie l’ordre viril, terrorisant les lâches !

- En volutes d’argent ou en fils d’or précieux,
Menton fleuri je suis couvert de barbe folle.
Ce pileux paravent qu’un doigt nerveux cajole
Cache un épais secret à jamais à vos yeux.

- Mes replis adipeux me font double ou bien triple.
Les sauces et les jus ruissellent lentement
Vers le cou potelé du malheureux gourmand
Qui hâte par les dents la fin de son périple !

Merci, mentons bavards, de vos complets aveux !
Mais je n’en sais pas plus, malgré votre faconde,
Que j’en savais avant que commence la ronde
Des mensonges cachés en vos traits facétieux !

Jakolarime © octobre 2006



#360973 La Ronde Des Mentons

Posted by Jakolarime on 02 December 2006 - 04:15 PM in Salon de publication principal

Citation (Tyi @ Dec 2 2006, 03:53 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Idem, j'ai bien aimé.
Bienvenue.

Merci Tyi smile.gif (mais pour la bienvenue, je suis un vieux cheval de retour...)
Merci à socque aussi.

Jakolarime



#360989 Mon Coeur Est Ce Jardin

Posted by Jakolarime on 02 December 2006 - 05:56 PM in Salon de publication principal

Mon cœur est ce jardin


Depuis des temps anciens, une riche famille
Possédait un jardin quelque peu retiré.
Bien que l’on raffolât de sa poire à curé
Le désir se perdit d’en entrouvrir la grille.

La nature eut tôt fait d’envahir sa charmille ;
Herbe folle, chiendent peuplèrent ses carrés.
Un voisin, à l’étroit dans son fonds resserré,
Déclara qu’il voulait l’acquérir pour sa fille.

On s’avisa soudain qu’on aimait ce joyau !
Quelque temps on bina ; on sema à nouveau.
Puis, lassé, on revit le chiendent s’y étendre.

Mon cœur est ce jardin laissé à l’abandon.
Quand tu l’as cru perdu, tu l’as voulu reprendre…
Pour y laisser grandir l’ivraie et le chardon.


Jakolarime © 2 août 2006



#361080 La Ronde Des Mentons

Posted by Jakolarime on 03 December 2006 - 01:39 AM in Salon de publication principal

Citation (Gaston Kwizera @ Dec 2 2006, 06:55 PM) <{POST_SNAPBACK}>
au moins, on sait le pourquoi du pseudo

pas de bienvenue, alors, un re ?

Oui, j'ai hanté ces lieux au tournant de 2004 et de 2005. Puis en tapant sur Google un vers d'un de mes poèmes, pour une recherche personnelle, je suis tombé sur un de mes posts de cette époque. J'ai un peu déroulé le fil vers le haut et vers le bas, et j'y ai retrouvé des noms et des messages sympa (socque, carla, quercus, ninon... et d'autres). Mais mon pseudo actuel est nouveau biggrin.gif
Cette excursion dans le passé m'a donné un petit goût de revenez-y, dans ce salon, mais aussi dans celui des nouvelles où je compte faire quelques posts. Je ne suis pas déçu du voyage, jusqu'à présent. wink.gif

Un grand merci à tous pour votre lecture indulgente... J'ai quelques trucs nouveaux dans ma besace, et il y a aussi les "rediff". Pour les gourmands pressés, ils peuvent toujours faire un tour sur mon site perso (que je me suis enfin décidé à créer, j'en parlais déjà à l'époque précitée). Si le coeur vous en dit : http://jhfabre.neuf.fr )

Jakolarime


Citation (Alba @ Dec 2 2006, 07:27 PM) <{POST_SNAPBACK}>
enchanteur! Merlin
chaque homme doit s'y retrouver un peu, je suppose smile.gif

Mais on y évoque aussi des mentons féminins...
Citation
j'y aurai bien glissé un menton tremblant d'émotion...
mais bon, il est très chouette comme ça

C'est une ronde, pas un meeting  wink.gif



#361081 Mon Coeur Est Ce Jardin

Posted by Jakolarime on 03 December 2006 - 01:47 AM in Salon de publication principal

Citation (missix @ Dec 2 2006, 08:09 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Mon coeur est cette cour pavée de gris
aux joints de lichen et velours de mousse
(...)


Il ne faut jamais perdre l'espoir qu'une marguerite ou un coquelicot vienne un jour déchirer cette grisaille...

Jklrme


Merci socque, merci Mélanco...
J.



#361082 Rêve D'amour

Posted by Jakolarime on 03 December 2006 - 01:55 AM in Salon de publication principal

(Un sonnet gratuit à qui devine sur les rimes de quel poème a été écrit celui-ci)
Rêve d’amour


Lorsque au bord de l’étang, songeuse et décoiffée,
Courbée à la façon des narcisses penchants,
Sur le miroir des eaux tu invoques la Fée,
Les korrigans ravis surgissent de leurs champs.

Ils viennent, transportés d’allégresse suprême,
T’admirer presque nue… Ils crient : « Nous triomphons
Quand tu es parmi nous, toi qui seule nous aime,
Toi dont nous connaissons les sentiments profonds ! »

Jacassant, ils s’assoient tout au long de la rive ;
Ils éclatent de rire, et se moquent parfois
De ton air trop sérieux, ou de l’humeur pensive
Où te plonge soudain le bruissement des bois.

Maudit soit ce jour où, rêvant sur ton rivage,
J’ai cru te voir trônant au cœur des pampres verts !
Depuis que j’ai sombré dans cet amour sauvage,
Mon beau songe en allé met mon cœur de travers !

Jakolarime © 30 mai 2006



#361083 Faites De Mauvais Rêves !

Posted by Jakolarime on 03 December 2006 - 02:03 AM in Nouvelles

Faites de mauvais rêves !



Dès qu'il eut franchi la porte automatique, il fut envahi par un puissant sentiment de « déjà vu ». Certes, l'agencement général des portes, des couloirs, des comptoirs et des autres éléments du mobilier n'avaient rien d'original : on trouvait ce style d'architecture passe-partout dans nombre de halls d'hôtels et de bâtiments administratifs modernes. Mais cet immeuble se distinguait par son ampleur écrasante, par le gigantisme de ses proportions. C'était si vaste qu'on se serait toujours cru à l'extérieur...

À peine revenu de son premier saisissement, il fut frappé par le silence qui régnait, en dépit du fourmillement agitant l'immensité de la dalle, luisante comme un miroir, parsemée de groupes de six à dix personnes qui semblaient entretenir des conversations animées, sillonnée en tous sens par des individus à l'air affairé. Mais aucun son n'accompagnait les conciliabules des uns, ni la précipitation des autres.

Baigné dans une angoisse croissante, il se dirigea aussi bravement qu'il le pouvait vers une batterie d'ascenseurs. Comme il frôlait les cercles de causeurs, il constatait que les conversations cessaient sur son passage. Les gens le dévisageaient d'un air réprobateur, les têtes se tournaient pour suivre son déplacement. Pourtant, après qu'il eut tenté, par quelques coups d'œil lancés à la dérobée, de lire sur les visages des marques plus précises de l'hostilité qu'il suscitait, il réalisa avec terreur qu'il ne pouvait distinguer aucun trait, aucun regard ni aucune expression définis. Les personnes qu'il croisait étaient réduites à l'état de silhouettes muettes au milieu desquelles il se sentait un intrus.

La traversée du hall lui parut interminable. Les ascenseurs étaient son seul espoir de répit salvateur ; mais alors qu'il approchait des portes d'acier, une face unie de granit gris s'interposa comme une infranchissable muraille : les ascenseurs avaient disparu... Conscient du ridicule de la situation, il se résolut à faire demi-tour, et à affronter à nouveau le rejet de la foule.
Mais la gestuelle et les mimiques des bataillons ennemis avaient évolué. Elles reflétaient maintenant une moquerie méprisante, et une honte indicible succéda à son angoisse. Baissant la tête, il longea le mur aveugle pour se diriger vers une large volée d'escalier, qu'il s'étonna de ne pas avoir repérée dès son entrée dans l'immeuble. En gravissant les marches, il sentit se dissoudre la chape d'agressivité qu'il venait de subir si douloureusement.

L'escalier central débouchait sur un palier d'où partaient, à droite et à gauche, deux nouvelles séries de marches. Sans être vraiment assuré de son choix, il opta pour celle de gauche, qui lui semblait mener à une coursive en loggia pouvant correspondre à la direction qu'il recherchait. Il parvint bientôt à un large corridor, aux innombrables portes munies d'étiquettes indéchiffrables. L'extrémité du couloir donnait sur un autre palier dont la disposition était parfaitement identique à celle du lieu qu'il venait de quitter. À nouveau, le choix de la suite du parcours s'ouvrait à lui. Il prit cette fois l'escalier de droite.

En abordant le couloir, copie conforme de celui qu'il avait précédemment emprunté, et comprit que le palier où il arriverait au terme de sa course le placerait devant un choix désespérément semblable à ceux qu'il avait eu à exercer. Il n'arriverait jamais à destination.

Effondré, au comble de la frustration, il décida qu'il était temps de se réveiller.

Jacques Fabre "Jakolarime" © 22 mai 2005



#361223 La Ronde Des Mentons

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 01:02 AM in Salon de publication principal

Citation (Paname @ Dec 3 2006, 12:51 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Permettez, mais je propose, manière d'intégrer la négation manquante :
"Que je n'en avais su avant la grande ronde..."

Ce minuscule bémol n'enlève évidemment strictement rien à ma presque jalousie (c'est vrai !)
devant votre production.
Elle correspond parfaitement à l'idée que je me fais de la belle et bonne écriture.

Point de vue original et langue française réellement à son top.
Je vous félicite. C'est un plaisir de vous lire.
Pensez-vous à publier ?

Amicalement.
Paname
J'oubliais  :  Jacques a sensiblement mon âge, et...une gueule bien sympa    cool.gif

Merci pour tous vos compliments. qui me font rosir de plaisir...
Non, je ne pense pas publier, car je ne vois pas trop quel éditeur pourrait s'intéresser à ce que j'écris. De plus, je ne crois pas avoir quantitativement de quoi remplir ne fût-ce qu'un modeste opuscule.
Sur votre remarque grammaticale, votre proposition, dont je vous remercie, encourt à mon avis deux reproches : 1) je ne vois pas en quoi le tour négatif s'imposerait ("ce que j'en savais" a bien un sens positif). Le "ne" explétif n'est jamais obligatoire ; 2) le plus-que-parfait de la subordonnée conjonctive suggérée ne concorderait pas, sauf erreur de ma part, avec le présent de la principale.
Merci encore pour votre intérêt.
Jakolarime



#361224 Rêve D'amour

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 01:12 AM in Salon de publication principal

Citation (vent @ Dec 3 2006, 08:39 PM) <{POST_SNAPBACK}>
- tout simplement " des esprits korrigans " et mes acrostiches qui ne sont pas à elles.

Je ne comprends pas blink.gif  blink.gif
Pourriez-vous m'expliquer le sens de ce commentaire ?



#361225 Mon Coeur Est Ce Jardin

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 01:19 AM in Salon de publication principal

Citation (Paname @ Dec 3 2006, 12:33 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Il faut croire au coquelicot !
Un conseil de poète ami : punaisez sur la porte de ce jardin votre magnifique et irréprochable poème (vraiment bravo pour vos rimes et surtout le choix de votre vocabulaire...quelle unité d'ambiance il crée !)
Les coquelicots envahiront bientôt votre carré d'amour !
Bon courage, car il vous faudra alors biner, biner, biner, et arroser jour après jour... dry.gif

D'accord ! Je me précipite, clous et marteau en main.
Merci pour votre lecture smile.gif
Jakolarime



#361226 Les Champs Me Parlent

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 01:25 AM in Salon de publication principal

Les champs me parlent

Les champs me parlent. J’aime, aux horizons brumeux,
Voir leurs sillons se perdre en vagues convergentes,
Épousant des coteaux les courbes nonchalantes
Où chante, en ocre et brun, leur sombre camaïeu.

Mais leur muet discours me reste mystérieux.
Les signes colorés d’une langue savante,
Dans l’océan figé de la terre indolente,
Semblent tracer des mots qu’ils destinent aux cieux.

Les vents fous de l’automne emportent ces paroles ;
Des nuées d’étourneaux, en noires farandoles,
Les reprennent en chœur et font vibrer l’azur.

Quand, du flanc éventré d’une motte féconde,
Émerge en tremblotant l’espoir d’un blé futur,
Mon cœur croit accueillir l’enfant qui vient au monde.

© 7 septembre 2005



#361227 Concerto En Abyme

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 01:40 AM in Nouvelles

Concerto en abyme

Dix-sept minutes quarante-deux secondes. C’est la durée de son concerto. Le CD avalé, le compte à rebours des dix-sept minutes et quarante-deux secondes s’affiche en vert sur l’écran du lecteur.
L’orchestre expose la belle phrase claire, joyeuse mais pas trop, du thème initial.
C’est à ce moment-là qu’elle ramenait ses jambes pliées sur le canapé, qu’elle posait la tête sur son épaule, qu’elle lui passait son bras autour du cou.
Le violon reprend le thème, sans fioritures excessives, légèrement souligné par les cordes graves et les bois.

Comme il avait couru, de la voiture vers le hall d’accueil des urgences ! Que de palabres, d’explications dans le brouhaha des détresses, des angoisses, avant qu’il puisse coller ses deux paumes et son front moite sur la vitre. Derrière la buée de sa respiration, elle reposait, reliée encore à la vie par mille tubes, mille fils, mille liens technologiques. Mais déjà loin, peut-être.

Le deuxième mouvement commence lentement. Adagio. Dans une tonalité suave et pénétrante, le second thème se déroule sur six mesures, tissant sa mélodie complexe et lumineuse, installant la plénitude dans un approfondissement idéal.

Avec quelle respectueuse délicatesse son corps rencontrait le sien ! Avec quelle chaste impudeur sa peau de velours épousait la sienne, rendant frisson pour frisson, halètement pour halètement. Hommage des sens à l’amour ; de la passion à la jouissance.

C’est presque avec brutalité qu’il avait écarté l’infirmière arrogante, qui prétendait l’arracher à son attente suppliante et révoltée. Elle avait capitulé, dans un haussement d’épaule, le laissant à son hébétude douloureuse.

Le compte des minutes décroît sur le compteur. Un alto est venu se joindre au violon soliste ; leurs arpèges s’entrelacent, subtils, sensuels. Ils s’effacent et dominent tour à tour dans la vibration d’un environnement sonore où l’on ne distingue plus, maintenant, s’ils sont une ou deux voix.
Les effluves entêtants de leurs cheveux, de tous les replis de leur corps, les précipitaient dans une quête effrénée de fusion, rythmée de sons rauques, inarticulés.

La pulsation lancinante du moniteur cardiaque se faisait irrégulière. Il ne pouvait décrypter le message de tous ces appareils qui montraient comment, peu à peu, se délitait la vie de celle qui était sa vie. Puis l’interminable signal continu, la cavalcade de figurines vêtues de blanc, la mine navrée de pantins inutiles, porteurs de la nouvelle impossible à croire, impossible à accepter. Impossible à refuser.

Le troisième mouvement est très lent. L’attaque de tous les graves est pesante, tragique. L’écrasant appareil harmonique est lugubrement ponctué de roulements de timbales.
Il dégage de son chiffon graisseux l’objet luisant, dense. Il le soupèse, empoigne la crosse, glisse son doigt dans le pontet, effleure la détente.
La seule question qui l’occupe est : « Où ? ».
Où appuyer le canon de l’arme ?
Sur le front ?
Sur la tempe ?
Dans la bouche ?
L’intensité sonore monte au fortissimo. Puis une rupture totale laisse, pendant de longues secondes, s’épuiser la réverbération.
Le compteur du lecteur égrène les dernières secondes.
Ce sera le front. En plein milieu.
Rompant le silence, le violon jette un dernier cri d’une insoutenable intensité. L’orchestre complet l’engloutit dans son accord final.
Le vrai silence, enfin.
Il murmure : « J’arrive ! ».

Jakolarime © 20 mars 2005



#361302 Concerto En Abyme

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 01:44 PM in Nouvelles

Citation (bohemia @ Dec 4 2006, 12:25 PM) <{POST_SNAPBACK}>
En tout cas, grande qualité d'écriture, un plaisir à te lire, même si le sujet est très sombre.


Grand merci, bohemia...
Enfin, j'ai aussi plus gai. laugh.gif (Voir "Le coq").

Jakolarime



#361305 Le Coq

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 01:58 PM in Nouvelles

Le Coq

Réveillé par un rayon de lumière qui perçait dans l'interstice des rideaux, James sentit tout de suite que quelque chose n'allait pas. Une étrange envie de crier – de chanter, peut-être – se saisit de lui sous l'effet du soleil matinal ; il s'entendit bientôt émettre, en dehors de tout contrôle, un cri incongru, haut-perché, et qui n'avait rien d'humain.

« Cocori…co ! »
Son propre bruit acheva de le tirer des dernières brumes du sommeil. Il hasarda un regard circulaire sur toute la chambre. Rien n'avait changé, apparemment. Sur le lit, en revanche, il y avait du nouveau : son pyjama gisait, vide, autour de lui ; ses jambes ne s'allongeaient plus jusqu'au bout de la couverture. Il fit un large mouvement pour se découvrir. Une aile blanche, où se mêlaient quelques plumes noires ou rousses, avait remplacé son bras. Son cœur se mit à battre très fort…

« Non ! pas ça ! »
En trois sauts et deux vigoureux battements d'ailes, qu'il accomplit sans même y réfléchir, il se trouva juché sur la commode, face au miroir où il avait coutume de se coiffer. Un magnifique coq, à la crête frémissante, au jabot fièrement renflé, s'offrit à son regard. Le bec entr'ouvert de saisissement, il se surprit à articuler, dans un langage encore à peine humain :

« Merde ! Me voilà transformé en coq ! »

Depuis des mois, déjà, il avait, comme tout le monde, essayé de se préparer à ce genre de catastrophe. L'incroyable épidémie avait frappé maints collègues et amis, et même quelques membres de sa famille. Sa belle-mère ne s'était-elle pas réveillée un beau matin en truie ? (ce qui, avait-il pensé à l'époque, n'était que justice…). Ce vigoureux bouc aux cornes cannelées n'était-il pas son voisin, qui broutait maintenant, sous les regards affectueux de sa nombreuse marmaille, son lopin de gazon ? Le chef du contentieux de l'entreprise où il travaillait, quant à lui, trottinait dans les bureaux sous les dehors d'une fouine. Jusqu'à Léo, le gars de l'informatique, qui tournait en rond dans son bocal de poisson rouge, traînant son inutilité et son impuissance avec plus de flegme qu'il n'en avait jamais montré dans sa nonchalante carrière antérieure ! Considérant le passé des infortunées victimes de ces transformations, James avait trouvé à tout cela une certaine cohérence. Mais lui ? Lui, en coq !! Même en cherchant bien, il se refusait à percevoir, dans ce qui lui arrivait, la moindre logique. Encore bouleversé par ce cruel avatar, James sautilla maladroitement vers la cuisine, en songeant qu'il lui faudrait désormais cesser toutes relations avec son vieux copain Cyril, qu'il visitait régulièrement dans sa tanière de renard.

La femme de James, affairée à la préparation du petit déjeuner, eut un bref sursaut en découvrant son gallinacé de mari qui tentait de s'installer à table. Puis, rassérénée par l'air de ressemblance de l'orgueilleux animal avec le père de ses enfants, elle eut d'emblée cette réaction qui résumait tous ses talents de femme pragmatique :

« Bon. Pour ce matin, tu te contenteras de miettes de pain. Ce soir, je te prendrai un sac de grains à Carrefour, au rayon de la nourriture pour animaux. »

Il lui caqueta un remerciement ému, et commença à picorer dans l'écuelle où elle avait émietté quelques croûtons de la veille. Et tant pis pour son ancienne camarade de classe, aujourd'hui adorable lapine, qui coulait des jours heureux dans un clapier voisin.

Soudain, leurs deux fils entrèrent dans la cuisine. Après un court moment de surprise, ils se regardèrent, l'œil allumé d'espièglerie, avant de se plier en deux dans un rire convulsif.
« Ah, les p'tits cons ! gloussa–t–il, réprimant la crispation de ses ergots vengeurs.

- Allons, allons ! les enfants… Un peu de charité, s'il vous plaît, intervint son épouse. Vous rirez peut-être moins si vous vous retrouvez un jour en cafards ou en sardines… »

Après sa légère collation, James entreprit de se diriger vers le placard où il rangeait sa serviette. Attentive, sa femme le devança, et empoignant le porte-documents, lui proposa :

« Veux-tu que je te conduise au bureau, ce matin ? Pour la suite, nous tâcherons de nous organiser autrement. »

Il lui gloussa un discret merci avant de sautiller sur le siège avant du passager. « Au diable la ceinture de sécurité, roula-t-il. Les poulets ne vont quand même pas verbaliser, si la solidarité existe encore dans les basses-cours ! »

Son entrée au bureau fut modérément remarquée : les ravages de la métamorphose avaient touché une grande partie du personnel. L'hôtesse d'accueil, une superbe rotweiler au poil noir et feu, aboya à son adresse une gentille bienvenue ; sa guenon de secrétaire caressa affectueusement sa crête écarlate, et tira son fauteuil pour lui permettre de s'installer devant l'ordinateur.

« Je ne m'en tire pas trop mal, réfléchit-il. Je peux toujours frapper le clavier avec mon bec, et Cheetah – c'était le nouveau nom de son assistante babouine – pourra toujours m'aider : elle est aussi adroite de ses doigts de pied que de ses doigts de main… ». Évidemment, ce n'était pas comme son collègue Serge, puissant boa dont les glissements furtifs effrayaient bêtes et gens : sa morphologie serpentine proscrivait pour lui toute utilisation du clavier.

Mais le pire arriva un peu plus tard dans la matinée. La direction s'était décidée à diffuser la fameuse circulaire, dont les termes étaient d'autant mieux gravés dans sa mémoire qu'il avait, alors qu'il était encore un juriste bipède, contribué à la rédiger :

« Mesdames et Messieurs les membres du personnel sont avisés que toute transformation de leur poste de travail, rendue nécessaire par une métamorphose animale, sera effectuée aux frais des bénéficiaires. De plus, si la conformation physique des salariés requiert l'assistance d'une tierce personne, ou d'un tiers animal, l'intéressé devra, sous sa responsabilité, partager son salaire avec lesdits auxiliaires.

Il est en outre rappelé que, conformément au décret n° 2020-17812 du 1er avril, la Direction se réserve le droit, sur avis vétérinaire dûment motivé, de licencier les salariés dont l'adaptation du poste de travail s'avérerait impossible.
»

Pour conserver intactes ses remarquables performances juridiques, James n'aurait pas trop d'un perroquet stagiaire, ou d'un chimpanzé un peu astucieux. Ça coûterait un peu, mais ce serait toujours mieux qu’un perchoir médiocre à la S.P.A….

« Décidément, soupira-t-il avec nostalgie, je trouvais que l'organisation de cette boîte tenait du cirque… Maintenant, c'est une vraie ménagerie ! »


Jacques Fabre, mai 2005



#361316 Amnésie Familiale

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 02:28 PM in Nouvelles

Citation (balila @ Sep 3 2006, 01:46 PM) <{POST_SNAPBACK}>
"Mémoire, mnésique, amnésique, mémento...

Très joli texte, balila. Vivant, bien dialogué. La facilité de l'aveu du papa (tout comme son évanouissement) n'est pas absolument vraisemblable, mais on se laisse entraîner par la vérité du ton général.
Un peu déconcertantes, les reprises en focalisation externe ("Laure quitta le salon...";"Laure, son cahier à la main..."; "Marianne s'interrompit..." " Trois paires d'yeux..."), surtout en raison de l'absence de reprise de la ponctuation à chaque alinéa. Il est vrai que les ressources typographiques limitées de ce forum ne rendent pas toujours les choses faciles.

Un brin d'explication sur les raisons de la tentative de Marianne de parler à Vincent n'aurait pas nui à la clarté du propos, peut-être ? (Il est vrai que Maupassant lui-même ne s'apesantissait jamais sur l'explication des faits et gestes de ses héros !!).
Mais bon, j'ai bien suivi quand même, et j'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture.

Jakolarime



#361321 Le Coq

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 02:39 PM in Nouvelles

Citation (socque @ Dec 4 2006, 02:21 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Deux petits bémols : dans la phrase "Je peux toujours frapper le clavier avec mon bec, et Cheetah – c'était le nouveau nom de son assistante babouine – pourra toujours m'aider : elle est aussi adroite de ses doigts de pied que de ses doigts de main… ». ", je regrette la répétition du "toujours" (oui, j'aime pinailler ; vous écrivez fort bien, et j'en suis réduite à ces pauvretés !).

C'est vrai mad.gif Je corrigerai au prochain tirage.

Citation
Par ailleurs, je trouve que l'histoire a un peu de mal à démarrer : le personnage, à mon sens, prend trop de temps à réaliser sa métamorphose ; j'ai l'impression que le texte serait plus musclé s'il s'en rendait compte plus vite...

Vraiment ? à la 12e ligne (sur 80), quand même ! et le lecteur a normalement tout compris dès le Cocorico. Mais bon, je prends note. J'essaierai de ne pas trop m'étaler, dans l'avenir.

Merci pour cette lecture constructive smile.gif
J.



#361338 Le Cri (edvard Münch)

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 05:34 PM in Arts poétiques

Le cri

Le soir lourd s’avançait sur la digue fuyante ;
Un silence de plomb soudain figea tout l’air.
L’eau ne clapotait plus. Les flots noirs de la mer
Ouvraient un bal mortel d’apocalypse lente.

Sur le chemin marqué de traces rutilantes,
Nonchalants promeneurs, au sacrifice offerts,
Deux badauds cheminaient, inconscients, vers l’enfer,
Le regard ignorant ma dépouille ondoyante.

Sous la fusion des nues, sous l’oeil clos d’un dieu mort,
Les volutes dressées des eaux vives du fjord
Convoitaient la cité et les bateaux fragiles.

Et j’allais, spectre aveugle, à deux mains étouffant
Le vacarme virtuel des cohortes futiles,
Hurlant mon cri muet au travers du néant.

Jacques Fabre "Jakolarime" © 30 juillet 2004

Je n'ai pas réussi à joindre le tableau, mais on peut le trouver à l'adresse : http://www.museumsne...mages/skrik.jpg



#361351 Notes De Lecture

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 06:23 PM in Analyse textuelle

En vrac, quelques commentaires de commentaires sur ce que j'ai lu ici avec intérêt.

La plupart des commentaires de poèmes que j'ai lus, sur ce forum ou d'autres, se contentaient de s'attacher à l'action, à l'anecdote qu'illustrait ou sous-tendait le poème. En exagérant à peine, sur un poème parlant de la guerre : "Ach, quelle horreur - quelle connerie ! - la guerre" ; s'il évoque la mort d'un enfant : "C'est la pire chose qu'il puisse arriver !" ; sur un amour malheureux : "Allez, courage, un(e) de perdu(e), dix de retrouvé(e)s !". Etc., etc.

Les commentateurs semblent souvent prendre les poèmes pour des témoignages personnels, autobiographiques, de l'auteur. Aucune distanciation, aucune (ou peu de) considération pour l'objet-poème lui-même : sa forme, certes (quand ce n'est pas, indigemment, :"Ah ! que c'est joliment tourné..." - le degré zéro du commentaire).

Son impact sur la sensibilité du lecteur, une explication (ou au moins une tentative) sur la façon dont le poème l'a touché, ému, amusé, révolté (...), est souvent absente. Certes, il n'est pas donné à tout le monde de traduire, de façon pertinente, ces choses qui relèvent souvent de l'indicible ! Mais lorsque ce que l'on a à dire n'est pas plus intéressant que le silence, il vaudrait mieux savoir se taire.

Personnellement, j'aime surtout dire pourquoi j'ai aimé un poème, en essayant de caractériser son rythme, sa musicalité, la richesse ou la qualité des images, et leur puissance évocatrice. Le commentaire purement technique est parfois délicat, dans la mesure où il met en évidence des "fautes" de prosodie. Je sais bien que la notion de faute (ou plutôt de "gravité" de la faute) est toute relative, et que sa présence est loin de disqualifier totalement le poème qui la contient. Néanmoins, reconnaissons qu'un alexandrin de douze syllabes est plus "correct", lorsqu'il est placé parmi ses frères réguliers, qu'un vers de onze à treize syllabes. Il est bon de deviner jusqu'à quel point l'auteur commenté est susceptible d'accepter ou non la remarque critique. Mais beaucoup d'habitués des forums de poésie sont en quête d'information, sinon de "formation" pratique, sur les règles de la prosodie, et apprécient les conseils éclairés qui sont contenus dans les commentaires.
Lâchement (? ou prudemment...) je m'abstiens de commenter un poème qui ne m'a pas plu, ou que j'ai trouvé trop éloigné de la notion de poème.

J.



#361424 Rêve D'amour

Posted by Jakolarime on 05 December 2006 - 12:45 AM in Salon de publication principal

Citation (Paname @ Dec 4 2006, 06:54 PM) <{POST_SNAPBACK}>
T'inquiète, c'est que du vent...

J'en ai bien l'impression  blink.gif

A part ça, une idée pour les rimes ? (mon petit jeu n'a pas pas l'air d'enthousiasmer les foules sad.gif )



#361427 Agénor

Posted by Jakolarime on 05 December 2006 - 01:27 AM in Nouvelles

Agénor

Albin était loin de soupçonner, avant de s’embarquer dans cette aventure, la masse de travail préparatoire qu’exigeraient de telles vacances…

Tout avait commencé six mois plus tôt. Dans une revue destinée aux amateurs de voyages au long cours, il était tombé par hasard sur une annonce rédactionnelle de l’Agence VVV (« les Vacances de Votre Vie ». Tout un programme !). L’article publicitaire était bien tourné, et l’offre qu’il contenait plutôt alléchante. Sans arrière-pensée, il en avait parlé à Duchauffle, son partenaire occasionnel aux dominos. Celui-ci avait doucement rigolé en évoquant tout le plaisir qui attendait un sexagénaire affrontant des épreuves dignes d’un Indiana Jones ! Ces gentilles moqueries l’avaient piqué au vif. Il s’abstint d’insister outre mesure sur les différences qu’il voyait entre lui – sexagénaire, certes, mais encore gaillard et actif, fier de sa taille mince et de ses cheveux blancs, mais drus –, et le pauvre Duchauffle, même âge à peu près, mais sérieusement décati, le cheveu rare et malsain, les dents aussi jaunes que l’ivoire vieillissant des dominos qu’il faisait tinter à longueur de journées, le cul vissé sur la moleskine du bistrot Chez Maurice…

Le voyage de trois mois en Amazonie – ou plutôt « l’Expédition », c’est ainsi qu’on présentait la chose, chez VVV – s’imposa bientôt à Albin comme un défi personnel. On verrait bien s’il était « fini », et s’il était le « vieux croûton » que laissaient entendre les commentaires des habitués de Chez Maurice !

Mais, la décision étant prise, il fallait encore l’assumer.

Il y avait eu, d’abord, la visite chez le médecin recommandé par l’Agence. Avant d’établir son avis médical, le praticien avait, tantôt directement, tantôt par sous–entendus condescendants, utilisé tous les moyens pour tenter de dissuader Albin d’entreprendre ce périple. De fait, le jeune toubib (la trentaine bronzée et arrogante, frais émoulu de l’externat) semblait réticent à admettre qu’un quasi-vieillard puisse affronter les dangers d’un séjour prolongé dans un climat éprouvant, sur des terres éloignées de la société technologique dont, à son âge avancé, on peut toujours avoir besoin …

Il énonçait ses objections avec tout le respect dû à l’importante solvabilité dont Albin avait justifié auprès de l’Agence VVV. Cette componction agaça profondément Albin, qui, à plusieurs reprises, avait bien failli lancer au jeune homme : « Tu me crois gâteux, p’tit con ? Qu’est-ce que ça peut te foutre, si je claque là-bas ? Je ne suis pas ton père, après tout ! ». Mais il s’était retenu en songeant que, justement, il aurait pu être son père et que, dans ce cas, il aurait eu lieu d’être reconnaissant à ce jeune merdeux de tenter de le protéger contre les conséquences d’un coup de tête sénile.

Le petit docteur avait présenté, et fait signer à Albin, une déclaration par laquelle celui–ci "reconnaissait avoir reçu toutes informations claires, précises et complètes sur les risques, notamment sanitaires et médicaux, liés à l’expédition, les avoir parfaitement comprises, et persistait, néanmoins, dans sa décision, en renonçant d’avance à intenter contre l’Agence VVV toute action fondée sur une appréciation insuffisante des risques susmentionnés… » Albin, écumant de rage, avait paraphé l’infamante décharge (il ignorait qu’en réalité tous les participants signaient le même papier !), puis il était allé se faire piquer les fesses et le gras du bras dans un centre spécialisé en vaccinations tropicales, pour être immunisé contre la fièvre jaune, la variole, le tétanos, et Dieu sait quel autre exotique béribéri.

Pour ne pas mourir idiot, il avait, pendant de longues heures volées aux enivrantes parties de dominos avec Duchauffle, étoffé sa connaissance de l’Amazonie par de nombreuses recherches sur l’internet. Il n’était pas peu fier de l’importante monographie ainsi constituée, et qui, espérait-il, le dispenserait de poser les questions stupides qui lui seraient inévitablement venues à l’esprit.

Il avait dû acquérir à grands frais les objets, non compris dans le somptueux forfait de l’Agence VVV, mais dont il fallait se munir pour affronter les étouffantes rigueurs du climat, et les dangers de la faune et de la flore, dans ces contrées reculées… Cela lui avait donné l’occasion de courir aux quatre coins de la capitale dans des magasins pittoresques dont il ignorait qu’ils puissent encore exister à Paris, et qui, malgré les pertes subies par l’Empire français depuis plus de cinquante ans, regorgeaient d’objets dits coloniaux.

Enfin passeport, visas, vaccinations, attestations et certificats, tout fut pratiquement en ordre. Il ne restait plus que deux papiers à remplir et à retourner au secrétariat de l’Agence. Il compléta soigneusement le premier imprimé : Assurances, non sans avoir compulsé quelques dossiers poussiéreux où dormaient les renseignements demandés. Puis il saisit le tout dernier formulaire : Liste de personnes à prévenir en cas d’accident.

Albin saisit son stylo, dont il dévissa résolument le capuchon, pour en finir avec cette paperasserie. La plume s’immobilisa au-dessus du formulaire vierge ; elle y resta longtemps, comme en suspens.

Qui ? Mais qui pourrait–il bien ?… Ses pensées allèrent immédiatement vers sa chère Christine. Quinze ans, déjà, que son épouse était morte... C’eût été la destinataire idéale d’un message annonçant qu’il était en difficulté, quelque part entre Manaus et Fonte Boa. Un sourire triste passa sur les lèvres d’Albin : si elle avait été encore de ce monde, serait–il sur le point de partir, comme un vieux fou, en Amazonie ?…

À part Christine, Albin ne se connaissait aucune famille, proche ou éloignée. Ses propres parents eux-mêmes avaient été enfants uniques : pas d’oncle, ni de tante, ni de cousins à l’horizon. Partant, point de nièces ou de neveux de ce côté–là…

Quant à la famille de Christine, pas question de les avertir de quoi que ce soit ! Une bande de tordus qui, à la mort de son épouse, avaient été jusqu’à vérifier son contrat de mariage, son testament, au cas où Christine aurait laissé une succession à laquelle ils puissent prétendre… Écœuré par ces démarches, Albin les avait tous virés avec pertes et fracas, et avait définitivement rompu les ponts avec cette engeance de boutiquiers avides !

Qui ? Il songea à quelques-uns des ex-collègues de bureau avec lesquels il avait été le plus lié. Il revit leur émotion, sincère pourtant, lorsqu’il avait pris sa retraite, six mois plus tôt. « Mais on se reverra, tu sais ! On gardera le contact… » Tu parles ! La dernière goutte de mousseux avalée, après le pot de l’amitié, dès la remise de l’inévitable lecteur–DVD–home–cinéma (le truc qui a succédé à l’inévitable caméscope, dans le florilège des cadeaux de départ à la retraite), acheté avec le produit de la collecte dont l’enveloppe de papier kraft avait circulé furtivement de bureau en bureau, – depuis cette petite cérémonie, donc, un peu convenue mais au fond sympathique, rien... Aucun signe de vie. Le retraité entre dans une demie mort. Un avis de décès ne serait qu’une simple confirmation.

Qui donc, alors ? Duchauffle, son partenaire aux dominos ? Il n’avait toujours pas saisi l’intérêt de cet étrange voyage au bout du monde. Il est vrai qu’en fait d’étranger, la seule excursion de Duchauffle hors du territoire national remontait à 1958, lorsque, adolescent, il s’était rendu à l’Expo Universelle de Bruxelles, où il était monté dans l’Atomium. Albin ne voyait pas à quoi pourrait bien servir la divulgation à Duchauffle d’un accident le concernant.

Ah, bah ! Maurice, tiens ! Le fameux Maurice, propriétaire du bistro éponyme ! Avec sa grosse voix de rogomme et son air de se foutre de la gueule de tout le monde, l’inénarrable Maurice faisait, quoi qu’il en eût, partie de son décor, de son petit monde… Mais de là à l’inscrire sur cette feuille, comme un proche, Albin sentait que c’était au-dessus de ses forces.

Mais bon sang, qui ? Au fond, pour qui Albin comptait–il vraiment ? Qui se soucierait de le savoir gravement malade, grelottant de fièvre au cœur de la forêt amazonienne ? Qui craindrait pour sa vie, alors qu’il agoniserait sur l’épave démantelée d’une pirogue fracassée dans un rapide boueux ? Qui tremblerait de la gourmandise d’anthropophages au nez monstrueux, percé d’ossements humains ? Qui serait horrifié de l’inquiétant intérêt que manifesteraient pour lui les réducteurs de têtes ?

Devrait–il se rabattre sur cette brave madame Lamigeon… Alberte Lamigeon, que les copropriétaires n’appelaient que « la toquée du cinquième ». À cause, sans doute, de son amour immodéré pour les chats errants. Ses largesses alimentaires rameutaient dans la cour de l’immeuble une troupe féline miaulante et malodorante, qui lui valait la haine unanime de tous les résidents. En tout cas, elle s’était gentiment proposée pour arroser ses plantes (sa compassion s’étendait au règne végétal…), aérer l’appartement de temps en temps, et prendre en pension Agénor.

Agénor, c’était le poisson rouge d’Albin, un beau cyprin aux reflets dorés, stupide mais vigoureux, qui ne se lassait pas, depuis plus de trois ans, d’explorer le vide de son bocal, guettant d’un œil rond les fines paillettes déshydratées que lui dispensait journellement la main parcimonieuse – mais fidèle – d’Albin.

Sur la première ligne pointillée du questionnaire vierge, Albin inscrivit, avec une grimace désabusée :

« Agénor ».

18 novembre 2004



#361428 Agénor

Posted by Jakolarime on 05 December 2006 - 01:27 AM in Nouvelles

Agénor

Albin était loin de soupçonner, avant de s’embarquer dans cette aventure, la masse de travail préparatoire qu’exigeraient de telles vacances…

Tout avait commencé six mois auparavant. Dans une revue destinée aux amateurs de voyages au long cours, il était tombé par hasard sur une annonce rédactionnelle de l’Agence VVV (« les Vacances de Votre Vie ». Tout un programme !). L’article publicitaire était bien tourné, et l’offre qu’il contenait plutôt alléchante. Sans arrière-pensée, il en avait parlé à Duchauffle, son partenaire occasionnel aux dominos. Celui-ci avait doucement rigolé en évoquant tout le plaisir qui attendait un sexagénaire affrontant des épreuves dignes d’un Indiana Jones ! Ces gentilles moqueries l’avaient piqué au vif. Il s’abstint d’insister outre mesure sur les différences qu’il voyait entre lui – sexagénaire, certes, mais encore gaillard et actif, fier de sa taille mince et de ses cheveux blancs, mais drus –, et le pauvre Duchauffle, même âge à peu près, mais sérieusement décati, le cheveu rare et malsain, les dents aussi jaunes que l’ivoire vieillissant des dominos qu’il faisait tinter à longueur de journées, le cul vissé sur la moleskine du bistrot Chez Maurice…

Le voyage de trois mois en Amazonie – ou plutôt « l’Expédition », c’est ainsi qu’on présentait la chose, chez VVV – s’imposa bientôt à Albin comme un défi personnel. On verrait bien s’il était « fini », et s’il était le « vieux croûton » que laissaient entendre les commentaires des habitués de Chez Maurice !

Mais, la décision étant prise, il fallait encore l’assumer.

Il y avait eu, d’abord, la visite chez le médecin recommandé par l’Agence. Avant d’établir son avis médical, le praticien avait, tantôt directement, tantôt par sous–entendus condescendants, utilisé tous les moyens pour tenter de dissuader Albin d’entreprendre ce périple. De fait, le jeune toubib (la trentaine bronzée et arrogante, frais émoulu de l’externat) semblait réticent à admettre qu’un quasi-vieillard puisse affronter les dangers d’un séjour prolongé dans un climat éprouvant, sur des terres éloignées de la société technologique dont, à son âge avancé, on peut toujours avoir besoin …

Il énonçait ses objections avec tout le respect dû à l’importante solvabilité dont Albin avait justifié auprès de l’Agence VVV. Cette componction agaça profondément Albin, qui, à plusieurs reprises, avait bien failli lancer au jeune homme : « Tu me crois gâteux, p’tit con ? Qu’est-ce que ça peut te foutre, si je claque là-bas ? Je ne suis pas ton père, après tout ! ». Mais il s’était retenu en songeant que, justement, il aurait pu être son père et que, dans ce cas, il aurait eu lieu d’être reconnaissant à ce jeune merdeux de tenter de le protéger contre les conséquences d’un coup de tête sénile.

Le petit docteur avait présenté, et fait signer à Albin, une déclaration par laquelle celui–ci "reconnaissait avoir reçu toutes informations claires, précises et complètes sur les risques, notamment sanitaires et médicaux, liés à l’expédition, les avoir parfaitement comprises, et persistait, néanmoins, dans sa décision, en renonçant d’avance à intenter contre l’Agence VVV toute action fondée sur une appréciation insuffisante des risques susmentionnés… » Albin, écumant de rage, avait paraphé l’infamante décharge (il ignorait qu’en réalité tous les participants signaient le même papier !), puis il était allé se faire piquer les fesses et le gras du bras dans un centre spécialisé en vaccinations tropicales, pour être immunisé contre la fièvre jaune, la variole, le tétanos, et Dieu sait quel autre exotique béribéri.

Pour ne pas mourir idiot, il avait, pendant de longues heures volées aux enivrantes parties de dominos, étoffé sa connaissance de l’Amazonie par de nombreuses recherches sur l’internet. Il n’était pas peu fier de l’importante monographie ainsi constituée, et qui, espérait-il, le dispenserait de poser les questions stupides qui lui seraient inévitablement venues à l’esprit.

Il avait dû acquérir à grands frais les objets, non compris dans le somptueux forfait de l’Agence VVV, mais dont il fallait se munir pour affronter les étouffantes rigueurs du climat, et les dangers de la faune et de la flore, dans ces contrées reculées… Cela lui avait donné l’occasion de courir aux quatre coins de la capitale dans des magasins pittoresques dont il ignorait qu’ils puissent encore exister à Paris, et qui, malgré les pertes subies par l’Empire français depuis plus de cinquante ans, regorgeaient d’objets dits coloniaux.

Enfin passeport, visas, vaccinations, attestations et certificats, tout fut pratiquement en ordre. Il ne restait plus que deux papiers à remplir et à retourner au secrétariat de l’Agence. Il compléta soigneusement le premier imprimé : Assurances, non sans avoir compulsé quelques dossiers poussiéreux où dormaient les renseignements demandés. Puis il saisit le tout dernier formulaire : Liste de personnes à prévenir en cas d’accident.

Albin saisit son stylo, dont il dévissa résolument le capuchon, pour en finir avec cette paperasserie. La plume s’immobilisa au-dessus du formulaire vierge ; elle y resta longtemps, comme en suspens.

Qui ? Mais qui pourrait–il bien ?… Ses pensées allèrent immédiatement vers sa chère Christine. Quinze ans, déjà, que son épouse était morte... C’eût été la destinataire idéale d’un message annonçant qu’il était en difficulté, quelque part entre Manaus et Fonte Boa. Un sourire triste passa sur les lèvres d’Albin : si elle avait été encore de ce monde, serait–il sur le point de partir, comme un vieux fou, en Amazonie ?…

À part Christine, Albin ne se connaissait aucune famille, proche ou éloignée. Ses propres parents eux-mêmes avaient été enfants uniques : pas d’oncle, ni de tante, ni de cousins à l’horizon. Partant, point de nièces ou de neveux de ce côté–là…

Quant à la famille de Christine, pas question de les avertir de quoi que ce soit ! Une bande de tordus qui, à la mort de son épouse, avaient été jusqu’à vérifier son contrat de mariage, son testament, au cas où Christine aurait laissé une succession à laquelle ils puissent prétendre… Écœuré par ces démarches, Albin les avait tous virés avec pertes et fracas, et avait définitivement rompu les ponts avec cette engeance de boutiquiers avides !

Qui ? Il songea à quelques-uns des ex-collègues de bureau avec lesquels il avait été le plus lié. Il revit leur émotion, sincère pourtant, lorsqu’il avait pris sa retraite, six mois plus tôt. « Mais on se reverra, tu sais ! On gardera le contact… » Tu parles ! La dernière goutte de mousseux avalée, après le pot de l’amitié, dès la remise de l’inévitable lecteur–DVD–home–cinéma (le truc qui a succédé à l’inévitable caméscope, dans le florilège des cadeaux de départ à la retraite), acheté avec le produit de la collecte dont l’enveloppe de papier kraft avait circulé furtivement de bureau en bureau, – depuis cette petite cérémonie, donc, un peu convenue mais au fond sympathique, rien... Aucun signe de vie. Le retraité entre dans une demi mort. Un avis de décès ne serait qu’une simple confirmation.

Qui donc, alors ? Duchauffle, son partenaire aux dominos ? Il n’avait toujours pas saisi l’intérêt de cet étrange voyage au bout du monde. Il est vrai qu’en fait d’étranger, la seule excursion de Duchauffle hors du territoire national remontait à 1958, lorsque, adolescent, il s’était rendu à l’Expo Universelle de Bruxelles, où il était monté dans l’Atomium. Albin ne voyait pas à quoi pourrait bien servir la divulgation à Duchauffle d’un accident le concernant.

Ah, bah ! Maurice, tiens ! Le fameux Maurice, propriétaire du bistro éponyme ! Avec sa grosse voix de rogomme et son air de se foutre de la gueule de tout le monde, l’inénarrable Maurice faisait, quoi qu’il en eût, partie de son décor, de son petit monde… Mais de là à l’inscrire sur cette feuille, comme un proche, Albin sentait que c’était au-dessus de ses forces.

Mais bon sang, qui ? Devrait–il se rabattre sur cette brave madame Lamigeon… Alberte Lamigeon, que les copropriétaires n’appelaient que « la toquée du cinquième ». À cause, sans doute, de son amour immodéré pour les chats errants. Ses largesses alimentaires rameutaient dans la cour de l’immeuble une troupe féline miaulante et malodorante, qui lui valait la haine unanime de tous les résidents. En tout cas, elle s’était gentiment proposée pour arroser ses plantes (sa compassion s’étendait au règne végétal…), aérer l’appartement de temps en temps, et prendre en pension Agénor. Agénor, c’était le poisson rouge d’Albin, un beau cyprin aux reflets dorés, stupide mais vigoureux, qui ne se lassait pas, depuis plus de trois ans, d’explorer le vide de son bocal, guettant d’un œil rond les fines paillettes déshydratées que lui dispensait journellement la main parcimonieuse – mais fidèle – d’Albin.

Au fond, pour qui Albin comptait–il vraiment ? Qui se soucierait de le savoir gravement malade, grelottant de fièvre au cœur de la forêt amazonienne ? Qui craindrait pour sa vie, alors qu’il agoniserait sur l’épave démantelée d’une pirogue fracassée dans un rapide boueux ? Qui tremblerait de la gourmandise d’anthropophages au nez monstrueux, percé d’ossements humains ? Qui serait horrifié de l’inquiétant intérêt que manifesteraient pour lui les réducteurs de têtes ?
Sur la première ligne pointillée du questionnaire vierge, Albin inscrivit, avec une grimace désabusée :

« Agénor ».

18 novembre 2004



#361475 Mille étincelles

Posted by Jakolarime on 05 December 2006 - 10:52 AM in Salon de publication principal

Mille étincelles

Elle éclate en mille étincelles,
L’amour illumine ses yeux.
Il enferme dans ses prunelles
Le feu que lui souffle son dieu.

 
L’amour illumine ses yeux ;
Avec lui, dans une heure à peine…
Le feu que lui souffle son dieu
Est–il d’amour ou bien de haine ?

 
Avec lui, dans une heure à peine,
Et déjà le bonheur la prend !
Est–il d’amour ou bien de haine
Ce frisson sourd et pénétrant ?

 
Et déjà le bonheur la prend :
Il irradie toute la foule.
Ce frisson sourd et pénétrant
Dans son coeur et ses veines coule.

 
Il irradie toute la foule,
Il se répand sur tout le train.
Dans son coeur et ses veines coule
La mort qu’il porte sur ses reins.

 
Il se répand sur tout le train,
Jusqu’à l’homme à la face blême.
La mort qu’il porte sur ses reins :
Un geste bref : acte suprême.

 
Jusqu’à l’homme à la face blême
Son oeil s’attarde sur son dos.
Un geste bref : acte suprême.
Le feu, le sang, et le chaos.

 
Son oeil s’attarde sur son dos,
Songe au voyage… Adieu, la belle !
Le feu, le sang, et le chaos…
Elle éclate en mille étincelles.


Jakolarime © août 2005



#361482 Agénor

Posted by Jakolarime on 05 December 2006 - 11:06 AM in Nouvelles

Citation (socque @ Dec 5 2006, 07:24 AM) <{POST_SNAPBACK}>
Mais, à mon avis, les développements avant la chute sont trop longs.

Tu veux dire l'avant-dernier paragraphe ? Ou quoi d'autre ?

J.