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Les Mains Sales


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14 replies to this topic

#1 Gaston Kwizera

Gaston Kwizera

    The Fresh Prince Al Adriano

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Posted 13 August 2006 - 02:30 PM

Le dimanche a ici aussi le goût prononcé des parts de gras dans les viandes appétissantes. Je l’ai remarqué, les gens ont les mains grasses. Mais les miennes, petites et sans surprises, se portent grimaçantes. Je suis sorti ce matin, de bonne heure, sorti voir les plis de la rue, et j’ai tenté de m’y perdre, de me laisser avaler par les infidélités du goudron, par les gratte sols. Mais on ne se perd pas à Vion comme à la ville. Courage, la vie arrive.


Si je suis sorti, il y a une raison. C’est drôle ce concept de raisons, de causes, d’effets, comme si toutes nos actions en fait étaient des os qu’on ne cesserait d’articuler autour des mouvements des chasseurs que nous sommes. Bref… je me suis levé tôt, et je n’avais que très peu dormi, repoussant le sommeil comme une rencontre avec un inconnu, dont on sait que, s’il se peut qu’elle nous apporte des sourires, et même doubles en leur qualité d’inédits, voir de non envisagés jusque là, on sait également qu’elle nous promet une mise en route pénible, car nouvelle, qui nous obligera à appréhender l’espace qui nous entoure, à le déformer, à le rendre malléable, reprenant par là le processus que l’on appliquerait à un métaux, puis, l’insertion faite, à le ramener enfin dans sa forme solide, ce qui présente pour l’insert nouvellement associé, l’inconvénient de l’enfermer dans ce que nous appellerons la rigidité du recuit. Le dimanche s’ouvre très tôt sur les heures qui suivent. En s’enfermant sur lui-même, condamné à évoluer dans son propre cocon, tel un animal dont la gestation donnerait naissance à une larve qui le dévorerait ensuite de l’intérieur avant de s’en extraire, réalisant ainsi un processus infini de régénération aux yeux d’un spectateur extérieur, mais pour lequel, en son âme, l’animal remplacé, ne ressentirait qu’avec plus d’amertume et d’impuissance, mêlés en des termes si proches que les bleus du ciel et de l’océan se disputant l’un l’autre l’horizon des rêveurs, la fatalité et l’injustice du cycle de la vie. En effet, contrairement aux autres jours de la semaine, exception faîte peut être du samedi, qui traîne ici encore un double caractère, propre à le faire passer pour atypique, le dimanche ne s’inscrit dans aucune logique de succession si ce n’est, donc, sur lui-même. Moins interne au phénomène de ses frères de semaine que la rotation d’une planète sur elle-même vis-à-vis de sa rotation, plus solennelle, autour de son astre roi, et de la même manière moins ancrée que la succession des secondes à l’intérieur de celle des minutes, le cycle des dimanches sur eux-mêmes, semble représenter dans nos vies, la perte des illusions d’échappement, d’envol, puisqu’à peine la boucle d’une semaine achevée, et la suivante pointant son dard, nous nous enfonçons dans le cercle, ou la spirale, du septième jour.


Je descendais les quelques marches séparant l’étage du coucher de celui du jour, avec la conviction que rien ne pouvait rendre plus métaphorique ma descente vers les prochaines heures, que l’inclinaison que nous empruntons pour transformer une dénivellation verticale en simple marche. Et de la même manière que les voitures, dont je m’étonnerai lors de ma sortie de l’autonomie, traduisent par leur motorisation une rotation en un mouvement de translation, le seul dont l’homme semble s’accommoder, nous rallongeons la longueur de cet hypoténuse en palier pour s’éviter une pente trop abrupte.


Le dimanche c’était aussi ces odeurs qui remontaient jusqu’à ma porte, quand la fumée venait me cueillir au pied de ma chambre, et que l’esprit encore régi par les mécaniques nocturnes, où les engrenages des rêves coiffent toute image d’un symbolisme pesant, comme on habillerait un jeune homme quelconque d’un costume tellement particulier qu’il étoufferait sa personnalité pour n’en laisser transparaître que la fonction propre de l’habit, cette fumée à l’orée de ma chambre me laissait dans la crainte qu’un incendie ou un autre malheur dont la brume de mon cerveau, doublant celle qui se dressait, réelle, devant moi, m’empêcher des distinguer la nature. Bien mal débutée par cette alarme, d’une courte durée, puisqu’après les quelques pas menant jusqu’à la salle de bain, je m’interrogeais sur l’inquiétude qui avait pu m’animer à l’instant, la journée se teintait des saveurs du repas que ma mère préparait déjà, tandis que je n’avais pas même petit déjeuné. Ce repas, en sa consistance renforcée que lui offrait dans l’imaginaire de ma mère l’impression qu’étant un jour férié, le dimanche saurait lui accorder plus de temps qu’il ne lui en fallait pour mener à bien tous les projets qui s’accumulaient au travers des mécontentements qu’elle exprimait à chacun en semaine, et qui tournaient invariablement autour des mêmes points : rangement, propreté et dialogue. Ainsi pour ma mère, le dimanche retrouvait un lien avec la zone, qui pour moi lui restait hermétique, de la semaine ordinaire, et de même que ce repas dominical rejaillirait au cours des jours qui suivrait en de nombreuses occasions, ici pour finir telle partie de l’accompagnement dont elle avait, volontairement ou non, exagéré les parts, là pour justifier un régime spécial qui compenserait le trop plein quantitatif du dit repas, de même la semaine lui envoyait de petites flèches qu’elle décochait de leurs cibles en ce dimanche, pour nous lancer sur telle mission d’amélioration. Les jours travaillés étaient donc pour elle, l’occasion d’une continuelle mise à jour d’une boite à idée, dont elle faisait la synthèse avec une envie qui ne trouvait pas son répondant chez nous. En effet, il me semblait impossible, comme s’enfermer dans une boucle infini qui ne prendrait fin qu’avec la destruction de l’univers où se tenait cette boucle, d’inscrire dans cette journée quelque activité que ce soit, moins de peur sans doute que je ne m’y trouve prisonnier plus longtemps que le laissait présager l’estimation de ma mère, mais plutôt de peur de n’en jamais sortir. C’est donc sur ce principe que je lui refusais systématiquement mon aide, prétextant parfois une fatigue accumulée, que seul ce jour me laissait le loisir de combler, ou la plupart du temps depuis mon retour, ne donnant d’autre justification que mon envie d’aller prendre l’air.


Inévitablement, mon refus succédait aux protestations d’Alex d’aller faire une commission, et à l’absence de mon père, qui profitait de la fraîcheur stimulante du matin pour s’occuper du jardin. Avant de me mettre en marche vers le village, je me trouvais donc chargé de le prévenir de toutes les tâches auxquelles nous nous étions, mon frère et moi, dérobés. Notre jardin, et j’emploie ici la possession plurielle d’un point de vue technique seulement, tant ce jardin, n’occupait une place effective que dans la vision de mes parents, Alex, comme moi, n’ayant jamais fait le deuil de la cour que nous avions à disposition chez ma grand-mère, lorsque nous y habitions encore, et rejetant dans le refus de bénir l’arrière de notre propriété de sa présence et de ses jeux, tout son regret de cette cour qui donnait ensuite sur le jardin plus grand de grand-mère, et la cabane enfin dans le fond que son fils y avait construit pour notre plus grand bonheur. Notre jardin, donc où je trouvais mon père entre les lignes de maïs qui n’avait plus d’utilisation depuis deux étés, et les lignes de tomates, qui elles, méritaient toute son attention afin de produire assez de fruits pour combler nos besoins en sauces, tomates fraîches et farcies pour une année. Apprenant ma décision d’aller me balader, mon père me conseillait alors, en fonction du temps et de son humeur, le meilleur chemin à emprunter suivant que je voulu prendre mon temps ou revenir comme on revient d’un entraînement. Il me faisait en me voyant partir, un signe de la main, se relevant seulement à cet instant de sa position penché, et je regardais une dernière fois cette main s’agiter, cette main qui essuyait avant d’arriver à hauteur de son mouvement son front en sueur, cette main enfin qui inscrivait un geste bref au dessus de sa tête, cette main sale comme la mienne, cette main sale.

#2 emeline

emeline

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Posted 13 August 2006 - 09:42 PM

Oui j'ai vu, le tien est entre mes mains (propres) c'est mieux (:
moi non plus (j'ai failli mettre)

je ne refaillirais pas ne rien mettre

#3 Gaston Kwizera

Gaston Kwizera

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Posted 13 August 2006 - 11:22 PM

j'ai plongé les yeux fermés
koolkiss

#4 Gaston Kwizera

Gaston Kwizera

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Posted 14 August 2006 - 08:04 AM

non c'est pas pour faire le chiant, mais c'est vraiment nul de plus pouvoir éditer ses textes !

#5 emeline

emeline

    Emeline

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Posted 14 August 2006 - 09:30 AM

avoue le , c'est un peu pour faire le chiant quand même

qu'ya til ? ça m'a fait drôle de lire ça de toi
j'ai regretté les mains propres .

et ton premier paragraphe comme un ressac

et c'est très bon pour quelque chose mais je suisi pas assez calée pour dire pourquoi . (: huhu
non je me souviens juste hier soir avant de dormir
les indices que je cherchais
ipour moi même . dans tout ça pour voir, pour voir, si en faite on est pas tous pareil.

#6 Ben-du-Toit

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Posted 14 August 2006 - 09:53 AM

Ah Gaston...

A la première lecture, je me suis perdu au milieu du second paragraphe.
je trouvais cela abstrait, trop. J'avais l'impression que tu faisais comme
exprès d'emmener ton lecteur dans un labyrinthe puis de te dérober sans
laisser de clé de compréhension.
Ce faisant, sur un texte long, beaucoup de lecteurs vont abandonner.

Et pourtant, que de bonnes choses !
En te lisant je pensais à Marcel Proust :
le même voyage intérieur aux travers des souvenirs et des êtres.
Presque la même construction des phrases.

(A ce propos, pense à l'utilisation du point virgule,
ça permet d'écrire des phrases longues en séparant mieux
les parties qui peuvent l'être et cela facilite la lecture,
plus qu'on pourrait le croire à priori.
Donc Gaston, je te renvoie à Marcel !)


J'ai bien aimé :

- le cycle des dimanches qui est un autre cycle que celui des jours de la semaine

- "les voitures [...] traduisent par leur motorisation une rotation
en un mouvement de translation, le seul dont l’homme semble s’accommoder[...]"

- "nous rallongeons la longueur de cet hypoténuse en palier pour s’éviter une pente trop abrupte"

- les deux derniers paragraphes : là, on peut vraiment revenir dans le texte et les choses s'éclairent,
prennent leur cohérence et leur substance. On a alors vraiment l'impression d'être avec
toi et que tu partages quelque chose avec nous (je dis nous les lecteurs).


Au final, voilà un texte que j'aime beaucoup,
mais tu devrais revoir le second paragraphe pour le simplifier.

Dernier point :

Le titre et les derniers mots : "Les mains sales"
Apparemment c'est pas une histoire de jardinage donc,
ça arrive de manière un peu anachronique, sans doute par pudeur
et du coup ça fait son effet ...

#7 Gaston Kwizera

Gaston Kwizera

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Posted 14 August 2006 - 10:54 AM

Emeline ? bon non je te dirai plus tard, si tu permets bien sur, et si j'ose


et Ben...
tu as totalement raison sur le 2e paragraphe. et en même temps, si certaines lourdeurs peuvent y être supprimées, il gardera toujours une certaine difficulté au premier abord qui ne pourra être soulagé que par la lecture de la suite.

oui, Proust, j'y suis en plein dedans, jusqu'aux coudes smile.gif ,alors les enseignements vont venir petit à petit

(puis oui, les mains sales, c'est pas qu'à cause du jardinage)

merci de ta lecture !

#8 Salam

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Posted 14 August 2006 - 11:14 AM

Je me suis laissée aller au travers de ces mots comme une ballade, avec parfois des obstacles comme trop de mots, mais à l'arrivée le sentiment qui gagne c'est d'être aller jusqu'au bout parce que la ballade valait le coup.

#9 emeline

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Posted 14 August 2006 - 12:34 PM

alekoum biensur que j toto rise .
(ref : maternelle / ben harper "rise rise rise")

bon toi tu totoses ?

#10 .ds.

.ds.

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Posted 14 August 2006 - 08:50 PM

Lu. Belles mains. Bisous

#11 Gaston Kwizera

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Posted 15 August 2006 - 12:30 AM

Salam, Surfin bird : merci de votre courage !

ds : je te les tends si elles sont belles. zoubis

em' : ouah j'ai presque tout compris à ton com ! ah pis patience, on se recroise, j'ai prévenu mes doigts

#12 Carla.

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Posted 16 August 2006 - 08:26 AM

Au premier abord, il y a une sorte de détachement, une distance entre les émotions et les "personnages" ou les lieux, et puis on s'attache aux détails, aux odeurs, aux bruits, aux gestes, et on entre en territoire de l'intime. A part quelques petites longueurs (si je peux me permettre), j'ai aimé ton texte.

#13 Gaston Kwizera

Gaston Kwizera

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Posted 17 August 2006 - 08:21 AM

merci Carla pour ta remarque

#14 socque

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Posted 17 August 2006 - 09:48 AM

Gaston, je trouve ce texte très intéressant, dans la continuité de ce que tu nous as donné à lire jusqu'à présent, mais avec quelque chose en plus. Et je crois que ce quelque chose, effectivement, vient de ta lecture de Proust, comme l'a senti Ben-du-Toit.

Il y a d'excellentes idées à propos de ce que représentait le dimanche, la perception que tu en avais par opposition à celle qu'en avait ta mère, et toute l'ambiance de la maisonnée.

Un texte plein de promesses à mon avis, mais qui ne parvient pas encore à les tenir. Pour arriver à faire émerger les idées, à faire sentir les choses comme faisait Proust, je pense qu'il te faut revenir sur tes phrases, les polir, les épurer. L'utilisation de nombreuses subordonnées et relatives n'est pas un problème, mais il faut les recadrer, les lire et relire jusqu'à ce qu'une musique en sourde...

Tu t'es engagé dans une voie ambitieuse, je pense que tu as les moyens d'arriver au bout, mais ça ne va pas se faire tout seul ! Je te souhaite donc du courage et de la persévérance, et attends égoïstement le plaisir rare que ta prose sera bientôt capable d'apporter...

Ah, la phrase d'entame, "Le dimanche a ici aussi le goût prononcé des parts de gras dans les viandes appétissantes." Une merveille !

Edited by socque, 17 August 2006 - 09:49 AM.


#15 Gaston Kwizera

Gaston Kwizera

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Posted 20 August 2006 - 09:11 AM

Citation (socque @ Aug 17 2006, 10:48 AM) <{POST_SNAPBACK}>
Un texte plein de promesses à mon avis, mais qui ne parvient pas encore à les tenir.


ahah, je suis tout à fait d'accord... ce texte me montre pour l'instant le palier entre ce que je voulais en faire et ce que j'en ai fait. Je vais déjà faire le tour de mes dents complètes avant d'utiliser celles qui poussent (mais qu'il faut bien aiguiser). Bref, à dans quelques temps pour ces lignes là.




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