Je rentre à la maison pour prévenir ses enfants. Ces derniers habitent à des kilomètres et ne seront pas là avant ce soir tard ou demain. Après les avoir prévenus, je retourne à l'hôpital pour ne pas la laisser seule. Ma venue dans la chambre, semble être un événement. Je papote gentiment avec elle durant quelques instants, puis, elle me prend la main, me fixe droit dans les yeux et me dit : "tous mes biens iront à mes enfants, à vous, je lègue ma foi". Je lui réponds que cela me touche beaucoup et me fait très plaisir. En fait, je suis rassuré car je craignais qu'elle veuille me donner de l'argent, et cela m'aurait beaucoup gêné.
Bien que je sois dans une situation financière difficile, il est hors de question de soutirer de l'argent à quiconque, encore moins à une vieille dame. Si je lui rends quelques petits services, c'est par pure sympathie, je serais fortement vexé si quelqu'un venait à penser que je suis une personne intéressée.
Vient l'heure du repas du soir. Je l'aide à manger, et au moment de partir, elle me dit que quelque part elle languit de mourir, au moins je pourrais hériter de sa foi. Je m'empresse de changer de conversation et ne tarde pas à rentrer.
*
* *
Ce fut le dernier jour où je la vis. Quelques semaines plus tard, un samedi soir, on frappa à la porte. J'ouvre au fils de cette dame. Ce dernier, le visage fermé, tenait à la main un livre et un collier orné d'une croix. Il venait m'annoncer la mort de sa mère et qu'il accomplissait une de ses dernières volontés.
En effet, avant de tomber dans le coma, la vieille dame avait fait promettre à ses enfants de me donner son chapelet et ses évangiles et d'insister au cas où je le refuserais : "c'est ton devoir de chrétien, lui avait-elle dit ; tu dois apporter la bonne nouvelle, promets-moi de l'aider s'il a besoin de quelque chose".
Bien entendu, j'acceptai le livre et le chapelet qu'elle avait préparés à mon intention. Je l'invitai à passer quelques instants avec moi, et lui donnai mes coordonnées afin que nous restions en contact.
Lorsque ce monsieur est parti, je pensais que je ne le reverrai jamais. C'est quelque peu dommage car je le trouvais fort sympathique.
Six mois ont passés et je n'ai toujours aucun emploi. Ma situation financière s'aggrave. Bientôt le seul salaire de mon épouse ne suffira pas à subvenir aux besoins du couple, et nous serons obligés de nous séparer de certains biens.
Aujourd'hui, j'ai rendez-vous avec un conseiller d'orientation pour changer de métier. Aucun métier ne m'attire particulièrement, mais à présent faire un choix s'impose.
Bien que j'aie rendez-vous en fin de matinée, je suis parti ce matin très tôt pour profiter de faire le trajet avec une connaissance qui travaille tout près de l'agence de chômage. Ainsi, cela me permet d'économiser les transports en communs.
Ce matin, un vent léger me pénètre et me glace. Je ne pourrai pas tenir dehors toute la matinée. Mes yeux se posent sur l'église, et je me souviens de ma voisine. Alors, je profite que la rue soit déserte pour rentrer discrètement dans l'église et m'installer sur un banc en attendant que le temps passe.
Il me revient alors en tête un rêve étrange que j'ai fait la semaine dernière. J'y avais croisé ma voisine, celle que j'avais accompagnée à la messe. Elle était fortement en colère car elle ne pouvait pas aller à l'office, elle ne trouvait plus ses évangiles ni son chapelet. Elle incriminait son fils qui se confondait en excuses. Puis, me revint à l'esprit la phrase que disait toujours ma grand-mère :"si tu croyais en Dieu, tu verrais le monde autrement".
Et si j'essayais de prier ? Après tout, je suis seul dans cet édifice. Si je prie sans parler, personne ne saura ce que je fais. Si on réfléchit, dans le pire des cas, j'aurai gaspillé quelques pensées.
Comment prier, surtout lorsque l'on n’est même pas sûr d'être entendu ? Et puis, qu'est-ce que cela va m'apporter ? Mes yeux se posent sur des livres mis à disposition sur le banc. J'en prends un au hasard et l'ouvre.
Je ne parlerai pas d'instinct, mais sans y réfléchir, je demande à Dieu de trouver la solution à mes problèmes. J'ouvre le livre au hasard et lis un passage. Bien que cela me paraisse abstrait, je lis le psaume en entier.
Une main me tape sur l'épaule. Je reconnais Michel, un ancien camarade de classe. Le plus discrètement possible, je pose le livre sur le banc. Michel semble ne rien avoir remarqué. Il me dit être content de me revoir après tant d'années, et m'invite à aller boire un café dans la sacristie pour pouvoir discuter un instant.
La Table Du Seigneur (deuxième épisode)
Started by D.GOLL, Jul 24 2006 09:36 PM
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