à Propos De Rien
#1
Posted 13 March 2006 - 07:56 PM
C’est comme ça que je me vois : plutôt honnête. Comme quoi on est pas le meilleur juge pour soi-même. Pourtant, même en bagnole, j’ai tendance à respecter les règles. J’en ai trop vu des rigolards, des rois de la suspension qui ont fini par s’emplâtrer une famille arrivant en sens inverse à la sortie du virage.
Enfin je vais pas m’étaler sur ma vie ni raconter le passé, parce que c’est ce qui va m’arriver maintenant qui me fait peur. Et oui j’ai peur. Déjà quand je longeais le mur de la prison pour aller au resto le samedi midi, j’étais pas rassuré. Je m’imaginais très bien un type qui saute les cinq-six mètres là devant moi, et qui s’écrabouille les jambes sur le trottoir. Il crie et je ne sais pas quoi faire. Ou bien ses copains l’attendent en bagnole, armes à la main, prêts à tirer sur tout ce qui bouge. J’essaie de ne pas bouger.
Oui je m’imagine. Je suis plutôt imaginatif aussi. Mais là ce soir, j’essaie de ne pas. De penser à autre chose. Ce n’est pas facile. Donc le samedi midi je vais manger au resto bio avec les profs à la retraite. Je ne suis pas très bio personnellement, mais dans celui-là on mange rudement bien. Un vieux pianiste tout maigre, tout ridé et un poil susceptible joue de vieux trucs. Des chansons de l’entre-deux guerres et d’après-guerre. Il les joue plutôt bien. Une fois à la fin du repas je me suis pris au jeu, j’ai chanté avec lui. J’ai chanté et d’un coup c’était trop fort. La patronne bio m’a demandé de baisser d’un ton. Là dans ce bistro on est pas loin de la prison. Je me demande si l’on entend les types qui crient à l’intérieur. Ou si ils baissent d’un ton d’eux-mêmes.
En fait, je n’arrive pas à penser à autre chose, parce que j’ai peur. Très peur de ce qui va m’arriver. Jusqu’à cette histoire de détention préventive, je ne pensais pas à la prison. Comme tout le monde j’avais lu et entendu. Mais pas plus. J’ai même bossé quelques années avec une infirmière qui avait fait de la taule. Je veux dire qu’elle avait travaillé à l’infirmerie de la prison. Ce qu’elle racontait quand elle en parlait n’était pas très reluisant. Elle n’en parlait pas souvent. J’essaie de me souvenir : la distribution de cachets le soir, plus ou moins forcée par les gardiens. Elle pouvait pas rester seule avec un détenu, ne serait-ce qu’une minute, elle disait.
Et là, qu’est-ce qu’il va m’arriver, hein ? Remarquez, je pose la question, mais on le sait tous, au fond. On sait tous comment ça se passe dans nos prisons. On a lu les articles les compte-rendu les rapports le bouquin de la toubib de la Santé. Enfin, le reportage sur le bouquin, etc… On sait tous, mais on a pas trop envie de fouiller. Parce que ça fout quand même la trouille. Et qu’on pense tout de suite à autre chose. Parce qu’on n’est pas directement concerné.
Moi si. Je suis directement concerné parce que ce soir je passe ma première nuit en prison. Et j’ai peur. Peur d’être battu humilié violé. Parce que ça peut très bien arriver. Parce que rien n’est fait pour que ça n’arrive pas. Pourtant je ne suis condamné à rien. Comme je l’ai dit plus haut je n’ai rien fait de répréhensible. Et la preuve, c’est que je ne suis condamné à rien. Je n’ai pas encore été jugé. Je vais faire de la détention préventive. Ça c’est une jolie phrase. Ça veut dire en français moderne que je vais sans doute me faire battre humilier défoncer l’anus par décision judiciaire, dans un pays moderne et démocratique comme le mien, sans avoir rien fait.
Le juge m’a dit qu’un faisceau de présomptions pesaient sur moi. Voilà bien le truc : je suis soupçonné, et on me met au frais pour que je n’influence pas le cours de la justice. Pour que je ne m’échappe pas non plus. Et du coup c’est le cours de la justice qui a de l’influence sur moi et je ne peux pas y échapper.
Là je regrette maintenant. Je regrette vraiment de n’avoir rien fait avant. Non, on ne se comprend pas, je ne parle pas de mon histoire, je n’y suis pour rien ça vous pouvez me croire. D’ailleurs dans quelques mois ça sera mis en évidence, je serai jugé acquitté libéré. Quelques mois vous vous rendez compte ? A quatre ou cinq par cellule avec des mauvais des paumés des que ça rend fous des obsédés des frustrés des violents des en-manque, tout ça. Je ne les juge pas, remarquez bien. Je vais les subir. C’est ça la prison.
Non, je regrette de ne rien avoir fait pour dénoncer le scandale des prisons de mon pays. Parce que, comme je l’ai déjà dit, je savais. Comme tous les citoyens de ce pays je savais et je n’ai rien dit. Pas de lettre à mon député. Pas de mot dans le courrier des lecteurs de mon journal. Même pas de sujet sur un forum internet. Pas un de ces trucs qui aurait au moins fait entendre ma voix.
Maintenant , ce soir, ma voix, on risque de l'entendre en prison. Et je ne me demanderai même pas si on l’entendra jusqu’au restaurant bio. D’ailleurs il n’y a pas de piano, le lundi soir.
#2
Posted 13 March 2006 - 09:15 PM
Belle prose qui nous tient en haleine jusqu'à la fin.
Bises
#3
Posted 13 March 2006 - 09:24 PM
"Le plus légalement du monde, par la décision d'un juge"
J'ai pensé au drame d'Outreau et aux victimes innocentes!
#4
Posted 14 March 2006 - 09:19 AM
C'est sûr
ça remue
Baci
#5
Posted 14 March 2006 - 09:46 AM
Froid dehors, froid dedans... Je ne sais pas où j'ai le plus froid !
Presque envie de crier
Pascale
#6
Posted 14 March 2006 - 11:16 AM
#7
Posted 14 March 2006 - 11:46 AM
Bientôt, on fera faire de la préventive aux enfants "génétiquement" délinquants, n'est-ce pas ? La tendance eugénismo-nouille nous guette...
Félice.
#8
Posted 14 March 2006 - 10:25 PM
felice
style engeôleur
#9
Posted 14 March 2006 - 10:30 PM
#10
Posted 14 March 2006 - 10:31 PM
#11
Posted 14 March 2006 - 10:38 PM
Félice.
#12
Posted 15 March 2006 - 11:06 PM
#13
Posted 16 March 2006 - 05:50 AM
je te mets un com gentil
je ne suis pas si mechant en fait
tu le sais
la mechancete ne rime a rien
#14
Posted 16 March 2006 - 08:14 AM
je ne t'ai jamais jugé
tu sais
#15
Posted 16 March 2006 - 12:59 PM
#16
Posted 16 March 2006 - 01:16 PM
A priori on devrait pouvoir dire ça comme ça
Mais ya des contre exemples : autant de clics pour "Les violeurs"...
#17
Posted 17 March 2006 - 10:19 AM
Alors plus d'argent pour les prisons ?
Mais en prison, on ne vote pas ....
Même lorsqu'on en sort d'ailleurs...
Pascale
#18
Posted 18 March 2006 - 08:49 AM
#19
Posted 18 March 2006 - 05:10 PM
#20
Posted 18 March 2006 - 11:17 PM
#21
Posted 19 March 2006 - 08:45 PM
#22
Posted 19 March 2006 - 08:55 PM
#23
Posted 20 March 2006 - 08:17 AM
#24
Posted 20 March 2006 - 09:26 AM
Texte saisissant, sobre et émouvant !
Pour avoir regardé in extenso l'ensemble des débats de la commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau, on est bien face à deux problèmes, relativement indépendants. Dans le sens où la régularisatrion de l'un n'entraînera pas la disparition de l'autre.
Le premier c'est l'abitraire, dans le cadre d'une démocratie dite avancée. Et pas simplement au niveau de l'instruction. Bien sûr un juge d'instruction porte des responsabilités, mais pas plus qu'un officier de police judiciaire, ou un magistrat du siège. Cet arbitraire, qui ignore la parole du citoyen, des ses défenseurs, qui permet l'instruction à charge, qui banalise l'incarcération, cet arbitraire semble surgit d'un passé caricatural, on voudrait dire médiéval. Mais on est bien au XXIe siècle, trois siècles après Voltaire. Et ça, ce n'est pas une histoire d'argent ! L'argent n'a rien à voir là dedans, vraiment pas. C'est bien un problème de société, de prise de conscience, et on espère, on voudrait croire que ces vies brisées amèneront bien ce sursaut qui permettrait à l'innocent (celui qui n'est pas reconnu coupable par une cour) d'être à l'écart de l'univers carcéral. Ailleurs, dans les autres démocraties, on ne traite pas les justiciables de cette manière. Pourquoi ici, en France, pays des droits de l'homme ?
L'autre problème, c'est l'univers carcéral lui même. Ce milieu sordide, une sorte de jungle, secteur de non-droit où la loi du plus fort est la règle.
Je dirais que même imaginer un coupable privé de liberté dans ces conditions, au demeurant ce peut être un fraudeur fiscal par exemple (quel crime !), un coupable donc doit être privé de liberté. Il ne doit pas subir la "loi" de ses congénères et on sait de quelles "lois" il s'agit.
Alors imaginer qu'on envoie des milliers d'innocents dans ce monde là chaque année, glace véritablement les sangs. Vraiment, où est-on ? Traite-t-on vraiment des vrais problèmes de société ? On préfère alarmer la population sur un pseudo problème pandémique vollaillier qui tue quelques dizaines de personnes chaque années dans le monde, plutôt que de prévenir le suicide de plusieurs centaines de personnes dans les prisons françaises chaque année.
Ici encore, je dirais que les aspects budgétaires sont de fausses excuses aux vrais problèmes. Il s'agit de courage politique plus qu'autre chose.
Le choc d'Outreau est révélateur. Mais quelle est la part de sincérité du monde politique (parlementaire) dans ces gesticulations théâtrales ? On va dire que l'avenir le dira, allez ! Essayons d'être optimiste.
Désolée d'avoir été un peu longue et péremptoire.
Ce sujet m'interpelle comme on dit à la police.
Bien à toi,
Maud
#25
Posted 20 March 2006 - 09:30 AM
Fort interessant, au demeurrant.
Félice.
#26
Posted 20 March 2006 - 02:45 PM
j'essaie d'écrire
#27
Posted 21 March 2006 - 08:45 AM
j'essaie d'écrire
Mais si, on secomprend, allez (sourire).
Maud.
#28
Posted 21 March 2006 - 09:02 PM
sourire
tu es très jolie sur la photo
#29
Posted 21 March 2006 - 10:10 PM
m'aura
rapporté
presque
plus
de com
que
mes
textes
sourire
Maud
#30
Posted 22 March 2006 - 12:46 PM
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