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Faites De Mauvais Rêves !


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#1 Jakolarime

Jakolarime

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  • TLPsien
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  • Location:Argenteuil, France

Posted 03 December 2006 - 02:03 AM

Faites de mauvais rêves !



Dès qu'il eut franchi la porte automatique, il fut envahi par un puissant sentiment de « déjà vu ». Certes, l'agencement général des portes, des couloirs, des comptoirs et des autres éléments du mobilier n'avaient rien d'original : on trouvait ce style d'architecture passe-partout dans nombre de halls d'hôtels et de bâtiments administratifs modernes. Mais cet immeuble se distinguait par son ampleur écrasante, par le gigantisme de ses proportions. C'était si vaste qu'on se serait toujours cru à l'extérieur...

À peine revenu de son premier saisissement, il fut frappé par le silence qui régnait, en dépit du fourmillement agitant l'immensité de la dalle, luisante comme un miroir, parsemée de groupes de six à dix personnes qui semblaient entretenir des conversations animées, sillonnée en tous sens par des individus à l'air affairé. Mais aucun son n'accompagnait les conciliabules des uns, ni la précipitation des autres.

Baigné dans une angoisse croissante, il se dirigea aussi bravement qu'il le pouvait vers une batterie d'ascenseurs. Comme il frôlait les cercles de causeurs, il constatait que les conversations cessaient sur son passage. Les gens le dévisageaient d'un air réprobateur, les têtes se tournaient pour suivre son déplacement. Pourtant, après qu'il eut tenté, par quelques coups d'œil lancés à la dérobée, de lire sur les visages des marques plus précises de l'hostilité qu'il suscitait, il réalisa avec terreur qu'il ne pouvait distinguer aucun trait, aucun regard ni aucune expression définis. Les personnes qu'il croisait étaient réduites à l'état de silhouettes muettes au milieu desquelles il se sentait un intrus.

La traversée du hall lui parut interminable. Les ascenseurs étaient son seul espoir de répit salvateur ; mais alors qu'il approchait des portes d'acier, une face unie de granit gris s'interposa comme une infranchissable muraille : les ascenseurs avaient disparu... Conscient du ridicule de la situation, il se résolut à faire demi-tour, et à affronter à nouveau le rejet de la foule.
Mais la gestuelle et les mimiques des bataillons ennemis avaient évolué. Elles reflétaient maintenant une moquerie méprisante, et une honte indicible succéda à son angoisse. Baissant la tête, il longea le mur aveugle pour se diriger vers une large volée d'escalier, qu'il s'étonna de ne pas avoir repérée dès son entrée dans l'immeuble. En gravissant les marches, il sentit se dissoudre la chape d'agressivité qu'il venait de subir si douloureusement.

L'escalier central débouchait sur un palier d'où partaient, à droite et à gauche, deux nouvelles séries de marches. Sans être vraiment assuré de son choix, il opta pour celle de gauche, qui lui semblait mener à une coursive en loggia pouvant correspondre à la direction qu'il recherchait. Il parvint bientôt à un large corridor, aux innombrables portes munies d'étiquettes indéchiffrables. L'extrémité du couloir donnait sur un autre palier dont la disposition était parfaitement identique à celle du lieu qu'il venait de quitter. À nouveau, le choix de la suite du parcours s'ouvrait à lui. Il prit cette fois l'escalier de droite.

En abordant le couloir, copie conforme de celui qu'il avait précédemment emprunté, et comprit que le palier où il arriverait au terme de sa course le placerait devant un choix désespérément semblable à ceux qu'il avait eu à exercer. Il n'arriverait jamais à destination.

Effondré, au comble de la frustration, il décida qu'il était temps de se réveiller.

Jacques Fabre "Jakolarime" © 22 mai 2005




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