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Toi Paris, Je T'ai Dans La Peau...(iv)


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#1 Paname

Paname

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  • TLPsien
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Posted 19 December 2006 - 01:23 AM


Le cercle de tes buttes, à la morgue rabattue par le nivellement de la pioche, et dont je me prends à rêver d’effacer l’effacement, devait avant Haussmann et ses prédécesseurs offrir des promontoires d’où la vue portait tout à l’entour jusqu’à se perdre en de lointains moulins…A rendre jalouses les lumineuses collines de Rome…
Pas de barres sacrilèges, pas de tours infernales, qu’elles soient de Babel ou bien de Montparnasse, pas d’usines à fumerolles ni de béton armé, pour arrêter le regard du travailleur des vignes de Montmartre ou du laboureur de Belleville, où qu’ils le portassent à la ronde.
Et pour la première fois peut-être de sa chienne de vie, en tout cas la dernière, la rétine du pauvre hère hissé au gibet de Mautfoncon pouvait imprimer spectacle aussi grandiose, juste avant de s’obturer pour toujours, très vite, comme par miséricorde, pour ne pas lui donner trop le temps d’en regretter la splendeur. Et avant de sentir enfin s’échapper de son humaine prison l’âme damnée que sa triste vie lui avait faite aussi noire que les corbeaux d’ébène tournoyant déjà de leur ombre sinistre au-dessus de sa pauvre carcasse.
Au moins, à sa dernière seconde horizontale, son regard avait-il contemplé l’océan apaisé de la terre infinie, et non pas redouté l’écoeurant festin qui se préparait cruellement à la verticale de sa tête entravée.

Le grand Napoléon III, que le non moins grand Hugo jugeait si sévèrement, comme quoi tout le monde peut se tromper, qu’il ne l’appelait que « le petit », et quand il était gentil, commanda à ses armées pacifistes de terrassiers de hacher menues celles de tes collines qui se rebiffaient encore. Il y fit percer bien droit le viol de larges et pénétrantes artères d’où les chevaux, canons et mitraille de ses troupes guerrières prendraient en enfilade toutes les barricades de nos belles révolutions.
Ce grand bourgeois de demi-portion de petit Thiers sut bien en profiter sans même attendre leur achèvement : sa rapide et sanglante chasse à l’homme, entamée revancharde vers Sèvres et poursuivie, tambour battant et mitraille crachant, dans la traversée fulgurante de tes tripes mises à l’air au scalpel des stratèges impériaux, ne se vit effectivement ralentie que par les ruelles d’un Montmartre insupportable de provocation et de défi narquois, et par le lacis enchevêtré d’une Belleville terminale et d’un Ménilmontant fatal.

C’est bien eux, retranchés sur leurs buttes inviolées, qui allaient retarder pour un temps, le temps compté mais pourtant éternel de l’idéal, l’épreuve et la lutte finale des Fédérés, lions glorieux bientôt acculés au Père Lachaise, le dos au Mur qui allait devenir le leur à jamais.

Seule Montmartre garde encore un semblant de montagne, qui n’a pas subi le sort de celles de Sainte Geneviève ou de Chaillot…
Mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur, car parfois les hommes font inconsciemment le bon choix : si la butte des Ternes fut fortement aplanie, son abaissement me permet aujourd’hui, depuis le Carrousel, de porter le regard au-delà de l’Arc napoléonien jusqu’à l’Arche mitterrandienne, immense et inégalable perspective dont ne pouvait rêver un Chalgrin, même visionnaire !
Alors que le nivellement de Montmartre, même s’il avait été réalisable, n’aurait rien apporté d’utile au quartier, sinon banalité : il n’aurait dégagé la vue que sur une morne Plaine, sur le Stade de France, et vers l’essaim de guêpes du plat et lointain Roissy...
Il y a parfois une  justice.





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