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[Jakolarime]

L’œuf à repriser


Je ne me rappelle plus quelle impérieuse nécessité de bricolage domestique m’avait conduit à fouiller dans ce carton poussiéreux et rafistolé. On pouvait à peine déchiffrer l’étiquette délavée portant, dans la belle écriture ronde de mon père, la mention : « petits outils ».

Je ne l’avais pas ouvert depuis le jour où, le cœur encore dolent des peines de mon deuil récent, j’avais vaguement trié, et emporté avec moi quelques pièces du pauvre et inestimable héritage. La petite pince chromée à bouts recourbés était là, bien rangée parmi les gouges biscornues, les minuscules tournevis d’horloger ou d’orfèvre, et les canettes métalliques de fil à coudre dont ma mère garnissait précieusement sa machine Singer.

Mais mon regard s’attarda sur un œuf à repriser en bois, blessé de traces de mordillement qu’y avait laissées Micky, notre premier chien, alors tout jeune, en se faisant les dents. Prenant l’objet en main, je fus tout à coup saisi d’une vague de nostalgie. L’image de ma mère, courbée sous la lampe, faufilant son aiguille brillante entre les fils de la trame dont elle avait aveuglé la blessure béante d’une chaussette, fit irruption dans mon souvenir. Elle était jeune, encore : sur son nez, point de lunettes. C’était le temps où les chaussettes se reprisaient...

Tout petit bonhomme, j’avais été réveillé par un urgent besoin naturel. Mon affaire faite, j’avais trottiné, pieds nus dans la demi obscurité, guidé par la lumière qui s’échappait de la salle à manger. J’avais glissé la tête dans l’ouverture de la porte. Une corbeille à ouvrage débordant de chaussettes sinistrées étalait son contenu sur la table. Sentant ma présence, elle avait relevé la tête, surprise, et avait chuchoté en souriant : « Tu es debout, à cette heure-ci ? Il est plus de minuit, tu sais… Va vite te recoucher ! »

Avais-je alors senti pourquoi mes vêtements, ceux de mes frères et sœurs, étaient toujours impeccables lorsque nous nous levions, le matin ?

Je caressai l’œuf de bois, puis le reposai délicatement dans le vieux carton. Depuis, j’ai compris beaucoup de choses.

Jakolarime © 8 février 2005

[Artemisia]

Non, on ne reprise plus les chaussettes aujourd'hui...
Et combien savent encore ce qu'est un oeuf à repriser ?

Moi qui ai le même genre de souvenirs, ton texte m'a tiré des larmes.

As tu connu aussi le temps des lessiveuses en zinc, où dans la cour, sur un réchaud, on faisait bouillir le linge ? Odeur de savon, odeur du "propre". Vapeur, chaleur. L'eau laiteuse qui s'écoulait sur les pavés du sol. La mousse qui sortait par le champignon posé au centre de la lessiveuse et s'échappait sous le couvercle...
Et les draps blancs qu'on étendait sur le fil du jardin...

Souvenirs des mères et des grands mères courbées sous la tâche, souvenirs de femmes.

Merci, Jacques.

Artemisia

[Jakolarime]

[...]As tu connu aussi le temps des lessiveuses en zinc, où dans la cour, sur un réchaud, on faisait bouillir le linge ? Odeur de savon, odeur du "propre". Vapeur, chaleur. L'eau laiteuse qui s'écoulait sur les pavés du sol. La mousse qui sortait par le champignon posé au centre de la lessiveuse et s'échappait sous le couvercle...
Et les draps blancs qu'on étendait sur le fil du jardin...
Souvenirs des mères et des grands mères courbées sous la tâche, souvenirs de femmes.
Merci, Jacques.
Artemisia

Tu parles, si je m'en souviens. J'ai même écrit un petit texte à ce sujet, et que je poste illico (cf. Jour de lessive)

Jakolarime