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Acre - jeux d'enfants, course folle (prose)


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7 replies to this topic

#1 satha

satha

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  • TLPsien
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Posted 13 April 2005 - 11:07 PM

Aigreur de certains matins jetés sur le monde comme un manteau trop lourd sur le corps d’un enfant fatigué. « Sors, va jouer !», mais jouer sur ordre c’est creuser la tombe de l’enfance. Risquer les miasmes et les poisons s’élevant de son cadavre étincelant.
Amertume des journées sous un soleil d’été de plomb, sous la chape étouffante des blés. Partie de campagne et sous-partie d’un chapitre écrit mollement dans un champ labouré de rayons. Moiteur de la peau qui se couvre du lait des sueurs estivales, solution saline et liqueur charnelle du grand vide-grenier de l’âme, et des sens et du corps. C’est la saison des corps putréfiés en lisière des forêts, des courses nocturnes prédatrices, des yeux fauves qui clignotent sous les étoiles, des halètements de minuit dans les tranchées des labours. De l’abandon constant aux faveurs du rien, rien faire et rien attendre, de rien.
Les péniches passent et repassent sans l’once d’un bruit, sans faire l’honneur d’un son, flemmardes, lourdes et molles. Flemme et paresse de déchirer l’ouate de l’air épais comme une soupe en hiver. Le courage aux paysans, et aux autres l’ombre et le regret où l’on se tapit, les parties de cache-cache avec le soleil qui vous trouve même au fond du lit, dans une bulle de chaleur aux relents d’ammoniac. A l’aube, ravivant ses feux émoussés et taillant sa corolle en svastika de mort : le soleil.
Mort sur les herbes hautes et sur la paille où le sang des bêtes coagule, festin des mouches, millions de bouches projetées avec voracité sur une pépite de chair corrompue; c’est le festin des jours maigres, l’orgie des charognards, l’épiphanie des pourritures qui se dorent et se pâment sous un brasier aveuglant. Et pas loin, les enfants jouent.
Leurs cris résonnent entre les arbres, leurs pas déchirent le sol d’un tremblement terrible qui se propage jusqu’aux branches, d’où il ébranle le ciel et rue contre le soleil, frénétiquement. Des cris d’enfants l’après midi, partout dans les champs tout autour des villages. Leur terrain de chasse, territoire sauvage, où s’épanche leur rage de jouer comme pour incendier le moindre relief qu’ils piétinent avec un bonheur obscène. Frénésie sexuelle du jeu, à s’arracher les cheveux, comme une tribu primitive – célébration première du rite le plus vieux et le plus flamboyant de l’histoire du monde. Le vieux jeu qui n’a pas pris une ride et qui secoue encore les membres tendus vers la vie des enfants de tous les siècles, et de ceux à venir.
Cris des gamins électrisés qui courent à perdre leur haleine à tous les coins de clairière, sur les routes de terre, cavalant sans lâcher prise sur leur victime, pas un pouce de terrain, les crocs déjà plantés dans le dos de l’animal, de telle personne ou même, voire, du Temps, le marcheur infatigable aux grosses jambes, qu’ils talonnent et harcèlent de coups.
Par un détour savant, par une ruse de jeu de meute, des trajectoires hystériques, des virages à pleine vitesse, indomptés, les cheveux au vent brillants sous le soleil, voilà qu’ils couronnent leur journée d’une victoire biblique, rattrapant et attrapant le Temps, plantant leurs canines toutes blanches dans la chair éternelle du plus éternel des vieux démons ; lui faisant subir les outrages que l’on doit au perdant, eux, vainqueurs de l’Homme social, riant sur la carcasse écroulée d’une divinité, découvrant les gencives au soleil et des yeux brûlants de chauves-souris en chasse. Le regard consumé du fauve au dessus de sa proie, le museau couvert d’une croûte du sang de l’Autre et son odeur d’urine dans les naseaux, jaune comme les blés, âcre et corrosif. Toute la meute, finalement couchée à l’ombre des plants érectiles, léchant leur chair rosée et coulant des regards fatigués par la traque, cheveux en bataille et sueur perlant encore au front poussiéreux.

Les enfants sont ainsi quand ils courent dans les champs, sous le soleil.

#2 satha

satha

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  • TLPsien
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Posted 14 April 2005 - 09:56 AM

et rebelotte

#3 Raoul

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Posted 14 April 2005 - 10:05 AM

Bien sûr qu'on se régale de tes images, mais j'ai personnellement du mal à m'imprégner de cette densité.
a.

#4 Zeek

Zeek

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Posted 14 April 2005 - 10:13 AM

Je ne suis pas resté un enfant, mais j'imagine plutôt ta vision, comme celle d'un adulte, plus que comme un enfant. Je crois qu'un enfant ne voit pas ses jeux de la même manière, et surtout un peu noir d'aigreur. Il y a aussi tellement d'enfants qui rêveraient de pouvoir courir ailleurs que dans un champs de ruines et de béton.

Enfin, je pense qu'il n'y qu'en devenant adulte que l'on puisse se rappeler comme il était bon d'être un enfant, vieux, d'avoir été jeune, un peu comme si on vivait le passé au présent.

#5 satha

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  • TLPsien
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Posted 14 April 2005 - 10:13 AM

c'est pas ce qu'on peut appeler un petit poème, rien que dans son format ; pour le reste... je n'sais pas, une vision, une inspiration et hop, ce fut rapidement écrit =)

#6 satha

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  • TLPsien
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Posted 14 April 2005 - 06:16 PM

ces enfants-là sont des prédateurs, Zeek, leur énergie dévore le monde. Il y a pas mal de sauvagerie chez les gamins, quelque chose de pur. L'innocence peut-être belle, mais on peut faire innocemment les pires choses. Enfin bref, je me plais à voir ces enfants lécher leur chair rose comme des fauves à la fin d'une aprés midi de jeux.

#7 heloise

heloise

    Héloïse

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Posted 14 April 2005 - 06:25 PM

Quel talent Satha !
J'ai lu ce texte en haletant. Je partage ta vision du monde de l'enfance. Les enfants sont souvent cruels mais en toute innocence.
Bises pour toi mon ange

#8 satha

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  • TLPsien
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Posted 15 April 2005 - 02:35 PM

Merci héloïse ; les enfants sont encore à l'état de nature, c'est ce qui les rend fascinants. Je m'aperçois que c'est un thème récurrent dans ce que j'écris.




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