Posted 26 September 2006 - 10:16 AM
Il y a des images que je trouve très fortes:
"On a vu des livres fumer un briquet / Et le briquet rêveur / Se brûler à ses passions"
entre autres. Bien que ce type d'image ne soit que suggestif, elles permettent dans mon esprit de lecteur la circulation de sens possibles, ne serait-ce que par connotation. Je vois le livre qui brûle au sens propre et au sens figuré: on le censure, on en fait un auto da fe ou encore, par déplacement, c'est moi qui m'enflamme à sa lecture: il m'embrase et il devient la métonymie de mon enthousiasme... Mais le paradoxe contrarie cette piste: c'est le briquet pyromane qui subit le feu. Que signifie? Le livre résiste-t-il à sa critique? Rêve-t-il (ou l'écrivain) de brûler à son tour les censeurs (ou des encenseurs -fumée de l'encens)? Le bourreau-incendiaire se retrouve-t-il, face à cet échec, obligé d'envisager qu'il est partial, marqué par un parti pris qui l'aveugle, une passion qui lui brûle les yeux?
Les sens prolifèrent parce que l'image, bien qu'insolite, est cohérente.
En revanche, il est quelques autres images qui donnent l'impression d'être aberrantes:
"Les rangs sont ivrognes des vieilles saisons"
La formule est belle, mais "rangs" est un mot qui dans le contexte de cette image, paraît trop abstrait. Figure-t-il les mètres? Suggère-t-il que les mots, versifiés, semblent rangs d'oignons? Les vieilles saisons évoquent-elles la métrique traditionnelle que les mots, libérés de leur assujettissement sémantique (donc "ivres"), rejettent sous la plume de l'auteur?
Le mot "rangs" me gêne. Ce qui ne signifie pas qu'il soit mal choisi par son auteur, qui seul peut expliquer ce choix. Mais j'ai du mal à le faire entrer dans une cohérence.
La disposition m'épate: j'aime bien les décalages en toupie. Quant à la justifier...
Les vers blancs, la métrique libre ne se heurtent à aucun cahot (cahot n'est pas péché, d'ailleurs, s'il est justifié): l'ensemble est donc musicalement et visuellement agréable. Les allitérations et assonances sont à leur poste, comme sirènes.
Reste l'enjeu de ce poème. Manifestement, il s'agit d'une histoire de rébellion, qui ne se décrypte pas du premier coup, mais qui se laisse deviner par une série d'indices cohérents: le briquet fumé par le livre pourrait bien avoir un rapport avec le bourgeois qu'on bastonne... Histoire de sauvageon à plume qui se désentrave?
NB Je ne prétends surtout pas expliquer ton texte! (D'ailleurs, je ne prétends rien!) C'est une esquisse de commentaire raisonné, c'est tout. Toutes ces considérations de détails ne sont pas parfaitement présentes à l'esprit au moment où on lit (de même qu'on apprécie une fleur sans avoir à répertorier ses caractéristiques botaniques, sans quoi il deviendrait fastidieux de lire ou de se promener dans les champs). Mais l'analyse a posteriori d'un poème qu'on a aimé (et j'aime bien le tien) n'est pas cette chose rebutante réservée à des "intellos" secs incapables d'apprécier le monde sans lunettes! Il y a un plaisir à décortiquer le texte, à le soupeser, à l'étudier. L'analyse d'un texte esthétique est une herméneutique jouissive!
Oui, je sais: je suis trop disert, ce matin. On va faire des parallèles désobligeants!