J'aimerais avoir une explication de ceux qui ont apprécié et plus encore qui ont été émus...
Les mots totem et surtout leur développement j'apprécie pas personnellement.... il est vrai que le poème de Gaston se range dans cette optique.
Si c'est cela la poésie d'aujourd'hui ?
Ce sont trop de places quand nous entrons seuls
Ce sont trop de places et une injure
contrairement à ce tu dis Med, il n'y a pas de mots totems dans ce texte. Le vocabulaire utilisé est volontairement simple, il est même réduit, et on trouve de nombreuses répétitions. Ceci est voulu car il s'agit d'un poème d'enfant, je n'écris jamais que des poèmes d'enfant d'ailleurs.
Ce qui est en revanche "hermétique" à première lecture, c'est la disposition des mots. "Ce sont trop de places quand nous entrons seuls" n'est pas une construction banale. Oh, ce n'est pas pour perdre d'entrée le lecteur, mais au contraire le mettre "en ambiance", si j'ose dire. Car si le décor lui sera familier tout au long du poème, il sera ballotté par les mots, et il aura alors deux choix (ce qui me semble toujours être le cas lors d'une lecture de poésie) : ou bien se laisser emporter, ou bien s'approprier une direction personnelle. Aucun de ces choix n'est complètement satisfaisant, bien sur, mais je dirai : ni pour l'auteur, ni pour son lecteur.
Les instruments semblent paraissent toujours
De torture toujours
De torture pour creuser
Et en deçà s’espèrent d’ouvrir
Trop de places et une blessure
Je ne crois pas qu’il y ait là grand-chose à développer. Notons par contre que le « trop de place et une blessure » succède à « trop de place et une injure » en raison de la traduction de l’anglais au français du terme « injure ».
Le terme « instrument » est utilisé pour « torture ». Cela ne relève pas d’un mauvais emploi de vocabulaire, mais de la réalité du terrain, malheureusement.
Est-ce que l’on est petit afin de tomber plus facilement dans un tombeau
De voir la chute plus faible
Plus tendre
Plus belle
La question posée est multiple, et je ne voudrais pas la réduire, mais par exemple on peut se dire que c’est un corollaire à la maxime qui veut que « plus on est haut, plus dure sera la chute ». Cependant, le « plus tendre, plus belle » implique aussi une recherche à dédramatiser la mort (de poussière tu redeviendras poussière).
Ils sont nombreux et ils opèrent. Ils ont des scalpels sous les yeux et ils dissèquent. Au fur et à mesure, consumant l’alentour, ils tombent. Et c’est affreux. Et des empreintes de leur chute s’élèvent des boîtes noires qui courent rejoindre la vapeur de ciel, qui courent et nous levons les yeux – à notre tour !
Les passages en italique ont une double fonction : d’abord me permettre de n’être totalement perdu, puisque je reviens doucement à la forme poétique après un long break de proses. Et surtout dans l’évolution du poème ce sont les passages d’angoisses. Une angoisse d’autant plus pesante que ces lignes sont des descriptions. Le « ils » renvoie ici aux hommes, mais on ne sait s’il s’agit des bourreaux (ils dissèquent), des sauveurs (ils opèrent) ou des victimes (ils tombent). Le « nous » qui semble s’opposer à ce « ils » fait que, naturellement le lecteur pense prendre place au côté du narrateur, pourtant tout de suite il vient un « à notre tour !» qui implique que le même sort leur sera réservé.
Ma mort mouvante déplace ma bière
Eh ! mouvantes les places
Sur le premier vers, je pense qu’il parle de lui-même. Le deuxième est une des nombreuses répétitions qui interviennent. On peut voir un mauvais jeu de mots (éh mouvantes/ émouvantes) mais c’est surtout la formule orale du vers précèdent.
S’y jeter portant la grise couverture des poils
Pas grand-chose à redire, il s’agit d’une transition entre le fond précédent (les places mouvantes) et la forme suivante (« s’y » + infinitif + état). Le verbe « se jeter » confirme cette alternance dans les différents niveaux de hauteur que l’on trouve tout au long de la lecture (ciel, contre-ciel, sol, sous sol ou tombe).
S’y refléter courbée d’une lune
Ah ! voilà le seul vers que je laisserai sans aucune piste. De toute façon si Héloise l’aime, ça fait déjà une justification suffisante. Je dirai juste que la présence de la lune n’est pas innocente, puisque ce poème s’inscrit dans la lignée (ou plutôt à la croisée) de deux arcs : « binôme de la lune » et « en deçà d’un terre ».
Hors toujours or viennent les instruments
D’une torture toujours
D’une torture pour creuser
Mais il y a trop de places quand vous entrez
Il y a trop de places et une injure
Elles sont seules et pourtant tristes. Chacune l’autre, elles viennent se retrouver puis se rejettent, se repoussent à la suivante, et elles s’enflamment. Alors devenant leur centre, elles naissent des cercles qui m’arrivent dix bagues vingt doigts. Il arrive que l’on ait à décompter ses mains.
Là je ne suis pas content d’avoir à révéler qui je voulais désigner par « elles ». Bon… il s’agit des collines. Je crois que si j’écrivais ma biographie, je la nommerai malicieusement « d’une colline l’autre ».
Vous oubliez mes fers
Qui suiviez vous en l’air ?
Toujours ce reproche aux yeux levés vers le ciel (déjà présent dans le premier passage en italique).
Au sol, retour, détrône la graisse
Pour découvrir la planche
Deux vers très durs en vérité. On y devine l’horreur des fosses communes.
Les herbes sont un intrus posées par un démon
Et oui… les cadavres sous terre nourrissent le sol où pousse l’herbe.
Je vogue
Et me divague à l’eau
Très sincèrement, passage assez inutile.
Eh ! mouvantes les places
Clairement il ne brille plus
Nous avons déteints d’avoir crié
Déteints des murs se sont lancés
Autour, autour, parler c’est ouvrir, mais si une porte, alors des closes ?
Clairement il ne brille plus
Nous avons fermés d’être si éteins
Il y a là un parallèle établi entre l’ouverture, la parole et la lumière. Dans l’ordre général qu’on se fait de ses notions, elles sont toutes trois positives, et leurs inverses négatifs. Le danger est donc, parce qu’une d’entre elle disparaît de perdre les autres tour à tour. Le personnage principal qui, avec ceux qui l’accompagnent (nous), semble être la victime d’un drame, fait un premier constat : il ne brille plus. Alors sa peur se porte (c’est le cas de le dire) sur ce qu’il lui reste : va-t-on fermer les portes ? n’y aura-t-il plus de dialogue possible ?
Maintenant repose. Dort. Le calme est revenu, promesse de la révolution. Il reste des trous pour endormir nos cimes. Des rictus jouent à saute visage.
Le troisième passage en italique fait la synthèse des deux premiers. La révolution qui dans le premier transformait les sauveurs en bourreaux puis en victimes (ou vice versa) se retrouve contenu dans le « saute visage » des sourires.
Les trous et les cimes sont une référence au second. Les cimes sont celles des collines, et les trous (dans le sol ? dans les planches ?) permettent aux morts de regarder une dernière fois en l’air.
Ce sont trop de places et une injure
Trop quand nous entrons seuls
Une redite. Ces répétitions confirme l’état d’angoisse du narrateur qui, comme on se récite une prière pour se protéger, se répète ces réalités pour mieux les accepter.
Sommes nous fait pour le sol que nous foulons levant les yeux ?
Question légitime.
Parois le rêve est votre tombe
Parfois il arrive qu’on crève avant la tombe
Tous
La fin, comme me l’a fait remarquer socque sur un autre forum ne semble pas à la « hauteur » de ce qui précède. En effet les assonances sont assez faciles (parois/parfois et tombe dans ces deux sens), mais ce final presque digne du dicton, permet de conclure un sujet plutôt pas drôle avec cette touche de légèreté qui marque toute discussion humaine. Le « tous » final n’est pas spécialement nécessaire.
J’ajouterai pour conclure que la genèse de ce poème se décline en trois temps :
- la remarque d’Adorno « Après Auschwitz, c'est un acte de barbarie que d'écrire un poème ».
- la réponse de Célan et son poème « todesfuge ».
- la certitude personnelle que Célan a raison face à Adorno, et donc l’obligation que je trouve à écrire de la poésie en tant que franco-rwandais.