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INFONTE

Member Since 13 May 2004
Offline Last Active Nov 26 2006 02:03 PM
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Topics I've Started

Interlude De Soie

22 October 2006 - 11:07 AM

Je l'écoutais parler.
Mon esprit ne battait pas la campagne.
Le dernier arbre du quartier était mort d'un chancre l'automne dernier.
J'étais assis à mon bureau.
Je l'écoutais parler.
Je lui avais offert un siège sans pourtant l'inviter.
Le dernier invité de mon carnet avait été rayé de la liste l'hiver dernier.
Je traçais des signes sur un papier.
Je l'écoutais parler.
J'avais admiré le galbe de ses jambes sans vraiment regarder.
La dernière femme que j'avais aimée, je l'avais oubliée au printemps dernier.
Je regardais par la fenêtre.
Je l'écoutais parler.
Je l'avais retenue à dîner ce soir pour la goûter un peu cette nuit.
La dernière étoile que j'avais vu briller était morte l'été dernier.
J'embrassai ses lèvres.
Que voulait-elle me dire ?
Je la raccompagnai sans lui rendre le sourire qu'elle m'avait adressé.
La dernière minute de liberté était soufflée pour ma journée.
Je saluai mes nouveaux invités, deux hommes, gris.
Ceux-là, je les écouterai.
Ma journée reprenait.

Une Bulle De Savon

02 October 2006 - 08:28 AM

Te souviendras-tu, mon ange, de la douceur du monde ?
Non, je n'y pensais pas.
Et puis j'ai retrouvé ta lettre, dans un tiroir, oubliée.
J'en tenais le carton par le pli. Je l'ai ouvert.
L'espace s'est épanoui, dans un froissement, en corolle.
Je sentais ta tête sur mon épaule.
Nous devions partir, disais-tu, à l'assaut des gondoles...
Des boutiques de la planète
Et faire défiler les armées sur des talons aiguilles.
Tu riais.
Je ne te comprenais pas.
Aurais-je pu t'aimer davantage ?
Ma bulle de savon qu'irisaient les feux du bel été.
Nous marchions dans les rues de Saint Rémy.
De jour, de nuit, à l'heure des siestes,
Le village tournait en rond entre ses places carrées.
Tu sentais les lavandes.
L'air délavait des aquarelles pour touristes.
Le ventre des maisons retenait la fraîcheur de pénombres claires.
La vie filait sur des lenteurs de ruisseau.
Tu dansais pour moi des rondes de Salomé dans des robes brodées.
Les glaces avaient un goût acide.
On écoutait le bruit des festivals et le chant des cigales.
Aurais-je pu t'aimer davantage ?
Tes larmes ont coulé sur tes joues, le jour du départ.
Tu me souriais, en reniflant.
Jamais tu ne fus si belle.
Tu as glissé un petit carton dans le creux de ma main et posé un baiser sur mes lèvres.
Tout était encore possible.
Un jeune-fille est passée, avec des grâces de méduse, amazone de sa bicyclette.
Je crains t'avoir oubliée et d'oublier ton mot dans mes papiers.
When the night has come ... Percy Sledge pleurait sous la lune.
Mon chéri ?
Euh, oui ...
A quoi penses-tu ? Tout va bien ? Tu as un drôle d'air.
Je t'ai regardée. Tu n'étais plus là.
Tout va bien ?
Oui, oui, tout va bien. Je ne pensais à rien.
Et puis j'ai souri en jetant la petite lettre dans une corbeille.
En fait, non, je me rappelais la douceur du monde.
Je t'en prie, mon ange, nous allons être en retard.

Clairière De Nuit

17 September 2006 - 09:33 AM

Le lac arrondit son dos de plomb dans des reflets d'argent.
Le frais coule sur mon visage. Je le respire.
J'allume une cigarette dans la lampe de mes mains.
Je respire à nouveau des odeurs de tabac, de fougère, de terre, de sueur.
J'essuie mon visage qui ruisselle. La marche m'a épuisé.
Je défais ma veste de serge.
Sous mon creux d'arbres, j'arrondis un siège de buissons dans des frottements d'herbes et de toile.
Je ferme les yeux. La sueur sèche par plaques de froid.
J'étends mes jambes sans plus d'effort, sans le poids de mon corps, adossé.
Les alentours écoutent mon silence revenu, à l'affût d'un geste.
J'épie les alentours, à l'écoute du moindre silence.
L'espace s'étire en tension aux limites de l'audible.
Le temps se compacte et tente de rétrécir le paysage.
Les gyroscopes reprennent leurs assiettes, le monde rentre dans ses abscisses et ordonnées.
Ma respiration se tasse.
Je mâche une pate de protéines, je goûte un peu d'eau.
J'expire ma fatigue.
Face à moi, le ciel se délave de nuit. La sépia du pays s'exsude avec lenteur.
Je veux penser à Brahms, j'exhume Bach.
C'est ainsi. J'en souris.
Je marmonne un bout de Légende des Siècles et je crache par terre.
J'exporte ma civilisation, je trimballe ma culture pour rien ni personne, en bandouillère, même pas pour moi, parce qu'elle me colle aux basques, parce qu'elle est chez moi, parce que chez moi c'est aussi cette sauvagerie des bois même si je l'oublie.
Ma solitude est le bonheur de l'égoïsme.
Et là, dans le premier chant du rossignol, je les vois.
Avec des délicatesses de ballerines, sur la pointe de leurs ongles, des daims déroulent une procession.
Leurs têtes balancent dans le largo de sa cadence.
Les épaules de muscles ont des mollesses de fourrure, les bousculades ont aussi des douceurs.
Le groupe s'arrête dans un créneau de lumière grise pour boire à la lune.
Leurs yeux vides s'emplissent de ciel.
Un petit dévale jusqu'à l'eau du ruisseau. Il boit.
Ma cigarette est morte dans la brûlure de mes doigts.
Je me chante une mélodie hongroise de Schubert.
Un crayon HB en main, je griffe la page de mon carnet de silhouettes rupestres, mes yeux à l'hypnotisme de mon tableau de nature.
Je tourne une feuille.
Le groupe s'agite, les cous tendus vers mon abri. Le vieux daim virevolte avec calme et remonte la pente du sous-bois. Le groupe lui obéit. Il disparait dans la futaie qui s'éclaire, il oublie le petit.
Dans sa goutte d'instant, il frissonne puis cavale sur la trace des autres.
Le rossignol lance sa dernière trille.
La clairière s'empourpre d'un sang orange, froid, horizontal et qui peu à peu se réchauffe à l'oblique.
Je me redresse.
Je referme mon carnet.
Je m'appuie aux troncs des arbres et je désescalade ma pente des bois.
J'arrive sur un chemin de terre qui comme toutes les rivières se jette dans la mer.
Je m'amuse encore.
Je vais importer cette sauvagerie, je vais la trimballer toute la journée pour rien ni personne, dans mon carnet, même pas pour moi, parce que le carnet restera fermé, parce qu'il sera sur le coin de mon bureau, parce que chez moi c'est aussi cette sauvagerie des bois et que je ne veux pas l'oublier.
Les mains dans les poches, je sifflote Albeniz.
Pour l'éternité, Roderic Diaz de Bivar galopera sur un cheval fou.

Point Sublime

05 September 2006 - 10:13 AM

L'ombre s'étire, immense, voile d'air et de nuit légère.
Je marche dans une allée, des pins, des chataîgniers, des souvenirs.
Mon pas s'allège d'une syncope.
La perspective fuit vers l'horizon tenu dans un point.
Je plisse les yeux. Je respire le souffle de la futaie.
Le monde a dû m'appartenir, ouais.
J'étais jeune, alors. Toi, aussi.
Dans le fossé cahote un ruisseau en petits morceaux de verre. La lune s'est levée et s'y reflète dans la tombée du jour.
Les graviers du chemin grincent en rythme.
Les fougères s'exhalent : c'est le premier jour des mondes.
L'ombre s'anime et se multiplie.
Des feux follets s'échappent des légendes.
Je t'aime.
Je cherche le dragon.
Mon coeur pourra-t-il tenir la cadence. Je t'aime et mon âme prend le tableau à l'aplomb.
Dans le creux de mes bras, je serai tes anneaux de Saturne.
Je ferme les yeux pour fixer les tiens sur l'écran bleu de mes paupières.
Dans ta pupille agrandie, je lis l'abandon de la confiance.
Je tuerai le dragon et je veux bien mourir.
M'aimeras-tu toujours ?
Tu es ma puissance, mon instant.
Je marche dans le noir qui est mon manteau, ma peau.
Dans la pénombre, sous mes cils mi-clos, un robe de lin se charbonne de gris.
Tes mains sont croisées sur ton ventre, mon trésor.
A tes pieds, des sandales. Dans tes cheveux de soie, un bandeau.
Je m'arrête.
Pourrais-je ainsi t'aimer toujours ?
Pourrais-je toujours t'aimer ainsi ?

A l'Occident, Osiris se meurt et entreprend sa traversée.
Nous ne lirons jamais le livre des morts car notre éternité est gagnée.
Nous serons à jamais ce couple adolescent, enfermé dans un point d'horizon.

Je m'enivre de la fraîcheur de tes cheveux. Ils sentent la pomme.
Je fais serment.
Nous reviendrons hanter ces lieux, vivants ou morts.
J'aurai tué le dragon.
Tu es mon amour.
Sur ta bouche, j'ai posé un baiser et d'un frisson je fus payé.
Avais-je déjà pleuré ?
Je souris car je m'abdique à mon trophée et mon trophée resplendit.

Et nos corps s'unissent au firmament d'un Occident où scintillent des carbones.

Supplique En Sonnet

28 August 2006 - 09:36 AM

Ainsi soit-elle et que sa main se glisse
Dans ma main, mes cheveux, mon âme. Sur mon coeur,
Repose sa nuque. A l'aplomb, en hauteur,
Filent mes sentiments qu'un souffle détisse.

Ainsi soit-elle et que sa bouche plisse,
En coins de satin, un baiser, une fleur.
Sans mon coeur qu'un cri arrache à sa douleur
Mon corps est une plaie, le goufre, l'abysse.

Mon amour, mon échec, mon écueil, mon amour ...
Est-ce donc maux sur mots que s'érige ma tour
Qui, de jours en nuits, de remords s'hérisse

Et de pleurs de rage, de regrets, de rancoeur.
Qu'à bout de ricochets, mon âme se lisse,
Si triste et calme, fauchée en plein bonheur.