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Avant La Fête.


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5 replies to this topic

#1 Vasavoirsi

Vasavoirsi

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Posted 22 October 2006 - 10:37 AM

Comme chaque jour, les petits vieux de la bourgade d’Amosis se retrouvaient sur un des bancs qui avait vu sur la place de la mairie. Le grand centre-ville en quelque sorte. Sous l’ombre des platanes, ils discutaient du temps qui passe. De ces histoires d'hommes tombés à terre. Mort pour la france. Mort par manque de chance. Il fallait que cela tombe sur quelqu'un. C'était tombé sur eux. Lui, l’ancien colonel Albain avait survécu. Il avait eu le temps de voir mourir ses hommes. Un à un. Il avait eût le temps de faire comme si. On ne peut pas sauver tout le monde.
Il avait avancé au milieu des cadavres, au milieu des coups de feu, dans le désert, en France, en Allemagne, puis plus loin. Dans le temps. D’autres continents. Il avait pris du galon. Il était devenu un homme important. Quand on réchappe à la mort, on devient caporal, puis sergent, lieutenant, capitaine, colonel.
Et puis la guerre s’arrête. Enfin. On rentre chez les siens.
On retourne dans son village. On se rend compte que la vie n’a pas cessé. Qu’elle a continué sans vous.
Assis sur leur banc, les petits vieux racontent et se rappellent. Ils regardent la vie s’animer sur la place de la mairie. La fête est revenue. Elle prend ses aises. S’installe. Ils se souviennent de celles d’antan. D’avant, d’après la guerre aussi. Quelques hommes n’étaient plus là. De nouveaux étaient venus. Étaient restés. Les femmes étaient là. À tendre les bras. À sourire. Pleurer de joie. Elles avaient mis des fleurs à leurs chevelures, leurs plus belles robes. Et elles s’occupaient de tout. Le cantonnier municipal avait recreusé les trous et planté les grands mâts, aux entrées du village. Il avait tendu entre ces poteaux des guirlandes de petits drapeaux en papier. On avait accroché les guirlandes électriques, fabrication maison, réalisées avec des ampoules normales peintes de diverses couleurs, qui allaient illuminer l'entrée du village et la piste de danse. Le podium pour l'orchestre se dressait fièrement sur le devant. Ce fut pendant très longtemps une remorque prêtée par un agriculteur et décorée de feuillage et de verdure. De même la buvette indispensable à cette manifestation était installée depuis la nuit des temps par le patron du café de la rue Laissac. Aujourd’hui, c’était un original toujours très près de ses sous. Qui avait un sens du commerce peu commun.
Les jours précédant la fête, les gamins rôdaient autour de la place de la mairie, attirés par tout ce remue-ménage. Les véhicules étant rares, dès qu’ils entendaient un bruit de camion sur la route principale, ils se précipitaient pour escorter un éventuel forain. Ils n'étaient guère nombreux :
Un manège de chevaux de bois s'installait devant le tilleul, un où deux stands de tirs dressaient leurs toiles, une loterie et des balançoires.
Ils s’en souviennent parfaitement. C’étaient de lourdes barques de tôle peintes de couleurs vives et tellement robustes que les adolescents et même les adultes pouvaient les utiliser. Et ils ne s'en privaient pas. L’autre manège était plus dangereux : vous étiez assis dans une petite nacelle suspendue par des chaînes au toit du manège. Ce toit se mettait à tourner très vite et la force centrifuge vous soulevait jusqu'à l'horizontale. Le jeu consistait à attraper celui où surtout celle qui était devant vous et d'entortiller les chaînes. Il n’y eut jamais de blessé. On se demande encore comment cela fut possible.
Mais l'arrivée de la loterie était quand même l’attraction reine. Deux vieilles dames adorables tenaient cette loterie et leur roulotte était tirée par un engin extraordinaire. C'était un antique tracteur de l'artillerie américaine. Celle de la guerre de 14. Avec son museau court, sa cabine à l'air libre, son volant en bois, ses roues à rayons avec leur bandage plein et sa transmission par chaîne, il faisait déjà figure d'antiquité, c'est pour dire ! Il se traînait à 4 ou 5 kilomètres à l'heure et la cohorte des enfants lui faisait une joyeuse escorte.
Les corbeilles d'osier remplies de petits papiers enroulés et maintenus scellés par un minuscule anneau, attendaient les acheteurs. Impossible de savoir qui gagnerait la série de casseroles en aluminium, un des gros lots. Le plus souvent on repartait avec un verre ou une babiole, mais il était toujours possible d'échanger le cadeau non désiré pour un cadeau équivalent.
Au stand de tir, les hommes, un peu éméchés se lançaient des défis. Il s'agissait de casser des pipes en terre ou de faire un score maximum sur une cible. Mais le maladroit vous expliquait d'un air sentencieux que le patron du tir, un fameux requin, avait tordu les canons des carabines afin que les tireurs ne gagnent pas trop souvent. Les vainqueurs, un peu sadiques, trouvaient, eux, que les carabines étaient parfaites. Les défis les plus fameux attiraient, pour quelques minutes, une foule de badauds qui commentaient les faits et gestes des deux protagonistes. Le duel se terminait en général sur la terrasse d'en face devant une bonne bouteille.
Une autre loterie où l'on pouvait gagner des poupées grâce à une grande roue se dressait devant l'entrée de la mairie. Enfin, le jour de la fête, à la dernière minute, un ou deux marchands ambulants : Pétards, jouets, bonbons, cacahuètes, déballaient leur étal.
Amosis avait perpétué la tradition. Rien ne manquait. Tout était là, comme avant. Les petits vieux n’en perdaient pas une miette. Ils étaient heureux. Il y avait vraiment foule en ce jour. Tout l'après-midi, l'orchestre, juché sur le plateau d'un camion, celui de Monsieur Duval avait procédé à la distribution des bouquets et des ballons. Ces bouquets étaient formés de quelques fleurs en papier multicolore attachées sur des tiges en fil de fer et enveloppées d'un carré de papier blanc. Mme Espalier, la fleuriste d’Amosis les fournissait ainsi que les petites fleurs que des jeunes filles vous épinglaient en souriant à la veste dès votre arrivée à la fête moyennant deux euros.
Tout le monde riait. Tout le monde souriait. S’amusait. Parlait. La joie dévalait les rues. S’engouffrait dans les maisons. Y restait. Imprégnait l’atmosphère de fleurs et de cotillons. Tout le monde. Oui tout le monde sauf une personne. Une ombre qui ne se tenait même pas à l’écart. Qui se trouvait au milieu de la foule. On n’est jamais aussi bien caché que parmi les autres. Et dans le bruit, le tumulte des paroles, des chants et de la musique, personne n’entendit le coup de feu qui s’arracha du 9 millimètres. Qui poursuivit sa course comme au ralenti et percuta de plein fouet le cœur du colonel Albain.

Corinne

#2 INFONTE

INFONTE

    INFONTE

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Posted 22 October 2006 - 10:43 AM

Le coup de théâtre doit surprendre aprés le coup de feu ...
Les fêtes de village. Ahlala, disait feu Jean Poiret ...

#3 le hamster

le hamster

    à poil laineux

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Posted 22 October 2006 - 09:12 PM

Dans les textes de Corinne, c'est toujours la chute qui tue...! tongue.gif wink.gif

#4 Vasavoirsi

Vasavoirsi

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Posted 23 October 2006 - 07:16 AM

Citation (le hamster @ Oct 22 2006, 10:12 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Dans les textes de Corinne, c'est toujours la chute qui tue...!  tongue.gif  wink.gif


Sourire.
En ce moment, j' y peux presque rien, j'écris des romans policiers. Il me faut bien quelques morts. Cela dit grande question, peut on écrire des romans policiers sans tuer ?

Je t'embrasse.

Corinne

#5 Artemisia

Artemisia

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Posted 23 October 2006 - 01:00 PM

La description de la fête qui s'installe fait un peu penser à Jacques Tati.


La chute est inattendue et c'est très bien !
On se repose en lisant l'installation de la fête, on pense à autre chose, on se dit qu'on va bien s'amuser... et paf !

Le tueur serait-il antimilitariste ?
Ou bien le colonel a-t-il des choses à se reprocher ?

Alala
l'enquête va être difficile!

Artemisia

Sinon, juste pour chipoter un peu: à la 2 ° ligne, les bancs ont vue sur la place, pas vu.

#6 bohemia

bohemia

    bohemia

  • TLPsien
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Posted 23 October 2006 - 01:46 PM

on dirait le colonel moutarde dans le cluedo, avec le chandelier dans le grand salon!




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