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La Partie


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7 replies to this topic

#1 Harry

Harry

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Posted 10 September 2006 - 11:48 AM

La partie
(Karpov, 1989 ?)

Sur soixante quatre carrés noirs et blancs, j'eu un jour ce privilège,
rare pour un mortel, d'affronter un dieu, mythe immortel,
l'homme à la voix fluette.

Simple humain je n'étais pas seul, mais dans la ronde immobile
chacun était face à lui-même et au danseur souriant.
Le dieu de froide réputation, inébranlable dominateur,
qu'un tigre magnifique lui aussi devenu mythologique,
avait récemment terrassé, semblait affable, modeste et souriant.
Ayant cédé le diadème, il était redevenu comme humain.

Le prologue fut difficile, mais aux effrayants fantômes qu'il me sembla apercevoir
et que le maître, passant rapidement, s'empressait d'ignorer,
sur un espace dégagé, au cauchemar envisagé, c'est un épilogue calme qui succéda.

Cela aurait pu être un repos, les forces en équilibre,
leur nombre enfin réduit, tout laissait espérer la signature proche
d'un pacifique armistice. Une telle paix, pour un contemplateur impressionné de l'Olympe,
aurait été une victoire.

Mais du nombre, la ronde s'était rétrécie, la danse accélérée et il fallut hâter le combat.
Le champion, serein, était dans son élément; délaissant le jeu automatique,
on aurait dit qu'il commença sa partie.

Comme lisant en un livre secret, il semblait recevoir une inspiration nouvelle.
Tandis que moi, je redevenais hésitant, le danseur lui, était plus léger, plus flottant.
Je reculais, il avançait.
Je tentai de m'accrocher aux derniers reliefs
d'une piste devenue trop glissante, en vain !
Résigné, je dus rapidement tendre la main, coucher le roi,
au champion toujours affable et souriant.

#2 mounette

mounette

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  • TLPsien
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Posted 11 September 2006 - 04:08 PM

Mais c'est une partie fine que tu nous décris-là mon beau Harry, et avec quel talent. Tu nous livre avec une infinie pudeur une joute homosexuelle d'un exquis raffinement.
On goûtera surtout la symbolisation du partenaire "actif" comme dieu, danseur ou champion. Et cette chute finale qui révèle avec grâce la clé érotique de ce texte :
Citation
Je reculais, il avançait.
Je tentai de m'accrocher aux derniers reliefs
d'une piste devenue trop glissante, en vain !

une merveile de finesse et de délicatesse.
Contiue mon beau Harry sur cette voie. Je veux parler de la littérature, car si je respecte ton choix, ta Mounette regretterait toute savie que tu ne puisses lui accorder tes faveurs comme tu le fis à ce danseur.
(S'il le faut, je fournirai le godemichet.)

Bises

Manon

#3 Harry

Harry

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Posted 11 September 2006 - 07:08 PM

Merci merci Mounette.
Bon il faut quand même chercher loin pour voir un aspect sexuel dans ce genre de partie.
Je ne sais pas ce qu'en disent les psychanalystes.
Mais Karpov, homosexuel ?


Comme tu y vas !

Par contre je n'ai pas pu faire de partie contre Judith Polgar (une fille impressionante à l'extrème)


Dommage !

#4 serioscal

serioscal

    serioscal

  • TLPsien
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Posted 12 September 2006 - 11:32 AM

Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour m'adonner à l'analyse textuelle mais je vois que la chose a été prise à bras le corps, par d'autres - et pas n'importe qui encore ! Mounette ! Est-il tempérament plus analytque que celui de Mounette ?

Pardon de vous faire patienter : la phase la plus importante, quand j'essaie de donner une lecture d'un poème, est celle du sommeil. Ce forum, je le voudrais plus lent que les autres. Le facteur temps est notre modérateur number one.

Très jolie photo de Karpov. Il prend des trucs, non ? Il fume ?

#5 serioscal

serioscal

    serioscal

  • TLPsien
  • 2,179 posts

Posted 20 September 2006 - 07:07 PM

Pardon de ce temps de réponse, un petit peu plus long que ce que j'avais initialement prévu.

Même si, tu l'as bien compris, ce salon se veut lent. Loin des commentaires obligés et immédiats qui appauvrissent si universellement la forumologie !

Ton texte m'a travaillé par son antipoétisme : le sujet (les échecs, si présents dans la modernité artistiques et absents de la poésie...) sont un thème peu traité, ce qui a de quoi étonner ; le style est une prose rythmée mais sans effets. C'est presque une prose respiratoire que tu nous livres.

Le vers y déroule une parole concentée autour d'un souvenir. Un chanteur un peu maudit des années 70, Roky Erickson, avait une chanson :

Citation
Two headed dog, two headed dog
I've been working in the Kremlin with a two-headed dog

Un chien à deux têtes, un chien à deux têtes
J'ai travaillé au Kremlin avec un chien à deux têtes


La réalité de Roky Erickson est plus fantasque que la rencontre avec Karpov mais voilà la "posture" : le souvenir mythifié. La série des images mythologiques qui structurent le poème donne le poids mythologique de cette rencontre - procédé qui serait indigeste s'il n'était 1 - nuancé ; 2 - contrebalancé.

La partie se déroule sur plusieurs plans : jeu d'échecs, danse, combat humain, combat de dieux.
Du côté de la toute puissance, l'image d'un combat inégal comme celui d'un humain contre un dieu, relayé par un univers proprement épique - c'est un procédé commun au domaine sportif, d'ailleurs. Plus étonnante est la danseuse, l'image est filée, continue à travers le texte et ouvre un espace infiniment plus respirable, une mythologie renouveleée en profondeur cette fois :

Karpov est humain. Pourquoi la danseuse fait-elle donc passerelle ? D'une part elle ne combat personne, elle adoucit singulièrement le tableau. De là, elle vient appuyer tous les traits d'humanité qui font le prix de la rencontre, comme du poème.

Car enfin ! si tu avais rencontré un Karpov de cuirasse comme les Russes savent en fondre ; s'il t'avait écrasé de mépris, de dédain ou de condescendance, que te serait-il resté à faire ? Pas grand-chose : il n'y aurait pas eu de rencontre. Ce que raconte ce poème, c'est précisément une rencontre - et c'est pourquoi l'élément merveilleux du poème, ce ne sont pas les allures olympiennes du champion, ce sont ces instants de pure simplicité.

Le poème se résumerait - ce serait horrible, j'en conviens - alors à deux lignes superposées : l'une qui dessine une chute désespérée : c'est la partie que tu perds avec un éprouvant sentiment de fatalité ; une ligne qui se prolonge droitement, la rencontre elle-même. D'humain à humain. Et c'est ce subreptice terrain d'entente qui fait la portée du poème, jusqu'à sa structure qui devrait, à son tour, faire l'objet d'une étude plus poussée, que je n'entamerai pas ici.

#6 Harry

Harry

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Posted 20 September 2006 - 08:55 PM

Salut Serioscal.
Merci de ton analyse que je trouve très pertinente.
Je ne suis que de passage rapide là,
je viendrai bientôt en dire plus.
Concernant l'image du danseur (pas la danseuse quand-même!),
c'est que c'était une partie en "simultanés" où le champion affronte plusieurs adversaires.
Littéralement, il est debout et il tourne à l'intérieur des tables où sont assis une vingtaines de joueurs
(vingt au début puis de moins en moins d'où l'accélération de la "danse").
Mais ton analyse est très intéressante.
A bientôt
Harry

#7 serioscal

serioscal

    serioscal

  • TLPsien
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Posted 20 September 2006 - 10:24 PM

C'est rigolo ce glissement. Il faut dire qu'une danseuse, quand même...

#8 Harry

Harry

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Posted 26 September 2006 - 10:06 PM

Bon en fait, je n'ai rien à rajouter à l'analyse de Serioscal.
Effectivement, le but de ce texte était de partager une rencontre.
Car le champion, tant qu'il était champion du monde, avait vraiment cette réputation de froideur et de dédain.
Mais l'homme que j'ai rencontré était bien différent et ça eut quelque chose d'assez extraordinaire.




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