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#364130 Un Pays

Posted by Jakolarime on 23 December 2006 - 12:47 AM in Salon de publication principal

Citation (baltazarts @ Dec 22 2006, 11:41 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Mon pays ce trouve
à l extremité de l europe,
Isolé par cette puissance Espagne,
par cette grande France,
il nous reste la mer...
C'est une fin en soi,
avec ses draps de vagues.

Quand j'arrive dans mon pays,
je me dis,
ca y est je suis arrivé ,à la fin de l europe,
à la fin du monde,
un monde fait d hommes aux larges sourcils.
mais cette fin n'est qu' un debut,
un debut de voyage,
qui nous tient debout,
mais tout n'est pas resolu,
tant de choses à faire,
dans mon pays.
cest le centre de la terre,
ma terre ,
que je voudrais tant vous faire decouvrir...


Seu país está bonito. Seu país está orgulhoso e corajoso. Trouxe tanto a nós, e para o mundo também. Gostou da simplicidade e do refinamento do seu povo, e do som melodioso de seu idioma, que tao queria conhecer e falar melhor. wink.gif
Jklrme



#363852 L'essayage

Posted by Jakolarime on 21 December 2006 - 03:18 PM in Salon de publication principal

La période des congés me ramène à la joyeuse excitation qui accompagnait la préparation de mes vacances d'enfant. La transhumance estivale n'était pas une mince affaire ! Elle se préparait de longue main. Pendant plusieurs semaines avant la date, ma mère avait largement occupé ses journées à l'achat de tissus variés pour confectionner les chemisettes, jupes, ensembles d'été qui vêtiraient toute la famille pendant notre séjour dans la petite station balnéaire du Calvados. Une débauche d'indiennes, un flot de tissus imprimés aux vives couleurs s'étaient succédé sur la table de la salle à manger pour y être taillés, bâtis, puis cousus au rythme infatigable de la vieille machine à coudre Singer.

Pour pouvoir travailler à sa main, ma mère faisait grimper les plus petits d’entre nous sur la table :

« Monte là-dessus, tu verras Montmartre ! »

Les épingles d'acier, cent fois déplacées, domptaient peu à peu le tissu rebelle. Les éprouvantes séances d'essayage étaient ponctuées d'ordres péremptoires :

« Ne bouge pas, ça n'est que bâti ! »

J’essayais de me glisser dans les étranges défroques hérissées d'épingles traîtresses.

« Ne me le craque pas, malheur ! » encourageait-elle tandis que je frayais mon chemin entre les larges points multicolores du coton à bâtir.

Parfois, la retouche nécessitait une intervention plus délicate, quasi chirurgicale.

« Soulève ton bras !...»

L'acier froid des ciseaux, appuyé sur la chair chatouilleuse de l'aisselle, venait rogner l'emmanchure « trop juste ». Là où l'oeil averti de ma mère diagnostiquait à coup sûr ce qu'il y aurait à élargir, à raccourcir ou à rallonger, j’avais bien du mal à imaginer la tenue seyante et si pratique qui arracherait aux mères de famille ébahies, sur la plage ensoleillée, les flatteurs : « Vous en avez, de la chance, de savoir travailler comme ça ! », entrecoupés de cris d'admiration.
J’étais, en vérité, plutôt inquiet d'avoir à évoluer sur le sable avec ce qui ne m’apparaissait encore que comme des oripeaux informes, dignes d'un auguste tragi-comique, ou d’un clochard (qui n’était pas encore un SDF). Mais le miracle se produisait toujours. Les lambeaux sans âme devenaient ce vêtement pimpant et élégant qu'arborait, sur l'attractive illustration du patron de Modes & Travaux, le garçonnet angélique auquel j’avais fini par m'identifier... Et lorsque la malle d'osier, remontée de la cave où elle sommeillait le reste de l'année, s'emplissait peu à peu de nos garde-robes flambant neuves, nous croyions entendre déjà le cri des mouettes et le ressac de la mer...

Jakolarime © 24 août 2004



#364045 L'essayage

Posted by Jakolarime on 22 December 2006 - 06:46 PM in Salon de publication principal

Citation (Paname @ Dec 22 2006, 06:50 AM) <{POST_SNAPBACK}>
Après la lessive, que de choses tu rebrasses dans nos mémoires !


Oui. Pour un écrivailleur amateur, les souvenirs personnels sont un champ illimité d'expériences d'écriture. J'essaie chaque fois d'aller un peu plus loin que le niveau de rédaction de 3e (du moins, plus loin qu'on ne nous le demandait en composition française, lorsque j'étais en 3e, dans les années 60 sad.gif ) et d'en tirer les enseignements que permet le recul.

Citation
Avais-tu comme moi le droit de soulever le petit logement de métal à onglet, de sortir la "navette", de l'équiper, de mettre le fil en place, etc, etc...

Regarder "avec les yeux" seulement : ma mère était toujours très pressée, et il ne s'agissait pas de saboter le travail avec une mise en place erronée de la "canette" (pas la navette...) chromée, qui m'apparaissait comme un vrai bijou.
Citation
Si oui, je parierais bien que tu es né autour de 46...
Tu n'es pas tombé loin... : 44 ! Mais ce n'est pas sorcier, je l'ai indiqué dans la notice signalétique que j'ai pris la peine de renseigner (il suffit de cliquer sur mon pseudo).  laugh.gif  Mais je veux bien croire que c'est par déduction, mon cher Watson, que tu es arrivé à cette précision acceptable.
Citation
J'ai gagné cettefois-ci ?

ne me dis pas que tu veux ton "sonnet sur mesure", toi aussi  blink.gif

Allez, merci de tes bons voeux. Bonnes fêtes de saison à toi aussi !
Jakolarime


Merci Artemisia, merci LisAbelle !

Ca me fait bien plaisir que vous appréciiez ces textes. J'en ai encore plusieurs que je me permettrai de distiller.

Je ne sais pas trop bien encore si écrire ses souvenirs rajeunit ou vieillit l'auteur... C'est en tout cas un moment bien doux - doux-amer, parfois...
Bises à toutes deux. Passez de bonnes fêtes de fin d'année.
Je prends la route le 26 pour la montagne. Je pense que d'ici là, je ferai un petit tour sur TLP, et je posterai quelques textes.

Jacques "Jakolarime"



#361533 Notes De Lecture

Posted by Jakolarime on 05 December 2006 - 04:44 PM in Analyse textuelle

Citation (serioscal @ Dec 5 2006, 01:23 PM) <{POST_SNAPBACK}>
D'où vient que la critique soit si difficile à recevoir ? De la dimension intime du poème. Attaquer mon poème, c'est m'attaquer moi, en somme. Dans tous les autres domaines, on a des questions dont on discute et on dégage le vrai du faux. Le débat peut s'enliser mais n'est pas exclu d'emblée. Avec le poème, effectivement, la critique est un risque.


Cet argument n'est-il pas, dans une certaine mesure, transposable à toute critique d'un travail personnel ?... Dans le domaine professionnel, les gens que je côtoie s'investissent profondément dans leur travail, et les critiques doivent toujours être avancées avec la plus extrême prudence, dans le respect scrupuleux de l'ego de l'auteur. Le "ne crois-tu pas qu'il vaudrait mieux...", est toujours préférable au : "c'est nul, ton truc, tu t'es planté...". Mais je reconnais avec toi que plus l'oeuvre est personnelle et intime, plus le traumatisme de la critique risque d'être dommageable, car plus l'auteur s'identifie personnellement à son oeuvre.

Citation
Si c'est un "faux sonnet", une chose réussie bien que bancale du point de vue des règles, je la salue ! Si c'est un balbutiement amorphe, il me semble souhaitable que l'auteur sache où il en est. Cela me semble honnête.


Je suis d'accord sur ce principe, mais je crois que les ménagements formels demeurent indispensables. J'ai souvent envie d'écrire à un auteur, face à un poème (que je trouve) informe : "Ecoute, et si tu essayais de faire du macramé ?..." (en fait, je suis un vrai salaud, parce que je l'ai déjà écrit ! et le pire, c'est que le mec m'a demandé : "le macramé, c'est avec des vers de combien de pieds ?" J'avoue avoir mérité un pied... au cul). Mais faire de la peine n'est jamais indispensable. De plus, lorsque l'on pose une critique, le critiqué blessé a tendance à dire (ou à penser) : "Et toi, le conseilleur, tu saurais faire mieux ?". Ce qui me replonge immédiatement dans une grave remise en question, du genre : mes petits poèmes bien léchés valent-ils tellement plus que ses gribouillis patauds ?

Il n'est pas, à mon avis, déraisonnable de penser que, dans la démarche de l'auteur qui présente un poème sur un forum, la critique est implicitement sollicitée. La situation la plus confortable est quand même celle où le rimeur demande explicitement un conseil ou une appréciation. Corollaire de ce qui précède, les conseils non sollicités sont les moins bien reçus.

Citation
Il faut bazarder toutes ces fausses pudeurs qui encombrent l'échange poétique de nos forums !

Faisons-en notre devise...
J.



#361351 Notes De Lecture

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 06:23 PM in Analyse textuelle

En vrac, quelques commentaires de commentaires sur ce que j'ai lu ici avec intérêt.

La plupart des commentaires de poèmes que j'ai lus, sur ce forum ou d'autres, se contentaient de s'attacher à l'action, à l'anecdote qu'illustrait ou sous-tendait le poème. En exagérant à peine, sur un poème parlant de la guerre : "Ach, quelle horreur - quelle connerie ! - la guerre" ; s'il évoque la mort d'un enfant : "C'est la pire chose qu'il puisse arriver !" ; sur un amour malheureux : "Allez, courage, un(e) de perdu(e), dix de retrouvé(e)s !". Etc., etc.

Les commentateurs semblent souvent prendre les poèmes pour des témoignages personnels, autobiographiques, de l'auteur. Aucune distanciation, aucune (ou peu de) considération pour l'objet-poème lui-même : sa forme, certes (quand ce n'est pas, indigemment, :"Ah ! que c'est joliment tourné..." - le degré zéro du commentaire).

Son impact sur la sensibilité du lecteur, une explication (ou au moins une tentative) sur la façon dont le poème l'a touché, ému, amusé, révolté (...), est souvent absente. Certes, il n'est pas donné à tout le monde de traduire, de façon pertinente, ces choses qui relèvent souvent de l'indicible ! Mais lorsque ce que l'on a à dire n'est pas plus intéressant que le silence, il vaudrait mieux savoir se taire.

Personnellement, j'aime surtout dire pourquoi j'ai aimé un poème, en essayant de caractériser son rythme, sa musicalité, la richesse ou la qualité des images, et leur puissance évocatrice. Le commentaire purement technique est parfois délicat, dans la mesure où il met en évidence des "fautes" de prosodie. Je sais bien que la notion de faute (ou plutôt de "gravité" de la faute) est toute relative, et que sa présence est loin de disqualifier totalement le poème qui la contient. Néanmoins, reconnaissons qu'un alexandrin de douze syllabes est plus "correct", lorsqu'il est placé parmi ses frères réguliers, qu'un vers de onze à treize syllabes. Il est bon de deviner jusqu'à quel point l'auteur commenté est susceptible d'accepter ou non la remarque critique. Mais beaucoup d'habitués des forums de poésie sont en quête d'information, sinon de "formation" pratique, sur les règles de la prosodie, et apprécient les conseils éclairés qui sont contenus dans les commentaires.
Lâchement (? ou prudemment...) je m'abstiens de commenter un poème qui ne m'a pas plu, ou que j'ai trouvé trop éloigné de la notion de poème.

J.



#361856 Amnésie Familiale

Posted by Jakolarime on 07 December 2006 - 12:54 AM in Nouvelles

Citation (balila @ Dec 6 2006, 09:35 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Je ne sais pas ce qu'est "la focalisation externe" mais je crois le comprendre par les exemples cités.

Pardon pour ce langage technique, qui peut paraître pédant dry.gif , mais qui est bien pratique et précis. Deux mots d'explication : on caractérise la narration suivant trois types de "focalisation" :
a) la focalisation interne : le narrateur est l'acteur de la narration, il emploie le "je", et dit, décrit seulement ce qu'il peut voir, savoir, sentir, penser lui-même
b ) la focalisation externe : le narrateur ne participe pas à l'action, mais il ne dit et ne décrit que ce que les personnages peuvent voir eux-mêmes. Le narrateur emploie typiquement le 'il', le "elle", etc.et intervient sous forme de "dit-il", "répond-elle", au besoin avec appréciation (par ex. "répond-il avec mépris")
c) la focalisation zéro : le narrateur sait tout, voit tout, connaît le passé, prévoit l'avenir, sait ce que pense chacun. Il emploie "il, elle, ils, elles", etc. C'est "Dieu", en quelque sorte.

Dans ce texte, presque tout est dialogué (comme une pièce de théâtre, c'est à dire sans aucune intervention d'un narrateur, ne serait-ce que sous forme de "dit-il", "répond-elle") sauf les quelques paragraphes en "focalisation externe" que j'ai notés, et bien sûr, sans didascalies (indications de mise en scène),
Ce n'est d'ailleurs nullement un reproche : en tant qu'auteur, tu es absolument libre de conduire ton affaire comme tu l'entends. La seule chose qui m'ait un peu gênée, c'est de ne pas voir nettement, typographiquement, la différence entre le discours des personnages et les interventions de l'auteur.
Citation
Et en ce qui concerne les raisons qui poussent Marianne à vouloir joindre Vincent, je ne pouvais à cet instant les donner, c'eut été offrir une clé, ce que je ne souhaitais pas faire à ce moment du récit.

Oui, je les bien comprises, mais après unsure.gif Je suis un peu bouché, des fois, tu sais...

Citation
Merci en tout cas de cette lecture attentive, Jakolarime

C'est la moindre des choses ! Tout le plaisir a été pour moi.



#361316 Amnésie Familiale

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 02:28 PM in Nouvelles

Citation (balila @ Sep 3 2006, 01:46 PM) <{POST_SNAPBACK}>
"Mémoire, mnésique, amnésique, mémento...

Très joli texte, balila. Vivant, bien dialogué. La facilité de l'aveu du papa (tout comme son évanouissement) n'est pas absolument vraisemblable, mais on se laisse entraîner par la vérité du ton général.
Un peu déconcertantes, les reprises en focalisation externe ("Laure quitta le salon...";"Laure, son cahier à la main..."; "Marianne s'interrompit..." " Trois paires d'yeux..."), surtout en raison de l'absence de reprise de la ponctuation à chaque alinéa. Il est vrai que les ressources typographiques limitées de ce forum ne rendent pas toujours les choses faciles.

Un brin d'explication sur les raisons de la tentative de Marianne de parler à Vincent n'aurait pas nui à la clarté du propos, peut-être ? (Il est vrai que Maupassant lui-même ne s'apesantissait jamais sur l'explication des faits et gestes de ses héros !!).
Mais bon, j'ai bien suivi quand même, et j'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture.

Jakolarime



#364125 La Lettre Au Père Noël

Posted by Jakolarime on 23 December 2006 - 12:21 AM in Salon de publication principal

La lettre au Père Noël

Le rouge intense, l’or resplendissant, le bleu profond des boules de Noël rivalisent de flamboiements avec les fils de la vierge festonnant les meubles ou punaisés aux murs de la chambre. Les vitres sont voilées de buée ; le poêle ronronne dans la cheminée, mais la chaleur excessive n’est pas la seule cause de la transpiration qui emperle mon front soucieux.

Penché sur la minuscule table d’enfant, tirant un petit bout de langue appliqué tant est grande ma concentration, je peine sur une feuille de papier jauni extraite d’un cahier de brouillon, et que ma cousine vient de rénover à grands coups de gomme. Le papier garde les stigmates de cette énergique récupération : il est un peu froissé, et l’on y voit encore les traces affadies de fantômes de mots…

Ma cousine Annie, âgée de sept ans, a décidé de me faire écrire ma lettre de commande au Père Noël… Pénétrée du rôle de maîtresse d’école, qu’elle a tenu à mes dépens tout l’après–midi, elle entend bien superviser sévèrement cette importante formalité saisonnière !

Je ne suis pas très fier, car je dois justifier les éloges que ma mère m’a imprudemment décernés, quelques minutes plus tôt, devant mes tantes assemblées dans le salon voisin autour de leurs tasses de café. Pensez donc ! Entré au cours préparatoire en septembre, je sais déjà lire à la mi–décembre !... Ma mère a raconté avantageusement comment, à la surprise générale des voyageurs de la SNCF, j’ai su déchiffrer sans erreur – et presque sans hésitation – le panneau annonçant la gare de PONT–CAR–DI–NET ! J’ai modestement plongé le nez dans mon bol de chocolat, sous les « c’est bien, ça ! » appuyés de mes tantes admiratives…

Mais maintenant, devant l’implacable cousine, toute bouffie de la gloire des grands qui sont en dixième, il va falloir que je confirme mes précoces talents littéraires.

– Eh bien, vas–y ! Commence… ordonne–t–elle avec un léger agacement.
– Euh… j’écris quoi ? hasardé–je, piteux.
– Eh bien, marque déjà « cher Père Noël », lance–t–elle, les yeux au ciel, excédée par l’ignorance de son benêt de cousin.

Je gribouille laborieusement quelques lettres qui, avec beaucoup d’imagination – et un peu d’indulgence –, pourraient s’apparenter à la suscription suggérée.

Submergé par les problèmes de forme, je me résous à une totale sobriété du fond, dans laquelle le souci de ménager le budget familial n’a que peu de place. Je limiterai mes appétits ludiques au strict minimum : un seul jouet suffira pour cette année. J’écarte délibérément l’étincelant harmonica Hohner que je convoitais tant, l’étourdissante panoplie de prestidigitateur qui me faisait rêver, et les fascinantes voitures de chez Dinky Toys devant lesquelles, pourtant, je bavais naguère d’une admiration sans bornes : tous ces jouets aux noms compliqués, pleins de « k », de « y », et d’autres lettres étranges que je ne maîtrise pas vraiment, me paraissent désormais d’un orgueil tout à fait déplacé… En revanche, le monopoli me plaît bien… Pour être franc, je ne sais pas très exactement ce que c’est, mais mes frères et sœurs aînés en font grand cas. J’imagine mal qu’ils puissent se tromper.

Et puis, surtout, mo-no-po-li, ça, je suis certain de savoir l'écrire…


Jakolarime © 12 avril 2005



#364127 Mer Rouge

Posted by Jakolarime on 23 December 2006 - 12:33 AM in Salon de publication principal

Mer Rouge

Je ne laisserai pas, sur la grève éclatante,
La trace de mon pas accablé de chagrin.
Je ne chercherai pas, dans les eaux transparentes,
Le muet frémissement du monde sous–marin.

Je laisse au madrépore, et aux algues gracieuses
Mollement agitées par les tièdes courants,
La mission de veiller vos dépouilles précieuses
Et de puiser leur vie dans vos restes gisants.

C’est au fond de mon cœur, pour un autre séjour,
Que votre âme chérie a fixé sa demeure.
Ma pensée vous y trouve, et la nuit, et le jour,
Et vous y resterez jusqu’à ma dernière heure.

Mais de quel crime odieux payer si grande peine ?
Vous ai–je assez aimés ? Vous l’ai–je dit souvent ?
Mille questionnements m’assaillent en antienne…
Pourquoi vous ? Pourquoi moi ? Et pourquoi maintenant ?

Je n’ai plus que mon cri à lancer jusqu’aux nues.
Et mes pleurs pour couvrir les pages restées vides
Du livre de vos vies trop tôt interrompues,
Éteintes à jamais au fond des flots sans rides.

Je me tourne à présent vers Toi, ô notre Père,
Toi qui m’as tant donné, et qui me reprends tant !
Que Ta grâce infinie éclaire le mystère
Qui me broie aujourd’hui d’un malheur écrasant.

Jacques Fabre "Jakolarime" © Janvier 2004



#362023 Lettre à Oscar Wilde, Esq.

Posted by Jakolarime on 08 December 2006 - 12:15 AM in Nouvelles

Citation (jkounine @ Dec 8 2006, 12:12 AM) <{POST_SNAPBACK}>
Oui oui ca m'interesse! Ou l'as-tu poste la reponse?

Hic et nunc
(ici même, et à l'instant biggrin.gif )
J.



#362475 Lettre à Oscar Wilde, Esq.

Posted by Jakolarime on 11 December 2006 - 02:02 AM in Nouvelles

Citation (Alba @ Dec 8 2006, 04:14 PM) <{POST_SNAPBACK}>
J'ai aimé par le biais de la lettre,
Ta façon d'être acteur/spectateur dans la scène,
en plus d'être auteur
Belle entrevue spirituelle avec un grand Homme
Merci,

Merci à toi, Alba tongue.gif



#362018 Lettre à Oscar Wilde, Esq.

Posted by Jakolarime on 08 December 2006 - 12:01 AM in Nouvelles

Citation (jkounine @ Dec 7 2006, 10:58 PM) <{POST_SNAPBACK}>
La classe.

Merci. rolleyes.gif
Si ça t'intéresse, j'ai posté la réponse de monsieur Wilde.

Jklrme.



#362111 Lettre à Oscar Wilde, Esq.

Posted by Jakolarime on 08 December 2006 - 02:44 PM in Nouvelles

Citation (Carla. @ Dec 8 2006, 11:00 AM) <{POST_SNAPBACK}>
Cette correspondance avec un personnage si moderne pour son époque, mêlant excentricité, esprit vif, pamphlétaire et raffinement, est originale. Le thème de l'homosexualité y est traité avec pudeur. Ce que je trouve peut-être beau dans votre texte, c'est de rendre à cet homme, mort dans la solitude et le rejet de la société, une belle humanité.

C'est un auteur de grand talent, et un personnage attachant.
J'avais écrit ces textes il y a quelque temps déjà, mais j'ai vu récemment à la télévision un film sur Oscar qui m'a fort ému ; c'est ce qui m'a déterminé à les publier maintenant.
Merci pour ta lecture - toujours - sensible.

J.

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#361948 Lettre à Oscar Wilde, Esq.

Posted by Jakolarime on 07 December 2006 - 03:42 PM in Nouvelles

Lettre à Oscar Wilde, Esq.

Je vous ai remarqué, Monsieur, hier matin, Passage des Panoramas, comme j’ouvrais ma boutique. Il est rare que des personnes de votre qualité soient levées si tôt... Vous marchiez d’abord du pas lent des badauds désœuvrés, votre pelisse à col de fourrure largement ouverte, malgré la fraîcheur matinale ; votre cravate au nœud savamment négligé flottait sur votre gilet.

Vous faisiez jouer, dans votre main, une canne au pommeau ciselé. La lumière crue des lanternes suspendues à la verrière jouait sur l’ovale de votre beau visage. Par instants, vous marquiez un arrêt devant certaines vitrines de la galerie, et vos mimiques disaient vos appréciations : commisération ironique devant les lingeries féminines à l’architecture compliquée ; intérêt vague pour les pièces d’or et d’argent luisant dans leurs écrins de velours bleu ou rouge ; ravissement, pour les cannes alignées à une autre devanture. Mais votre attention était toute tendue à dévisager les jeunes hommes élégants qui passaient dans la galerie.

Fréquemment, vous consultiez une petite montre, bijou délicat que vous extrayiez de son gousset, d’un geste de plus en plus fébrile, et vous lanciez vers l’extrémité de l’allée, en plissant les yeux, un regard où se mêlaient l’anxiété et l’irritation.

Puis vous avez surpris mon observation que, pourtant, je m’employais à dissimuler en brefs coups d’oeil, lancés à la dérobée. Vous avez clairement manifesté votre gêne et votre colère à voir ainsi percés au jour les sentiments intimes qui vous agitaient, et que, j’imagine, vous veillez d’ordinaire à garder secrets. Pour ne plus vous embarrasser, je suis rentré dans ma boutique, feignant d’arranger la disposition de quelques bibelots sur leur présentoir, sans renoncer à poursuivre ma traque dans la pénombre du magasin, à l’abri du reflet de la vitre.
Soudain, dans le violent contre–jour de l’entrée du passage, s’est inscrite la silhouette d’un grand adolescent, en chapeau haut–de–forme et redingote cintrée. Vous avez eu un sursaut. Vous sembliez prêt à bondir dans sa direction !… Mais ce n’était pas celui que vous attendiez. Vous l’avez accompagné des yeux, quelques instants, après qu’il avait passé près de vous jusqu’à vous frôler.

D’un mouvement incontrôlé, j’étais sorti sur le pas de ma porte. Nos regards se sont croisés, et vous avez compris que j’étais presque aussi déçu que vous.

A présent, vous ne songiez plus à cacher votre dépit. Vous vous êtes assis, déjà résigné, au guéridon d’un café voisin, comme pour donner une dernière chance au retardataire. Vous avez commandé une tasse de thé, que vous avez bue tristement, ne guettant plus que par acquit de conscience la tache lumineuse de l’entrée du passage. Une sorte de désespoir marquait votre visage. Vous vous êtes levé lentement, et vous êtes parti, votre canne, très sage, pendant à votre main.

A vous voir ainsi, Monsieur, j’ai eu de la peine.

Jacques Fabre "Jakolarime" © janvier 2004



#363911 J'ai Dans La Tête

Posted by Jakolarime on 22 December 2006 - 12:01 AM in Salon de publication principal

Citation (The Child @ Dec 21 2006, 07:09 PM) <{POST_SNAPBACK}>
J'ai dans la tête
Des rengaines
gangrène

Mon ciboulot
Hait trop de mots
Grelot

j'suis pas tranquille
je me défile

Quand les gens sont là
Je presse le pas!

J'ai dans la tête
Des rengaines
gangrène

Mon ciboulot
Est plein de maux
Grelot

C'est Mère Folie
Qui fait son nid

de sa neige
de cette vie
Elle me protège

J'ai dans la tête
Des rengaines
gangrène laugh.gif


De tout' façon,
il faut qu' ça sorte
ça tourne en rond
ça cherch' la porte
mais un beau jour
sur la serrure
rien qu'un p'tit tour
c'est l'ouverture
la neige fond
le soleil brille
plus de prison
plus de bastille
faut d'la patience
Courag' garçon !
Saisis ta chance...

Jakolarime wink.gif



#361707 Les Coquelicots

Posted by Jakolarime on 06 December 2006 - 12:05 PM in Arts poétiques

Les Coquelicots

C’est un beau jour d’été. Au ciel bleu s’éparpillent
Les restes morcelés d’un orage récent.
Mais, après une averse, on mène les enfants
Se dégourdir un peu, tant que le soleil brille.

Un talus chatoyant partage la famille :
Deux en haut, deux en bas ; ils marchent calmement.
De gais coquelicots, écarlate torrent,
Éclaboussent les mains de la petite fille.

Fleur à fleur elle arrange un éclatant bouquet :
Il trônera bientôt au milieu d’un buffet
Avant de s’étioler en rutilantes larmes…

Protégeant la maison de leurs sombres créneaux,
Des arbres, alignés comme des hommes d’armes,
Festonnent le sommet d’un paisible coteau.

Jacques Fabre "Jakolarime" © 22 juillet 2004



#362026 Les Coquelicots

Posted by Jakolarime on 08 December 2006 - 12:43 AM in Arts poétiques

Citation (Théagène @ Dec 7 2006, 08:24 AM) <{POST_SNAPBACK}>
Salut Jaco!
Beau sonnet, bravo!

Merci rolleyes.gif
Citation
J'y vois cependant deux petites fautes.
Au vers 1, "été" et "Au" enchaînés forment un hyatus et au vers 11 "étioler" est composé de 4 pieds (il me semble), ce qui en donne 13 sur le vers.
Mais bon, c'est presqu'un excès de zèle, je fais les mêmes erreurs dans les miens!

C'est bien sévère, en effet... mais juste !
J'ai vérifié pour "étioler". Il devrait en effet y avoir une diérèse étymologique, puisque "étioler" vient de "estoble", qui vient lui-même de "stipula", et qui a donné "éteule" (=chaume). Il y a donc dans les étymons latins une consonne ("b" ou "p") qui implique une diérèse. Toutefois, je remarque que la diérèse ne s'impose nullement à l'oreille, si l'on juge par analogie avec "idiot" qui ne se diérèse pas, car venant de "idiota", racine dépourvue de consonne séparative entre l'i et l'o. Le terme de "faute" est donc légèrement excessif.
Pour l'hiatus [b]été.//Au[b], il semble, d'après une remarque que j'ai lue récemment sur ce forum - et que j'essaie de vérifier - que la pause, marquée par le point, exonérerait de la faute en question ! Il est vrai aussi que l'oreille ne s'offusque pas plus que dans "thé-orême", ou.... dans Thé-agène wink.gif .

Merci en tout cas pour cette lecture attentive.

Jklrme



#361554 Photos En Inspiration, Poésies En Soupir

Posted by Jakolarime on 05 December 2006 - 05:57 PM in Arts poétiques

Citation
Mes poésies sur photos


Jolis poèmes et belles photos. Bravo.



#361427 Agénor

Posted by Jakolarime on 05 December 2006 - 01:27 AM in Nouvelles

Agénor

Albin était loin de soupçonner, avant de s’embarquer dans cette aventure, la masse de travail préparatoire qu’exigeraient de telles vacances…

Tout avait commencé six mois plus tôt. Dans une revue destinée aux amateurs de voyages au long cours, il était tombé par hasard sur une annonce rédactionnelle de l’Agence VVV (« les Vacances de Votre Vie ». Tout un programme !). L’article publicitaire était bien tourné, et l’offre qu’il contenait plutôt alléchante. Sans arrière-pensée, il en avait parlé à Duchauffle, son partenaire occasionnel aux dominos. Celui-ci avait doucement rigolé en évoquant tout le plaisir qui attendait un sexagénaire affrontant des épreuves dignes d’un Indiana Jones ! Ces gentilles moqueries l’avaient piqué au vif. Il s’abstint d’insister outre mesure sur les différences qu’il voyait entre lui – sexagénaire, certes, mais encore gaillard et actif, fier de sa taille mince et de ses cheveux blancs, mais drus –, et le pauvre Duchauffle, même âge à peu près, mais sérieusement décati, le cheveu rare et malsain, les dents aussi jaunes que l’ivoire vieillissant des dominos qu’il faisait tinter à longueur de journées, le cul vissé sur la moleskine du bistrot Chez Maurice…

Le voyage de trois mois en Amazonie – ou plutôt « l’Expédition », c’est ainsi qu’on présentait la chose, chez VVV – s’imposa bientôt à Albin comme un défi personnel. On verrait bien s’il était « fini », et s’il était le « vieux croûton » que laissaient entendre les commentaires des habitués de Chez Maurice !

Mais, la décision étant prise, il fallait encore l’assumer.

Il y avait eu, d’abord, la visite chez le médecin recommandé par l’Agence. Avant d’établir son avis médical, le praticien avait, tantôt directement, tantôt par sous–entendus condescendants, utilisé tous les moyens pour tenter de dissuader Albin d’entreprendre ce périple. De fait, le jeune toubib (la trentaine bronzée et arrogante, frais émoulu de l’externat) semblait réticent à admettre qu’un quasi-vieillard puisse affronter les dangers d’un séjour prolongé dans un climat éprouvant, sur des terres éloignées de la société technologique dont, à son âge avancé, on peut toujours avoir besoin …

Il énonçait ses objections avec tout le respect dû à l’importante solvabilité dont Albin avait justifié auprès de l’Agence VVV. Cette componction agaça profondément Albin, qui, à plusieurs reprises, avait bien failli lancer au jeune homme : « Tu me crois gâteux, p’tit con ? Qu’est-ce que ça peut te foutre, si je claque là-bas ? Je ne suis pas ton père, après tout ! ». Mais il s’était retenu en songeant que, justement, il aurait pu être son père et que, dans ce cas, il aurait eu lieu d’être reconnaissant à ce jeune merdeux de tenter de le protéger contre les conséquences d’un coup de tête sénile.

Le petit docteur avait présenté, et fait signer à Albin, une déclaration par laquelle celui–ci "reconnaissait avoir reçu toutes informations claires, précises et complètes sur les risques, notamment sanitaires et médicaux, liés à l’expédition, les avoir parfaitement comprises, et persistait, néanmoins, dans sa décision, en renonçant d’avance à intenter contre l’Agence VVV toute action fondée sur une appréciation insuffisante des risques susmentionnés… » Albin, écumant de rage, avait paraphé l’infamante décharge (il ignorait qu’en réalité tous les participants signaient le même papier !), puis il était allé se faire piquer les fesses et le gras du bras dans un centre spécialisé en vaccinations tropicales, pour être immunisé contre la fièvre jaune, la variole, le tétanos, et Dieu sait quel autre exotique béribéri.

Pour ne pas mourir idiot, il avait, pendant de longues heures volées aux enivrantes parties de dominos avec Duchauffle, étoffé sa connaissance de l’Amazonie par de nombreuses recherches sur l’internet. Il n’était pas peu fier de l’importante monographie ainsi constituée, et qui, espérait-il, le dispenserait de poser les questions stupides qui lui seraient inévitablement venues à l’esprit.

Il avait dû acquérir à grands frais les objets, non compris dans le somptueux forfait de l’Agence VVV, mais dont il fallait se munir pour affronter les étouffantes rigueurs du climat, et les dangers de la faune et de la flore, dans ces contrées reculées… Cela lui avait donné l’occasion de courir aux quatre coins de la capitale dans des magasins pittoresques dont il ignorait qu’ils puissent encore exister à Paris, et qui, malgré les pertes subies par l’Empire français depuis plus de cinquante ans, regorgeaient d’objets dits coloniaux.

Enfin passeport, visas, vaccinations, attestations et certificats, tout fut pratiquement en ordre. Il ne restait plus que deux papiers à remplir et à retourner au secrétariat de l’Agence. Il compléta soigneusement le premier imprimé : Assurances, non sans avoir compulsé quelques dossiers poussiéreux où dormaient les renseignements demandés. Puis il saisit le tout dernier formulaire : Liste de personnes à prévenir en cas d’accident.

Albin saisit son stylo, dont il dévissa résolument le capuchon, pour en finir avec cette paperasserie. La plume s’immobilisa au-dessus du formulaire vierge ; elle y resta longtemps, comme en suspens.

Qui ? Mais qui pourrait–il bien ?… Ses pensées allèrent immédiatement vers sa chère Christine. Quinze ans, déjà, que son épouse était morte... C’eût été la destinataire idéale d’un message annonçant qu’il était en difficulté, quelque part entre Manaus et Fonte Boa. Un sourire triste passa sur les lèvres d’Albin : si elle avait été encore de ce monde, serait–il sur le point de partir, comme un vieux fou, en Amazonie ?…

À part Christine, Albin ne se connaissait aucune famille, proche ou éloignée. Ses propres parents eux-mêmes avaient été enfants uniques : pas d’oncle, ni de tante, ni de cousins à l’horizon. Partant, point de nièces ou de neveux de ce côté–là…

Quant à la famille de Christine, pas question de les avertir de quoi que ce soit ! Une bande de tordus qui, à la mort de son épouse, avaient été jusqu’à vérifier son contrat de mariage, son testament, au cas où Christine aurait laissé une succession à laquelle ils puissent prétendre… Écœuré par ces démarches, Albin les avait tous virés avec pertes et fracas, et avait définitivement rompu les ponts avec cette engeance de boutiquiers avides !

Qui ? Il songea à quelques-uns des ex-collègues de bureau avec lesquels il avait été le plus lié. Il revit leur émotion, sincère pourtant, lorsqu’il avait pris sa retraite, six mois plus tôt. « Mais on se reverra, tu sais ! On gardera le contact… » Tu parles ! La dernière goutte de mousseux avalée, après le pot de l’amitié, dès la remise de l’inévitable lecteur–DVD–home–cinéma (le truc qui a succédé à l’inévitable caméscope, dans le florilège des cadeaux de départ à la retraite), acheté avec le produit de la collecte dont l’enveloppe de papier kraft avait circulé furtivement de bureau en bureau, – depuis cette petite cérémonie, donc, un peu convenue mais au fond sympathique, rien... Aucun signe de vie. Le retraité entre dans une demie mort. Un avis de décès ne serait qu’une simple confirmation.

Qui donc, alors ? Duchauffle, son partenaire aux dominos ? Il n’avait toujours pas saisi l’intérêt de cet étrange voyage au bout du monde. Il est vrai qu’en fait d’étranger, la seule excursion de Duchauffle hors du territoire national remontait à 1958, lorsque, adolescent, il s’était rendu à l’Expo Universelle de Bruxelles, où il était monté dans l’Atomium. Albin ne voyait pas à quoi pourrait bien servir la divulgation à Duchauffle d’un accident le concernant.

Ah, bah ! Maurice, tiens ! Le fameux Maurice, propriétaire du bistro éponyme ! Avec sa grosse voix de rogomme et son air de se foutre de la gueule de tout le monde, l’inénarrable Maurice faisait, quoi qu’il en eût, partie de son décor, de son petit monde… Mais de là à l’inscrire sur cette feuille, comme un proche, Albin sentait que c’était au-dessus de ses forces.

Mais bon sang, qui ? Au fond, pour qui Albin comptait–il vraiment ? Qui se soucierait de le savoir gravement malade, grelottant de fièvre au cœur de la forêt amazonienne ? Qui craindrait pour sa vie, alors qu’il agoniserait sur l’épave démantelée d’une pirogue fracassée dans un rapide boueux ? Qui tremblerait de la gourmandise d’anthropophages au nez monstrueux, percé d’ossements humains ? Qui serait horrifié de l’inquiétant intérêt que manifesteraient pour lui les réducteurs de têtes ?

Devrait–il se rabattre sur cette brave madame Lamigeon… Alberte Lamigeon, que les copropriétaires n’appelaient que « la toquée du cinquième ». À cause, sans doute, de son amour immodéré pour les chats errants. Ses largesses alimentaires rameutaient dans la cour de l’immeuble une troupe féline miaulante et malodorante, qui lui valait la haine unanime de tous les résidents. En tout cas, elle s’était gentiment proposée pour arroser ses plantes (sa compassion s’étendait au règne végétal…), aérer l’appartement de temps en temps, et prendre en pension Agénor.

Agénor, c’était le poisson rouge d’Albin, un beau cyprin aux reflets dorés, stupide mais vigoureux, qui ne se lassait pas, depuis plus de trois ans, d’explorer le vide de son bocal, guettant d’un œil rond les fines paillettes déshydratées que lui dispensait journellement la main parcimonieuse – mais fidèle – d’Albin.

Sur la première ligne pointillée du questionnaire vierge, Albin inscrivit, avec une grimace désabusée :

« Agénor ».

18 novembre 2004



#361482 Agénor

Posted by Jakolarime on 05 December 2006 - 11:06 AM in Nouvelles

Citation (socque @ Dec 5 2006, 07:24 AM) <{POST_SNAPBACK}>
Mais, à mon avis, les développements avant la chute sont trop longs.

Tu veux dire l'avant-dernier paragraphe ? Ou quoi d'autre ?

J.



#361534 Agénor

Posted by Jakolarime on 05 December 2006 - 04:50 PM in Nouvelles

Citation (bohemia @ Dec 5 2006, 11:55 AM) <{POST_SNAPBACK}>
Quel humour! C'est exellent, Un vrai plaisir croustillant à te lire.

Oh ! merci, bohemia ! Ton plaisir est le mien... rolleyes.gif
J.



#361654 Agénor

Posted by Jakolarime on 06 December 2006 - 12:37 AM in Nouvelles

Citation (socque @ Dec 5 2006, 07:15 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Je veux dire : les paragraphes consacrés aux personnes possibles à contacter en cas d'accident. Il me semble que deux ou trois (ou qautre, allez) phrases lapidaires à chaque fois suffiraient à cerner les personnages, à montrer le vide affectif du héros, et "muscleraient" le texte. (Tu verras vite que c'est ma marotte : épurer, élaguer...)


Tu as sans doute raison. J'y songerai.
Merci de ton intérêt. smile.gif
J.



#361302 Concerto En Abyme

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 01:44 PM in Nouvelles

Citation (bohemia @ Dec 4 2006, 12:25 PM) <{POST_SNAPBACK}>
En tout cas, grande qualité d'écriture, un plaisir à te lire, même si le sujet est très sombre.


Grand merci, bohemia...
Enfin, j'ai aussi plus gai. laugh.gif (Voir "Le coq").

Jakolarime



#361227 Concerto En Abyme

Posted by Jakolarime on 04 December 2006 - 01:40 AM in Nouvelles

Concerto en abyme

Dix-sept minutes quarante-deux secondes. C’est la durée de son concerto. Le CD avalé, le compte à rebours des dix-sept minutes et quarante-deux secondes s’affiche en vert sur l’écran du lecteur.
L’orchestre expose la belle phrase claire, joyeuse mais pas trop, du thème initial.
C’est à ce moment-là qu’elle ramenait ses jambes pliées sur le canapé, qu’elle posait la tête sur son épaule, qu’elle lui passait son bras autour du cou.
Le violon reprend le thème, sans fioritures excessives, légèrement souligné par les cordes graves et les bois.

Comme il avait couru, de la voiture vers le hall d’accueil des urgences ! Que de palabres, d’explications dans le brouhaha des détresses, des angoisses, avant qu’il puisse coller ses deux paumes et son front moite sur la vitre. Derrière la buée de sa respiration, elle reposait, reliée encore à la vie par mille tubes, mille fils, mille liens technologiques. Mais déjà loin, peut-être.

Le deuxième mouvement commence lentement. Adagio. Dans une tonalité suave et pénétrante, le second thème se déroule sur six mesures, tissant sa mélodie complexe et lumineuse, installant la plénitude dans un approfondissement idéal.

Avec quelle respectueuse délicatesse son corps rencontrait le sien ! Avec quelle chaste impudeur sa peau de velours épousait la sienne, rendant frisson pour frisson, halètement pour halètement. Hommage des sens à l’amour ; de la passion à la jouissance.

C’est presque avec brutalité qu’il avait écarté l’infirmière arrogante, qui prétendait l’arracher à son attente suppliante et révoltée. Elle avait capitulé, dans un haussement d’épaule, le laissant à son hébétude douloureuse.

Le compte des minutes décroît sur le compteur. Un alto est venu se joindre au violon soliste ; leurs arpèges s’entrelacent, subtils, sensuels. Ils s’effacent et dominent tour à tour dans la vibration d’un environnement sonore où l’on ne distingue plus, maintenant, s’ils sont une ou deux voix.
Les effluves entêtants de leurs cheveux, de tous les replis de leur corps, les précipitaient dans une quête effrénée de fusion, rythmée de sons rauques, inarticulés.

La pulsation lancinante du moniteur cardiaque se faisait irrégulière. Il ne pouvait décrypter le message de tous ces appareils qui montraient comment, peu à peu, se délitait la vie de celle qui était sa vie. Puis l’interminable signal continu, la cavalcade de figurines vêtues de blanc, la mine navrée de pantins inutiles, porteurs de la nouvelle impossible à croire, impossible à accepter. Impossible à refuser.

Le troisième mouvement est très lent. L’attaque de tous les graves est pesante, tragique. L’écrasant appareil harmonique est lugubrement ponctué de roulements de timbales.
Il dégage de son chiffon graisseux l’objet luisant, dense. Il le soupèse, empoigne la crosse, glisse son doigt dans le pontet, effleure la détente.
La seule question qui l’occupe est : « Où ? ».
Où appuyer le canon de l’arme ?
Sur le front ?
Sur la tempe ?
Dans la bouche ?
L’intensité sonore monte au fortissimo. Puis une rupture totale laisse, pendant de longues secondes, s’épuiser la réverbération.
Le compteur du lecteur égrène les dernières secondes.
Ce sera le front. En plein milieu.
Rompant le silence, le violon jette un dernier cri d’une insoutenable intensité. L’orchestre complet l’engloutit dans son accord final.
Le vrai silence, enfin.
Il murmure : « J’arrive ! ».

Jakolarime © 20 mars 2005



#362501 Les Raboteurs

Posted by Jakolarime on 11 December 2006 - 11:58 AM in Arts poétiques

Les raboteurs


Courbés en un effort de bêtes sous le joug,
Leurs rabots déroulant dans un bruit de raclage
Les volutes noircies d’une crasse sans âge,
Trois hommes, demi nus, travaillent à genoux.

Les lames en crissant découvrent un bois roux.
Leurs muscles tendus jouent dessous leur peau en nage
Qui brille sous le flot du violent éclairage
D’une fenêtre close au joli garde-fou.

Ils paraissent lancés dans une course folle.
Le premier voit déjà briller son auréole ;
Le second, d’un coup d’œil, évalue son retard.

Le troisième, égaré, a perdu toute chance
De rattraper jamais un aussi grand écart
Et de goûter, du vin, la douce récompense.

Jacques Fabre "Jakolarime" © 9 mars 2006