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Le Vieux Smaël


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3 replies to this topic

#1 Suave

Suave

    .............................

  • TLPsien
  • 123 posts

Posted 02 September 2006 - 12:04 AM

Monochrome.
Marron, brun, jaune, orange et rouge sombre.
Vieux.
Tout est vieux
Chez le vieux Smaël.

Ce matin,
Journée du noctem siffle du poïsho fringale,
L’âge du vieil homme
Masserait le corps fragile
Dans le bain stagnant des éternels souvenirs.

Encore de nos jours,
Aucun esprit n’a été mis à jour
Qui puisse parler de l’incroyable immobilité
Qui emporta Smaël dans son levé.
Il était cinq heure et quarante deux minutes quand
Tout se mit à exister
Chez le vieux Smaël.

Il n’existe aucun repère
Ni de temps ni d’espace
Quand il n’y a plus qu’un seul esprit
Et que le décor est cet esprit.
Cet homme vivait chez lui.
C’était le vieux Smaël.

Quand la nuit eût totallement quitté son corps,
Smaël se dressa, raide,
Pris ses vêtements posés sur le bas du lit
Et s’habilla comme un vieux tipi.
La journée commençait durement
Et Smaël quitta son nid
Pour s’isoler dans son gouffre quotidien.

Il longea chaque nanomètre
Qui le séparait de sa cuisine.
Compte tenu de tout les nanomètres qui le séparaient de sa cuisine,
On peut affirmer qu’il fut incroyablement rapide.
C’est là toute l’œuvre de l’absence de lumière
Cumulée à une forte habitude.

Son visage portait les traits des ceps centenaires,
Et il évoluait dans ces mêmes courbes.
Ses mains craquelaient comme coulent les plus durs glaciers.
Son squelette était d’un seul bloc,
Et son articulation n’était possible
Que grâce à l’humidité excessive
Qui s’échappait des carrelages dissous ;
Même si celle-ci rendait tout mouvement plus douloureux encore.

De ces souffrances il nourrissait une inconditionnelle patience.
De cette gigantesque patience se bâtissait une désespérante et grandissante habitude.

Il s’était fait une raison :
Ce n’est pas la vieillesse qui implique la solitude
Mais une forme de sagesse défaitiste
Forgée par un existentiel voué au luxe de l’identité.
Cet homme avait un nom, autrefois,
Qu’il portait fièrement.
Avant d’être vieux,
Il fut Smaël.

Depuis la retraite, son identité était morte,
Bien avant l’homme.
La fierté est un perpetuel fardeau
Qui fatigue,
Vieillit.
Sa fierté, c’était son orgueil, et c’était parce qu’il était Smaël,
Qu’il avait le droit d’être entendu.
Quand il fut vieux,
Son orgueil avait été changé en caprice,
Produit d’une mysterieuse coutume.
Difficile d’être fier quand on n’est qu’un vieux capricieux.
Il n’y avait plus d’homme dans le vieux Smaël.
Il ne restait plus qu’une vague présence réchauffée d’une tannique momification :
C’était le vieux Smaël.

Il évoluait dans sa cuisine comme une algue
Qui, par un pouvoir sur le sel,
Maîtrise les courants,
Lentement.

Dans une concentration perpétuelle,
Qui rappelle vaguement celle des suicidés,
Il sortit une bouteille neuve
Avec laquelle
Il rougit le fond d’une casserole et, par hygiène,
Il s’impatienta
Des premières vapeurs
...
Il empoigna la casserole
Transversa une giclette dans un petit verre
Qu’il porta directement
Contre les paroies de sa gorge.

Un frais soupir jouvenceau,
Puis il finit de verser le vin
Dans le verre tout juste tiédi.
Sans réellement d’hésitation,
Il partit s’assoir,
À sa table,
Pour finir son petit déjeuner.

Le vin, dans le verre,
Restait d’une stoïcité débordante.
Smaël le déposa sur la table.

Non sans nostalgie,
Il regardait le rouge épais et vaporeux,
Et s’oublia en lui.
Le tableau se figea comme si les deux acteurs venaient d’apparaître par magie.
Le vin se brassait,
Porté de chaleur,
Et ses courants lançaient doucement l’alcool dans les airs
Entraînant l’éveil des mouches.

Quand le verre fut fini,
Smaël rota,
Et les mouches tournèrent autour du nuage
Qui se dissipa,
Et tout redevint mortellement calme.

La pendule sonna les sept heures.
Puis les huit.

Puis les neuf.

Puis les douze.

Puis une seule fois.

Quand le gong épuisa ses frissons,
Exactement 62 secondes après le lancement du mécanisme,
Smaël porta sa lourde main sur la table
Comme si tout avait recommencé.

Les mains de Smaël étaient gonflées d’épaisses traces d’obstination,
Fruits d’une vie entière piétinée de devoirs,
Et ce mouvement le fatigua
Au point qu’il s’endormit.

... Il ouvrit les yeux.
L’effort désagréable que ce fut,
Fit dire au vieil homme qu’il avait été dérangé.
Mais bon sang par quoi ?
Sans bouger la tête,
Il constata autour de lui que rien n’avait bougé,
Et que rien
N’était vivant.
Le printemps avait tout juste montré ses premières chaleurs
Et les quelques mouches présentes étaient aveugles et stériles.
Celles-ci finissaient de ramper de faiblesse,
Sonnées par le rot du vieux Smaël.
Elles ne pouvaient en aucun cas être responsables d’une telle agression.

La sonnerie retentit.
Smaël sourit d’avoir trouvé la source du problème
Et s’enthousiasma d’ouvrir la porte
L’occasion de râler se présentait
Et cela lui était comme retrouver son nom si précieux.
Ses orteils engourdis l’emportèrent jusqu’à l’entrée.
Il tourna la clef, baissa la poignée, entrouvrit la porte et demanda qu’on se présente.
Ce que fit Guildert.
Smaël acheva de faire couiner les gonds,
Crissa les volets du palier,
Et regarda profondément son ami Guildert
Sans trouver la force de râler.

Smaël le pressa,
L’attrappa par les épaules,
Le fit entrer dans une gerbe lumineuse,
Le poussa plus loin dans le couloir
Et referma la porte.

Les deux vieux s’assistèrent dans une contemplation silencieuse et lourde de compassion.

Sans que Smaël n’eut le besoin de dire quoi que ce soit,
Guildert s’enfonça jusque dans la cuisine.
Et tout deux instaurèrent machinalement une habitude :
Guildert s’assied,
Et Smaël pris quatre courtes minutes pour le rejoindre
Avec la bouteille tout juste entamée,
Ainsi que deux verres propres.
Il remplit les verres, s’assit, et sourit.

“Bon anniversaire !”
Dit Guildert, brandissant son verre en vainqueur.

Smaël trembla, pétrifié.
Il attrapa un calendrier,
sur la commode,
Juste derrière lui,
Et puis ses lunettes,
Qu’il tint à sa vue sans en déplier les branches.
C’etait un évenement qui avait le mérite de ne plus être attendu,
Mais il faut avouer
Que le vieux Smaël avait quatre vingt ans depuis trois jours.

Quatre vingt ans est une chose qui se fête.
Quatre vingt ans, trés lourds,
Et plus de femme pour l’embrasser fièrement,
Aucun enfant pour faire vivre la joie.

Son vieux pote Guildert par contre,
Toujours complice d’une bouteille aux grands jours,
N’avait pas oublié,
Et même, avait bravé ses souffrances de vieillard
Pour rendre hommage à une riche histoire.

Seulement l’âge a un vice,
Il préfère les émotions
À leurs circonstances.
Et les deux hommes aujourd’hui étaient évidemment brassés
Par la puissance et la légèreté de tout les évènements qu’ils avaient pu porter au fil de leur vie,
Mais aucun ne su trouver de mot ni d’envie
Pour focaliser l’histoire
En une série d’épisodes.
Ils se regardèrent,
Suffis par la fascination d’un tel bouquet.
Ils n’étaient plus du genre à expliquer un tableau.

En quelques longues heures de silence,
Il finirent la bouteille.
Les réjouissances avaient trouvé leur fin.

Quand Smaël se décida à boire sa dernière gorgée,
L’automatisme intellectuel de son plaisir le poussa à ressentir toutes les sensations revisitées dans cette folle journée.
Il se mit à pleurer.
Et Guildert mourut.

Smaël s’aperçut quasiment tout de suite de la mort de son ami.
Il commença à lui parler.
Parce qu’il sentait
Que le cerveau
De Guildert
Était encore possédé d’inconscience.
Et que de cette inconscience
Allait dépendre son voyage.

Smaël veilla toute la nuit,
À regarder la mort
Comme un fantasme.

Au petit matin, il appela des infirmiers
Qui furent sur place
Quand Smaël se rassit.
Alors il se releva,
Et partit ouvrir la porte.

Quand il arriva sur le palier,
Les infirmiers étaient partis.

Le vieux Smaël sortit sur le trotoir, au soleil.
L’ambulance fit demi tour
Et crachat deux énorme bourrus en blouse,
Vexés par le doute d’une mauvaise blague
D’un vieux capricieux au sale caractère.

Les infirmiers passèrent outre l’attente de Smaël à déclarer la mort d’un autre vieux,
Mais quand il lui demandèrent son avis sur la cause de la mort,
Smaël leur répondit

Que Guildert avait été élevé dans les bonnes manières,
Qu’il avait toujours refusé de croire en son pouvoir sensible,
Que l’endurance de l’âge effaçait toute résistance aux sentiments,
Et que Guildert avait enfin découvert,
En voyant son ami pleurer,
La puissance passionnelle de son histoire,
Et que la violence d’une telle prise de conscience,
D’une conscience insensée et pourtant si vivante,
Avait eut raison de son cœur peu entraîné et légèrement âgé.

Les infirmiers rirent d’un tel charabia alors Smaël ajouta
Que Guildert avait été mortellement frustré
D’un vital besoin de danser et de chanter.

Puis l’ambulance partit.
Et Smaël rentra chez lui
Pour souffrir les raisons de sa solitude.

#2 Suave

Suave

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  • TLPsien
  • 123 posts

Posted 02 September 2006 - 11:12 PM

Pour unr fois qu'y en a un qui se casse le cul à raconter autre chose que des cuissons de coeur d'artichaud vous pourriez faire un effort et lire ce texte magnifique !!!!

#3 Carla.

Carla.

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  • TLPsien
  • 3,612 posts
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  • Conseils de lectures:L'alphabet dans tous les sens, Eluard, Reverdy, Esteban, Juarroz, Pascal Fauvel...

Posted 04 September 2006 - 10:56 AM

Oui, c'est une belle histoire qui ne nécessite pas obligatoirement cette mise à la ligne régulière.

#4 Suave

Suave

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  • TLPsien
  • 123 posts

Posted 21 September 2006 - 04:56 PM

Citation (Carla. @ Sep 4 2006, 09:56 AM) <{POST_SNAPBACK}>
Oui, c'est une belle histoire qui ne nécessite pas obligatoirement cette mise à la ligne régulière.



pas obligatoirement obligé mais cette manie découle d'un soucis à retranscrire les "spasmes d'inspirations" à l'image des visions qui fleurissent le long de la création.
C'est un peu comme un revelateur d'ecriture automatique non pas dans le mot mais dans le fond.

Voila. Je n'ai pas la prétention d'écrire de la poésie. La poésie est comme la peinture. Ce n'est pas un passe-temps. C'est quelque chose de passionné et de sérieux. n'est poète que celui qui voue sa vie à la poésie ; et on ne devient finalement poéte qu'à la fin d'une croissance : La mort.

Ce que je fais reste du passe-temps, et donc, une étude potentielle sur les trésors de l'indifférence.




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