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Le Clochard Et L'écrivain


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#1 Vasavoirsi

Vasavoirsi

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Posted 22 November 2006 - 03:21 PM

Il est là tous les matins. Tous les matins, depuis de nombreuses années. Il fait partie du paysage. Immuable comme les grands arbres. Arbres à l’écorce rugueuse et marquée. Des traînées aux couteaux, des passages d’amants encore enlacés. Les gens qui passent ne le remarque même plus. Ne font pas attention à lui. Les yeux s’adaptent et ne cherchent que ce qui change. Pas ce qui reste.
Ce matin, il s’est levé avec peine. Son vieux carton n’avait pas résisté aux intempéries de la veille. Il avait plu toute la nuit et il regorgeait d’eau. Son abri de fortune s’était plié puis effondré. Il avait dû chercher refuge sous la voûte d’un immeuble. La voûte céleste ne voulant plus de lui.
Les étoiles s’étaient fait la belle et lui le clochard était encore plus démuni. Mais il avait l’habitude. Quoi que l’on puisse dire, on s’habitue à tout, même à la misère. Il s’était fait une raison.
Il est toujours quelque part, dans un jardin public. Autour, de vieilles HLM qui attendent d’être repeintes. Toute le monde l’appelle le clochard. Il n’a plus de prénom. Les prénoms sont offerts en gage d’une vie belle et heureuse. Lui, n’a plus de vie depuis longtemps. Il se contente juste de continuer, de la poursuivre au jour le jour. De rues en rues, de sols en bancs, de murs sales en murs blancs. Il ne parle plus à personne. Il ne demande même plus l’aumône. Ses besoins sont écrits sur un vieux bout de carton arraché. Il demande d’ailleurs encore quelques francs. Assis contre le mur d’un quelconque immeuble, ils voient passer des files interminables de pantalons, tissus en jean ou en velours, de jambes féminines fines ou grosses, d’escarpins, de bottes, de chaussures de sport. Ils ne voient plus les visages, plus les regards. Il ne voit plus que la moitié basse du monde. Plus que ce qui est à raz de terre. Plus que ce qui est capable de ramper, de se traîner, de mendier. Quand il se relève, c’est toujours après avoir compté les quelques pièces tombées dans le gobelet en plastique. Jamais assez. Assez pour une véritable nuit, pour un véritable repas. Assez toujours pour le litre de rouge infâme qui lui fera oublier les raisons de sa déchéance. Pas assez pour ne plus aller vers les poubelles qui jalonnent le boulevard. Pas assez pour y faire glisser ses mains à la recherche de ce que les autres ne veulent plus. Pas assez pour les prendre pour lui, pour le clochard qu’il est et qu’il sera jusqu’à la fin de sa vie.

- Fichue poubelle qui ne contient jamais rien. Qui ne contiendra jamais de trésors. Fichue poubelle ! Boite à lettres de sa vie de merde !

Ce matin, il n’eut à nouveau que quelques pièces. Ce matin-là, il ne trouva rien de comestible dans les poubelles. Rien à part, une feuille de papier en boule, qu’il déplia et défroissa délicatement avec ses doigts. Il y avait des mots écrits dessus. Des mots raturés, des phrases entières. De longues phrases qui s’esquissaient finement. C’était l’écriture de son inconnue. Cette femme mystère qui déposait des bouts d’histoire dans les poubelles. Toujours celles qui sont sur le boulevard. Il se dit qu’aujourd’hui, c’était son jour de chance. Aujourd’hui, cette femme lui avait encore écrit. Il se dit qu’il allait retourner contre son mur et qu’il la lirait là-bas. Il sourit. Il regarda quelques personnes. De ce monde du haut, il vit de trop nombreux visages. Cela lui donna le tournis. Elle était peut-être encore là, à le regarder de loin. À attendre sa réaction. Il scruta le visage des femmes, mais comment aurait-il pu reconnaître l’écrivain ?

Corinne

#2 Zapiski id podpolia

Zapiski id podpolia

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Posted 22 November 2006 - 03:28 PM

Putain c'est beau comme du amelie poulain

#3 Vasavoirsi

Vasavoirsi

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Posted 23 November 2006 - 09:30 AM

Elle était là, devant moi, posée sur le bureau, blanche, livide. Totalement vide. Cela faisait un moment que je l’observais. De longues minutes, peut-être même des heures.
Je n’avais plus aucune réalité, que celle de cette absence-là des mots. Des dessins. Des ratures. Des ébauches de lettres, même de simples traits, de commencement d’histoires.
Rien. Absolument rien.
J’ai mis mes mains sur mon visage et j’ai pensé à eux.
D’abord avec crainte, une étrange peur de les décevoir. Vous savez quand vous promettez quelque chose et que vous ne tenez pas vos engagements. Je me suis dit que tout ce vide c’était ma faute. J’avais engendré le chaos. J’avais créé un univers instable, un beau château de cartes qui n’avait pas tenu au premier souffle du néant. Et eux, à l’intérieur, avaient péri, au milieu des batailles incertaines, joué et perdu sur un coup de poker. Je ne valais pas mieux que le reste du monde. Je ne valais surtout pas ce monde-là. Je ne valais pas Amosis. Eléonore m’avait quitté. Elle avait interdit mon nom dans ses histoires étranges. J’étais banni. Irsène m’avait relégué au rang de folles, schizophrène et psychotique et m’avait prescrit des doses de cachets orange. L’infirmière restait debout devant moi, voulant être sûre que je ne les jetterais pas. Que je les prendrais comme une patiente bien sage.
Je les ai pris, je crois. Il me semble. Je ne me souviens plus très bien. Il n’y a pas de couleur sur ma page. Pas de orange. Elle est simplement blanche.
Je la regarde et je me dis qu’il faudrait peut-être tout simplement arrêter. Arrêter de tenter d’écrire. Ou alors gribouiller quelques mots, jeter sur le papier des insanités, les raturer, en redire d’autres et prendre de rage la feuille, la réduire en boule, la balancer à la poubelle. Faire ça, ce serait bien. Mieux pour tout le monde. Il y a peut-être des vies dans les tas d’immondices. C’est sans doute sa place, son devenir. Rester là à attendre le camion-benne et traverser toute la ville, faire un étrange voyage entre une pomme à peine entamée et une canette de soda. Survivre à la cigarette mal éteinte. Suivre les autres déchets et arriver au milieu d’autres. Prendre la pluie puis le soleil. Résister tant bien que mal aux intempéries. Puis perdre les quelques mots écrits, les sentir s’effacer, perdre de sa texture, se désagréger. S’éparpiller avec le vent comme les cendres d’une vie défunte à qui l’on a rendu sa liberté.
La page est blanche. Livide de mon trop long silence, de mon devenir incertain, de mes lâchetés quotidiennes. Mes mots se sont tus avec une facilité déconcertante. Je n’ai pas eu à ressentir le poids pesant de la fin. C’est arrivé comme cela, un matin. Elle est là, posée devant moi, et je la regarde, translucide. Ouverture de glace sur un monde en transparence. Reflet de cette vie-là qui se montre et m’échappe. Histoire sans début ni fin. Brèves de comptoir et esquisses parjure.
Je vois mon monde que je ne peux plus atteindre. Je touche la glace, la caresse, efface la buée. Je les vois. Je les regarde. Je les vois au loin. Ils me regardent tous aussi. Ils me jaugent. Ils ne disent rien. Je sais bien qu’ils ne diront rien tant que je ne leur donnerai pas l’ordre. Tant que je n’aurai pas le courage des mots.
Eux. Tous mes personnages ont pris place là où il pouvait. Là où le roman s’était arrêté. Ils attendaient mon bon vouloir. Ils attendaient tous que je revienne. Il continuait à communiquer entre eux. Ils poursuivaient leurs vies.
Les personnages de roman ne meurent jamais. Ils sont comme ces jouets dans les malles. Quand les enfants dorment, ils se réveillent et ils vivent. Ils continuent les histoires. S’en racontent d’autres. Ces personnages-là, on leur a insufflé la vie. Ils ont rejoint le monde des vivants, des héros qui ne meurent jamais, même ceux qui succombent sous le coup de poignard, même ceux qui se pendent, même ceux qui disparaissent au fil des lignes pour des raisons moins graves. C’est magique. Il suffit d’une page en arrière. D’une page retrouvée. D’un nouveau mot, puis d’un autre mot. Une simple phrase et ils reviennent.
La page est glace. Terrible de toutes ces évidences. La page est miroir, devant, derrière mes ombres qui dansent. Dans la lumière de leurs étranges présences, je vois mon visage en transparence.

Corinne

#4 INFONTE

INFONTE

    INFONTE

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Posted 26 November 2006 - 02:03 PM

Non, cela ne m'a pas parlé ...
Ce fut un vif regret.
Quand on s'éloigne de soi, est-ce pour autant qu'on se rapproche des autres ?




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