Via dei Riari
(Au delà de l’indigo)
Les murs de l’appartement sont couverts de tes dessins. De ton histoire.
Les couleurs sont tracées en fines parallèles, dans un lignage sérié où le motif achève son mûrissement. Un portrait au crayon, encore marqué par l’enfance ; dans la chambre, face à l’éveil, des paysages dont les teintes se diluent doucement dans le lait de l’aube. Ce sont des collines toscanes. Les plus anciennes à la pâleur homogène. Puis le trait trouve son assurance et vient appuyer l’horizon sur le contraste sombre d’un cyprès, ou d’une façade. Qui a vu le jour derrière ces pierres, qui dormira au pied de cet arbre, dans une juste paix ?
L’appartement est patiné comme un vieux costume, dont tu as reprisé chaque pièce, choisi chaque meuble, chaque éclairage ou contre-jour, sans luxe, sans rigueur, dans le ton. Tout l’étage est à l’abri de la lumière, jusqu’au crépuscule où les rayons se faufilent dans la diagonale du Trastevere.
La pluie d’un hier gris est venue doubler le ciel de tes rideaux. J’ai choisi de visiter ta bibliothèque, y retrouvant çà et là entre les guides touristiques, de vieux amis. Dante. Virginia Woolf, dont les vagues ont pu s’échapper vers la mer. Tu as du étudier un temps l’anglais à la Talbot University toute proche, il te reste des blocs-notes couverts de vocabulaire, et des polycopiés. M’excuseras-tu toutes ces indiscrétions ? Pourtant, tout ici invite à suivre ces morceaux choisis de ta vie, à en reconstituer comme une ébauche de céramique, une jarre, peut-être.
Ce matin la lumière froide de la Lungara appelle à remonter son col. Un petit vent pousse les cheveux couleur café de Galatée à travers les vitres de la Farnesina. Raphaël aussi aimait le pain chaud.
Le Tevere est un fleuve que l’on traverse plus qu’on ne le longe. Là où pourtant, tout le romantisme du monde viendrait écrire son nom à la surface des eaux. La lumière en a gardé beaucoup, captifs à jamais confiés aux chats de la pyramide de Cestio. Byron gravera le pied de sa statue comme les parois d’une prison. « But I have lived, and have not lived in vain. My mind may loose its force, my blood its fire, and my frame perish even in conquering pain. But there is that within me which shall tire torture and time, and breathe when I expire.”
…
Journey on the Rainbow.
J’ai trouvé ce texte manuscrit entre deux livres. Tu as ajouté des corrections au crayon rouge. Par moments je préfère le texte original où l’anglais hésitant guide le voyageur.
As I ascended the rainbow, the soil became more solid.
Under my feet, and before my eyes I distinguished the seven coloured streams, very clearly.
For a while I kept to the middle and walked on the green which, as it reminded me of meadows was more familiar to me. On my left the yellow colour, and on my right the blue gave out reflections which spread like two luminous guides on either sides.
As I went on, those reflections became higher and formed nearly two hedges, and through each of them the othor colours appeared. On the left beyond the yellow, I saw the orange and red coloured eddying vapours; on the right beyond the blue, violet and indigo haves hovered into one another.
The path had got steeper and I had to slacken my face.
De nombreuses fenêtres de Rome, et surtout de ton quartier sont tendues d’une bannière arc-en-ciel, barrée du mot PACE. Elles ne parleront qu’au vent, mais referont surgir à chaque ruelle la lumineuse incitation à la paix intérieure de ton texte. Peut-être en avais-je besoin. Peut-être le monde a-t-il besoin parfois de petites feuilles de papier oubliées entre deux livres.
…
J’ai croisé le soir qui tombait vers la montée du Gianicolo. Les arbres abritent des voitures y garant des rendez-vous discrets. Des réverbères s’allument impromptu. Ils viennent à éclairer entre les statues des dignitaires de la république, des banquettes où j’imagine des serments fiévreux et de touchants abandons -deviendrais-je romantique ?…- Le phare des Argentins envoie une lumière verte de cette Rome vivante sur les murs aux barreaux désaffectés de l’ancienne prison, en contrebas de la colline -…Mais ai-je jamais cessé de l’être ?-.
…
Le cœur de l’appartement est une pièce plus claire, sans porte, où les fauteuils, larges, attendent l’échange. Ils ont sans doute beaucoup à conter, en toutes langues. Entre de longs silences, dont ils peuvent aussi témoigner. Là se propose, à mon avis, le petit chef d’œuvre. Tu sais, celui qui se dévoile à qui le cherche dans les circuits trop bien tracés des musées entre les toiles des grands maîtres.
C’est un cadeau. Une boîte cartonnée, à peine ouverte, les papiers de soie colorée tout juste déplissés. Il en émerge une silhouette enfantine, pâle et souriante, radieuse même, dans son regard qui me dévisage. Sa joue est posée sur un ballon, aux quartiers colorés, qu’elle enserre de ses bras. Tu as dispersé tout l’arc-en-ciel en coups de crayons précis, éthérés, en contrepoint de l’objet noir qu’elle tient dans sa main. Un méticuleux revolver, le chien aux aguets. Sur le devant de la boîte, tu as écrit « My mother ».
Longtemps suis-je resté à réfléchir devant ton dessin, que nous vivions dans de petites boîtes en carton, des tresses de comédies et de drames, si décalés avec les couleurs qui les tapissent.
…
Les appels du finir, et de l’infini.
Appia Antica, sans espoir, sans traverse. Droite est la voie, impitoyablement. Savoir l’encre obscure versée sur chaque pierre, lisse de tous les regards posés, sans comprendre, comment, pourquoi. Voir les anges cacher dans le silence transi des arbres les tremblements de leurs épaules. Ils ont balayé de leurs ailes toute trace de beauté vers les dalles noires. Ils montent la garde maintenant dans le sombre des cyprès, dessinant l’absence de part et d’autre de la seule issue vers un horizon en fuite. Un trop de vie, trop de temps trop de tout. Oser le visage quitter le sombre du pavé. Est-ce que la désespérance saurait tourner ses pas à cette infinitude, revenir poser sa joue sur le mur sombre et sans fenêtre du mausolée de Metella, arracher ce baiser froid qui scelle ses lèvres sur le silence.
…
Un (ton ?) visage.
Il est sans complaisance avec celui qui le dépeint. Un trait d’irritation pour ce qu’il gênerait de la concentration de ton regard vers un point de fuite. Tu es étrangère à la scène, déterminée ; toute l’énergie du front soulignée par une frange à l’insolence têtue que je vois réapparaître ici et là sur les murs, les albums. Au dos du dessin, 1966. Tu dois y avoir 10 ans. Nous avons le même âge, et combien de mondes visités.
Questo e un germoglio del cervello,
Un piccolo seme in corsivo
Piantato da un disegno
Doloroso,
Esitante come il vento
Nelle mi …
Rapido come la lingua del torrente
… as-tu écrit sur un champ de chevelure, sous un horizon de clochers, de tours, de minarets. Par quelle porte aurais-je pu entrer dans ton histoire, au moment où je referme celle de chez toi. Je vais quitter ton appartement. Un dernier regard pour cette feuille de chêne, que tu as encadrée d’une calligraphie diluée dans l’aquarelle, au point de la rendre quasi illisible pour qui n’aurait pas ma patience. J’ai traversé Rome en migrateur, refaisant cent fois pourtant le chemin de ta rue, ne trouvant le calme qu’entre tes murs étranges. J’y ai laissé un peu de mon âme. J’espère qu’elle ne te dérangera pas.
- Avril 2003 -
Via Dei Riari
Started by Ariel, Dec 22 2006 04:18 PM
3 replies to this topic
#1
Posted 22 December 2006 - 04:18 PM
#2
Posted 22 December 2006 - 05:55 PM
Rien qu'un mot : magnifique
#3
Posted 22 December 2006 - 08:16 PM
J'aime beaucoup ce texte, ce voyage en Italie et cette très belle phrase, comme un souvenir que l'on laisse se déposer sur certains lieux que l'on à aimés, comme une douleur qui resterait là comme un fantôme du passé : "J’ai traversé Rome en migrateur, refaisant cent fois pourtant le chemin de ta rue, ne trouvant le calme qu’entre tes murs étranges. J’y ai laissé un peu de mon âme. J’espère qu’elle ne te dérangera pas." Et comme une note oubliée, que l'on retrouve glissée dans un livre, juste pour se souvenir...
Je te souhaite une bonne Année
Amitiés
Bohémia
Je te souhaite une bonne Année
Amitiés
Bohémia
#4
Posted 22 December 2006 - 08:55 PM
Ariel,
Oser
L’infime
Et le prisme.
Chez les Egyptiens l’indigo est divin
Un souffle d’infini,
Au-delà?
« Toujours…, demain, peut-être. ».
(évidence peut-être, de toi)
Très beau texte. Merci.
Je ne peux que deviner "torrent", petit", "bourgeon", "douleur" > pourrais tu ajouter ici la traduction des textes en italique, le dernier (la naissance?), les deux sûrement.
Bises
Juliette
Oser
L’infime
Et le prisme.
Chez les Egyptiens l’indigo est divin
Un souffle d’infini,
Au-delà?
« Toujours…, demain, peut-être. ».
(évidence peut-être, de toi)
Très beau texte. Merci.
Je ne peux que deviner "torrent", petit", "bourgeon", "douleur" > pourrais tu ajouter ici la traduction des textes en italique, le dernier (la naissance?), les deux sûrement.
Bises
Juliette
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