J'ai l'odeur du tabac sur mes doigts, je penche le visage appuyé sur une main et je repasse la porte de Damas en mémoire. Aller-retour. Les yeux ouverts sur la rue, je traverse le coude en pierre s'ouvrant sur la vieille ville. Ces dalles au sol qui sentent le vieux et dès le midi noir de monde et d'odeurs. La porte passée, à pas traînés pour se frayer un chemin, le début du souk s'étale sur une rue en pente. Sur la gauche, un minaret dans le dos la vieille muraille devant légumes fruits bric broc ou cigarettes. De chaque coté boutiques et échoppes rivalisent en couleurs parfums drapes et olives. Assises au sol, deux femmes vendent et pèsent à l'aide d'une balance qu'elles suspendent à bout de bras. Shekels cris et bruits, 7 shekels le Lucky Strike, et la rue se sépare en deux autres. A l'embranchement, falafel chawarma épices pâtisseries.
J'emprunte la voie de droite. Celle-ci est à moitié couverte de prolongements de préaux des devantures. Là, des passages voûtés. Beaucoup de commerces de gens de toiles, le temps est suspendu pour un étranger. Régulièrement, escaliers en ruelles montantes s'étirent de chaque coté. Je m'arrête à un croisement en puits de lumière, entrecoupé de charpentes de bois. La forte luminosité se réverbère au sol sur les pavés. Palestine bouge terne se bouscule mais, contre le mur, rien ne s'arrête. En face, un homme est assis sur une chaise proche de son étale. Et des chaises il y en a souvent une ou deux au coté d’un étalage, parfois vides. Mais je suis à coté, un café turc en main acheté l’instant avant, je suis assis au sol les yeux mi-clos. Le liquide chaud me brûle les lèvres. Un mouvement de tête en arrière par réflexe, et c’est une serveuse asiatique qui me frôle le visage, pour servir un autre client…
Retour, oui retour. Non pas de sucre, pas de sucre jamais, l’amertume en est bien meilleure. Et je revois apparaître ce gris délavé. Il coule sur les vitres entraîné par la pluie parisienne. Avant de m’installer à cette table ronde de cafetier, j'ai piétiné mes converses noires sur le trottoir rue Anatole France la nationale 7 plus loin. Et cette nouvelle boutique "de Paris à New York" d'articles de mode douteuse. Là aussi du bric et du broc mais à la devanture rose. Je repense aux locaux apparemment trop souvent déserts d'Art Kane et l'Amandine Café qui s'est refait une terrasse avec bâche rouge un peu tendance. Les carreaux au sol, façon ancienne épicerie, en perdent de leur vieillerie. Place à un brin de neuf. La lune sera entière ce lundi.
La nuit, il n'y a personne la rue le métro. La nuit, lumière publique blanche. Et je rentre, reprendre la rue de mon appartement. Demi-tour, demi-tour vers Damascus Gate. L’hôtel ferme à une heure et, la nuit, il n’y a personne la rue le vieux quartier. Tout est rouge, ocre, terre le soir sur les vielles pierres. Il faut remonter plusieurs marches avant d’arriver à la place, les palmiers les travaux et enfin, le Jerusalem Faisal Hostel qui m’ouvre sa porte. Mais je suis chez moi, l’interrupteur enclenché, le canapé est bien là. Un whisky et pas d'alcool, les volets fermés.
« Broken » en vinyle, j'aime ce morceau ; elle prend une aspiration toute discrète à la première seconde. A gauche, la télé récite un périple version bitume du trans-sibérien, 10000km de route du Kremlin au pacifique. Il est 22 heures à celui de Bicêtre. Sur la table foncée, ce roman de Marguerite Duras sur fond de pacifique Vietnam. Flash, un essai nucléaire en Corée du Nord. Bukowski, enterré. Abidjan et Dakar drainent elles aussi leurs auras, j'y pense pour un an. Je n'ai pas lavé mon jean depuis que je suis rentré de Palestine, mon lave-linge me guette d’un œil suspect…
Edited by NoMorgan, 12 October 2006 - 09:33 PM.