De la patience dans l’arrosage des cyclamens
Le musée paléontologique est ouvert en février de 10h à 12h30 et de 14h30 à 17h sauf le dimanche après-midi, 2ème étage, salle Abel Ranson.
Quelques marches, encore. Une pièce toute en longueur. Parquet de chêne, vitrines, fenêtres à petits carreaux où la pluie a laissé ses empreintes.
Tout au fond, un homme regarde une galerie de portraits.
En 1924, Toussaint Querpennes-Marchovent est nommé secrétaire de mairie à Villers sur Mer. Avec l’aide du doyen de la Faculté des Sciences de Caen, le professeur Alexandre Bagot, il remet en ordre les collections paléontologiques, les entretient et les enrichit.
Suit sur le mur la photographie de Toussaint. Impersonnelle. Est-ce vraiment un trait de caractère que de remonter le col de son pardessus sur une gorge que l’on sait fragile ?
Comme chaque matin il en a vissé le dernier bouton, refermé la porte d’une chambre meublée qui depuis qu’il la loue ne connaît plus trace du moindre désordre. Il traverse maintenant le vestibule. Arrivé sur le perron de la villa, il donne un tour de clé, et dépose celle-ci devant la jardinière. Là siège un arrosoir de zinc dont l’ostensible fonction est de masquer aux passants l’emplacement du sésame partagé par les locataires. C’est l’hiver, il est le seul occupant mais c’est l’usage.
Une plaque de tôle bleutée indique la raison sociale de la propriétaire, Mme Lesueur, sage-femme diplômée d’état, appelée comme souvent au beau milieu de cette nuit pour participer à l’alevinage des campagnes dépeuplées par l’hécatombe des tranchées et de la grippe espagnole. Tout à l’heure Toussaint inscrira le nouvel arrivant sur les registres municipaux.
Rien ne le presse mais il hâte le pas le long du front de mer. Il a pris l’habitude de ces dix minutes d’avance à son travail, pendant lesquelles il ne réfléchira à rien. Sur la digue, il ne rompra la régularité de son pas qu’au passage du méridien. A l’endroit ou celui-ci met pied à terre, la municipalité a figuré une ligne virtuelle de clous métalliques. Il évitera soigneusement de les piétiner. Il n’y voit aucun symbole. Une habitude, une de plus.
Qui peut prétendre qu’il n’attache aucune importance à cette négativation de la longitude. Qui sait s’il ne voit pas comme une sorte de frontière entre la certitude et le doute originel dans ce passage entre l’est et l’où est … Toussaint ? Non … Pas un vulgaire joueur de mots, un scribe dans la plus pure tradition. Lira-t-il seulement ce matin l’article paru le 14 janvier 1924 dans l’Eclair du Pays d’Auge sur Maximilien Sens. Certainement pas. Il se contentera d’en découper le contour et de glisser l’extrait dans la chemise Biographies du tiroir Géologie et Paléontologie, puis de référencer cette nouvelle pièce à la page 38 du registre de l’inventaire du Musée, d’une scrupuleuse calligraphie en italiques.
Aucune chance qu’il n’ait jamais été sensible au lyrisme poétique mis par Paul Lechevallier dans son allocution nécrologique auprès de la Société de Géologie de Langue Française, oeuvre monumentale, statue épique caressée par les ailes de la science et de l’inspiration littéraire, et que l’on ne saurait omettre ici de citer :
Allocution de Paul Lechevallier lors de la séance générale annuelle du 22 avril 1918 de la Société Géologique de France, en souvenir de Maximilien Sens. *
La mémoire de nos malheureux confrères morts au champ d'honneur doit être célébrée dans les annales de la Société géologique avec toute l'ampleur dont ils sont dignes. On ne saurait en effet assez témoigner aux familles éprouvées, aux jeunes générations qui viennent, au monde savant, combien vif est notre culte pour les défenseurs de notre sol.
Maximilien Sens naquit le 26 juillet 1881 à Lunéville (Meurthe et Moselle). Henri, son père que nous vénérons tous et dont tout éloge en ce lieu serait superflu, était, à cette époque professeur à l'Ecole des Mines. Il lui apprit, dès l'enfance, à observer les choses de la nature et c'est surtout, au bord de la mer, à Villers, où la famille Sens passait l'été, que la vocation de Maximilien commença à s'affirmer. Tout gamin, il suivait déjà son père dans ses promenades géologiques le long des falaises ou sur la plage. Chelon-Berger, le regretté savant dont le souvenir est encore bien vivant parmi beaucoup d'entre nous a aussi beaucoup contribué à orienter les goûts du jeune Maximilien vers l'histoire naturelle en recueillant sur la plage des fossiles, des algues et des animaux vivants abandonnés par la marée.
Le chalet Chelon-Berger était un véritable jardin botanique et zoologique où se trouvaient réunies à côté de plantes alpines la plupart des fougères du pays et une petite ménagerie où des Caméléons, des Tortues exotiques et des Souris valseuses attiraient la curiosité de Maximilien. Mais la recherche des fossiles jurassiques dont il devait un jour décrire de nombreux spécimens le passionnait par-dessus tout.
Après de solides études au Lycée Condorcet, il avait déjà conquis à 20 ans et avec la plus grande facilité, son diplôme de licencié ès sciences naturelles. Il n'hésita pas à préparer les certificats de minéralogie et de physique générale afin de parfaire sa culture générale. D'autre part, il s'instruisait régulièrement des choses de la géologie au laboratoire et dans les collections de l'Ecole des Mines, guidé par la haute expérience et la science inépuisable de son père et aussi par les idées qui s'échangent entre savants venus de partout dans ce sanctuaire de la paléontologie.
Ainsi admirablement préparé à entreprendre des travaux personnels, Maximilien, déjà confiant en lui-même, se met en quête d'un sujet de thèse. L'Esquisse géologique des Préalpes subbétiques, sous son titre modeste, est un chapitre des plus importants de la géologie de la Péninsule Ibérique et de l'histoire de la Méditerranée occidentale. Ecrite dans une langue sobre et claire, artistiquement illustrée de nombreux croquis, de vues panoramiques, et de photographies accompagnées de profils explicatifs, son auteur, paléontologue averti et tectonicien prudent, y fait honneur à l'Ecole française et entraîne favorablement la conviction du lecteur.
Tous les étages secondaires et tertiaires étudiés par l'auteur lui fournissent matière à de nouvelles découvertes paléontologiques. Il signale des faunules d'Ammonites pyriteuses dans divers étages éocrétacés et mésocrétacés, semblables à celles étudiées par Nicklès dans la province de Valence ; il démontre que les calcaires à Orhitolincs et à Rudistes de Jodar sont bien de l'Aptien supérieur comme beaucoup de ceux d'Algérie ou des Pyrénées.
Ses découvertes paléontologiques mettent en évidence des lacunes considérables dans le détroit nordbétique, entre le Maestrichtien et le Nummulitique seulement représenté par le Lutétien, puis entre celui-ci et l'Aquitanien supérieur. Au Miocène supérieur le détroit est exondé. L'Aquitanien remarquablement transgressif y est formé de dépôts bathyaux où les Globigérmes voisinent avec les Radiolaires et les Diatomées et par quelques sédiments néritiques à Lépidocyclines.
Rapidement les honneurs vinrent à lui sans qu'il s'en souciât. Secrétaire de la Société en 1906, il ne tarda pas à en être lauréat (1910) et puis, en 1914, vice-président, en la bonne compagnie de son camarade et ami Jean Boussac. N'est-ce pas là une satisfaction pour nous tous de voir leurs deux noms à la tête du bureau de la Société à la veille du jour où ils devaient mourir pour la France ! Quand la paix sereine sera revenue, nous resterons longtemps encore en deuil et tout au regret de ces morts affreuses.
Mais que ces sentiments qui m'oppressent au souvenir de nos chers disparus ne me fassent point oublier que j'ai le devoir de vous donner un aperçu de l'oeuvre paléontologique du regretté Maximilien Sens .
Elle a trait à deux groupes zoologiques : les Foraminifères et les Ammonoïdés.
Parmi les premiers, il s'est particulièrement attaché à l'étude des Lépidocyclines en collaboration avec son ami Paul Lemoine. Suivant l'exemple de Chelon-Berger, les auteurs ont largement utilisé les caractères tirés des préparations en lames minces et c'est ainsi qu'ils ont reconnu l'importance de la constitution de l'appareil embryonnaire mégasphérique et qu'ils ont pu en faire le fondement de leur classification. Ils ont pu ainsi distinguer trois groupes suivant que cet appareil est en forme de haricot, ou bien à loges tangentes intérieurement ou enfin formé de deux loges demi-circulaires accolées. Il faut signaler aussi l'importance, pour la distinction des espèces, des caractères tirés de la disposition et de la forme des piliers latéraux.
Ses travaux sur les Ammonoïdés sont encore plus importants que ces derniers. Les Céphalopodes jurassiques de Dives et de Villers avec lesquels il s'était familiarisé dès l'enfance l'ont aussi particulièrement intéressé. Les deux travaux qu'il a publiés dans les Mémoires de la Société, l'un sur les Cardiocératidés, l'autre sur les Oppeliidés sont parmi les meilleurs de sa production.Le développement ontologique des genres Stepheoceras et Pachyceras lui permet de croire que le second n'est qu'une mutation du premier. L'une des dernières oeuvres de Maximilien Sens parue en 1914 concerne les Oppeliidés du Calvados. Les genres Hecticoceras, Oppelia, Lissoccras et ceux de position systématique douteuse comme Creniccras et Taramelliceras y sont décrits et discutés avec autant de mesure que les précédents.
Au moment de la mobilisation, en 1914, Maximilien Sens avait rédigé un long mémoire sur les Cosmocératidés. Il constate dans la forme de la coquille et dans la ligne suturale des variations brusques qu'il explique par des changements du mode de vie de l'animal, celui-ci ayant pu habiter la haute mer ou sur les rivages. Enfin, il observe que les caractères de quelques formes anciennes persistent dans le stade népionique de certaines formes récentes et cite quelques cas curieux de parallélisme entre tontogénie et phylogénie. Ce mémoire est accompagné de 24 planches en héliogravure remarquablement exécutées d'après les photographies de l'auteur.
L'Ecole des Mines, reconnaissante des services rendus par lui, allait se l'attacher définitivement en qualité de conservateur des collections de paléontologie ; le directeur du Service de la Carte géologique lui avait confié la révision de la feuille au 80 000e de Besançon. Quelques jours avant le 4 août 1914, il rédigeait un bon article paru depuis dans La Géographie où il résume avec beaucoup de clairvoyance les explications variées émises sur l'origine des sols polygonaux ou réticulés observés au Spitzberg.
Après cet article, il devait poser sa plume alerte et diligente pour prendre le fusil et gagner la frontière, en sa qualité de sergent d'infanterie. Hélas ! Il n'en devait plus revenir. Le 4 novembre 1914, il arrive sur le front à Sapigneul, près Berry-au-Bac. A proximité de son poste, un obus de gros calibre vint éclater sur un arbre voisin. Maximilien est tué sur le coup par un éclat de bois.
Sa mort ouvrit à la Société la liste de nos confrères tombés à l'ennemi ; elle y a causé parmi nous tous de poignants regrets qui ne cessent encore de nous étreindre. Depuis lors, la géologie française a été durement éprouvée, et plus particulièrement la paléontologie dont les pionniers les plus savants viennent de disparaître : Zeiller, Grand'Eury, Boussac, Thevenin. Pertes irréparables dans le présent dont le souvenir nous guidera pour préparer l'avenir.
Maximilien Sens , quoique mort tout jeune, à trente-trois ans, laisse une oeuvre solide, érudite, consciencieuse, copieuse, tout entière à l'honneur de notre pays et bien digne du nom qu'il porte. C’est à l'heure où il commençait à entrevoir une première synthèse qu'il disparaît. C'est au moment où il allait avoir les plus belles satisfactions de carrière et de famille qu'il est tombé dans la mêlée.
Que ceux qui le pleurent se raidissent avec fierté. Il n'a pas succombé en vain. Il est mort pour son pays, pour la défense du droit, de la justice, de la liberté dans le monde qu'il souhaitait ardemment devenir meilleur. Il laisse une femme dévouée, qui stoïquement, en vaillante Française, supporte la cruelle séparation. Puissent notre vive affliction et le souvenir que nous gardons de la belle carrière de son mari alléger le poids de sa douleur ! Que son vénéré père, qui nous est devenu doublement cher, veuille bien accepter ici, pour eux tous, l'hommage du chagrin de la Société tout entière !
…
Un soir d’octobre 1924
Il est tard, et la mise à jour des bases de taxes d’imposition sur les propriétés foncières bâties et non bâties dont le relevé doit parvenir dés lundi en trois exemplaires à la sous-préfecture de Lisieux (Calvados) l’a mené bien au-delà de la nuit tombée. Ses yeux sont à rude contribution. Geste très inhabituel, Toussaint se masse doucement le front de ses dix doigts.
Il y a un contentieux sur la villa Chelon-Berger. D’une surface officielle de 6 hectares et 38 ares, inscrite sur la parcelle Q-323 du registre cadastral entre le chemin dit de Marie-Louise et la falaise, elle demeure inhabitée depuis l’éboulement de mars 1923 qui a emporté le chalet, le kiosque, et toutes les terres jusqu’à la coursive du rez de jardin. Notoirement inoccupée depuis la guerre, et faute de légataire identifié, la propriété fait l’objet d’une procédure d’intégration aux biens communaux. Un arrêté municipal du 31 août 1924 a déclaré son accès dangereux, et interdit au public. Evacuée de son mobilier, les entrées en ont été murées.
Il n’en reste pas moins qu’il a fallu en urgence faire réévaluer contradictoirement les superficies devant huissier et géomètre, déductions faites des surfaces concernées par le sinistre, jusqu’au droit de la nouvelle ligne de crête.
Chose faite.
Paul Marie Lucien Lahaul est né le 23 octobre 1924 à six heures trente, de Jeanne-Marie Hardouin née à Saint-Pierre Azif (Calvados) le 3 janvier 1891, veuve sans enfant de Pascal Henri Mathieu Vesque, décédé le 3 août 1916 à Péronne (Somme), remariée à Lucien Charles Albert Lahaul, né à Gonneville (Calvados), le 6 avril 1901.
Déclaration en mairie le 27 octobre 1924.
Chose faite.
Au fond du couloir où seuls les employés de mairie ont accès, il y a un réduit où sont rangés pêle-mêle les fournitures administratives, les seaux, les balais et les wassingues, le pupitre pour les discours officiels sur la place de la Mairie, une vieille paire de bottes en caoutchouc appartenant au premier adjoint, adepte de la pêche à pied. Et une armoire à clés.
Toussaint a refait jeudi dernier l’étiquette du jeu ouvrant les accès non condamnés de la villa Chelon-Berger. Il dégage de l’anneau métallique une des clés, plus lourde, plus noire. Il regagne son bureau. Il met un peu d’eau dans la soucoupe du cyclamen, (chose curieuse -car ce n’est pas le jour habituellement désigné pour cette opération-, mais chose faite).
Il enfile son pardessus, glisse dans la poche droite la clé et un morceau de bougie qu’il conserve dans le tiroir de son bureau pour les pannes de courant.
Il quitte la mairie et s’engage vers le chemin Marie-Louise.
La porte de la lingerie est restée accessible, en contournant la villa par l’Ouest. En cherchant la clé dans sa poche, il racle machinalement sur le paillasson l’excédent de boue qu’il a entraîné sous ses semelles en traversant le jardin détrempé par les pluies de ces derniers jours. De cette glaise, les habitants disent que c’est une terre amoureuse.
La maison est vide. Peut-être est-ce ce retour à l’ordre primitif de la poussière qui a attiré Toussaint ici ce soir, si loin de l’atmosphère gaie des jours d’été. Les taches claires sur les murs disent les meubles, les tableaux, presque les cris d’enfants qui remontent de la plage. Ici s’est construit l’histoire d’une famille. Une histoire, des histoires. Dans le petit salon du rez-de-chaussée une fenêtre donne sur l’ouest. On n’a pas jugé utile de refermer les volets. L’affleurement de l’à-pic lors de l’effondrement d’un pan de falaise l’an dernier l’a rendue inaccessible.
Posée sur l’allège, Toussaint a trouvé une photographie. Au verso, au crayon : Max. S. Un gosse encore. Treize, quatorze ans. On reconnaît en arrière-plan les terrasses de l’hôtel Brise de Mer. Max dessine sur la plage, des yeux, un immense regard, à même le sable.
A côté, une lettre, qu’il lui prendra la curiosité inattendue de lire.
…
∏ (la lettre)
Il y eut une histoire, ceux-là que nous avons été. Il y eut un monde, théâtre où le mouvement de chaque particule me relisait la pièce.
Il y eut un creux dans lequel se compléterait la minéralité du partage.
Les lanières entourent sans serrer, d’un bras le geste, et de la poitrine le souffle.
Huit mesures de sel. Pour un crescendo où se perdre la tête, ex favilla le songe qui enchaîne encore la conscience, sans que l’on ne sache si les entraves la retiennent ici ou ailleurs, vers cette grande voie ouverte sur la contrainte et la liberté extrêmes, l’entrave de soi à soi, l’affranchissement vers de supposés absolus qui comme le zéro n’existent pas en deçà de –273° Celsius.
Qu’y a-t il encore d’humain à entendre ?
La main se pose sur l’épaule de l’ébauche, elle allonge le souvenir dans le courant des marnes à venir et c’est à même l’argile qui te vit naître.
Dans quelle main a fui mon insouciance, ma belle et généreuse insouciance plate, comme des années-sédiments de vie, périodes coquillages…
Un vent pur, et froid - beau ce vent qui séchait les varechs - a balayé les dessins des ères de sable.
Mais tu écris encore toute ta suffocation…
« Je suis la terre et l’eau … »
Où est la vraie surface, toi qui te terres dans un réseau affleurant la profondeur, toi qui sculptes le dessous comme le dessus sans laisser la moindre flaque apparente là où je croyais voir le ciel.
Comme la mer effacée mais omniprésente dans le laconisme du calcaire, tout ici t’est lointainement du.
Instant pauvre, humble et inachevé, richesse dans la seconde dépossédée où toute mémoire sitôt tenue se perd. Juste conservés, une impression pénétrante, un flou, un estompé mental dans un esprit devenu trop léger, vidé, volé de quelque chose,
Il n’y a plus de surface, ciel et profondeur d’une eau disparue, le vertige du volume ré-inventé. Toute craie dispersée quand l’énigme trouve son chiffre, quand l’histoire trouve son terme, feuille, entre les feuilles, empreinte de longtemps et de loin
Sable, écoute le temps, qui passe à ton oreille …
Tout en elle était longueur. Les cheveux, les bras et les jambes. Légèreté, aussi.
Que de regards échangés,
que de têtes qui se retournent, en oubliant les jeux,
pour voir. Si.
J’ai vite appris le chemin de la digue vers sa maison, le prénom de ses frères,
les fleurs rouges sur un maillot un peu plus blanc chaque jour.
Elle est passée, tout près.
Je suis resté au pied de cette chambre d’écume,
Attendant son regard pour un soir triste et grave.
Jamais, non, jamais.
Le souvenir est donc intact dans la mémoire,
comme la plus précieuse promesse.
Tout en elle était longueur.
Les yeux, surtout.
La passion reliait l’écriture en une histoire. Quand la passion a réalisé qu’elle était passion, elle a rejoint l’enfance, au moment où l’enfance éprouvait que l’été était arrivé.
Un soleil
posé sur la table de l’horizon.
Fruit d’une saison
dont l’âme déshabille la peau
- te souviens-tu ce matin de mon regard, ce voile dont il t’enveloppait dans l’illusion d’une lumière d’espoir déjà si froide de ses intuitions.
(luminescence)
La voix prenait chair et force et équilibre quand je passai l’équateur du jour. L’aplomb de la croisée apprenait, déjà, le partage asymétrique de la raison vers la folie
Mais je ne sais d’où naquît ma révolte.
La spirale vint retourner sur elle-même les infiniment loin de l’avant et de l’après
la devenue sincérité dans l’extrême exactitude du reflet.
- A l’orée du Nautile, n’entends-tu pas l’écho des paroles premières dans le cycle des cycles ?
Empreinte fossile que l’histoire abandonne, feuille, entre les feuilles du longtemps et du loin, trace anonyme et profonde laissée à la curiosité des enfants accroupis,
- N’est-ce pas cela que tu cherchais ?
Dans la précision du point, toute la puissance des déserts qu’on abandonne.
Et dans ce creux, comme un silence de pierre, l’immobilité du partage.
M.
…
Il repliera la lettre, soigneusement, en quatre.
Il fera quelques pas,
puis il y reviendra.
Il remarquera que dehors la pluie redouble.
Il ouvrira la fenêtre,
la bougie s’éteindra.
Il y aura une violente bourrasque de vent.
Il posera ses mains sur le bord de la fenêtre,
et il ne les enlèvera jamais.
…
En cette fin d’octobre 1924, une spirale dépressionnaire minimum 915 mbar centrée sur la mer d’Irlande se déplace rapidement Sud Sud-Est. Vents de secteur Nord, échelle neuf Beaufort, localement dix sur la zone Antifer, forts cumuls de précipitations.
Coefficient de marée à Ouistreham 1,12.
L’Eclair du Pays d’Auge parle d’une violente tempête d’équinoxe et recense de nombreux dégâts, blessés ou disparus en mer. A Villers, une tourelle de l’Hôtel Brise de Mer s’écroule sur la verrière du restaurant. Document photographique à l’appui, en présence de Monsieur le maire de la commune, du propriétaire de l’établissement et de son épouse.
Nulle part il n’est fait mention d’un nouvel effondrement de la falaise.
Pourtant le dernier vendredi du mois toute l’aile ouest de la villa Chelon-Berger, jusqu’à la grande loggia de la salle à manger et le jardin d’hiver rejoignirent les étages du Callovien supérieur.
On perdit la trace de Toussaint Querpennes-Marchovent, employé sans histoire dont on regretta longtemps le sérieux et la ponctualité dans l’arrosage des cyclamens.
F. le 31 mars 2006
...
* Cette nécrologie est le fruit d’un pillage en règle de la notice biographique de Robert Douvillé par J. Blayac, lue à la séance générale annuelle du 22 avril 1918 de la Société Géologique de France.
De La Patience Dans L'arrosage Des Cyclamens
Started by Ariel, Sep 20 2006 11:36 AM
4 replies to this topic
#1
Posted 20 September 2006 - 11:36 AM
#2
Posted 29 September 2006 - 03:07 PM
Merci de ta lecture respectueuse (trop ?).
Il m'est arrivé de chercher des fossiles, ces petites merveilles ouvertes sur l'avant.
A Villers, ou ailleurs.
Ce texte me semble construit comme un bloc hétérogène de glaise, de sédiments, de cailloux plus ou moins précieux (en tout cas du prix qu'ils peuvent avoir pour moi), voire, peut-être, de fossiles.
Lire un texte a une part d'appropriation. Chacun peut en détacher ou en garder tout ou partie, chercher l'angle qui lui convient pour l'attaquer, le comprendre, l'habiter.
Voire le rejeter, tant il est vrai que cette hétérogénéité est ici une reconstruction artificielle.
'lut ...
Il m'est arrivé de chercher des fossiles, ces petites merveilles ouvertes sur l'avant.
A Villers, ou ailleurs.
Ce texte me semble construit comme un bloc hétérogène de glaise, de sédiments, de cailloux plus ou moins précieux (en tout cas du prix qu'ils peuvent avoir pour moi), voire, peut-être, de fossiles.
Lire un texte a une part d'appropriation. Chacun peut en détacher ou en garder tout ou partie, chercher l'angle qui lui convient pour l'attaquer, le comprendre, l'habiter.
Voire le rejeter, tant il est vrai que cette hétérogénéité est ici une reconstruction artificielle.
'lut ...
#3
Posted 05 November 2006 - 10:20 PM
Et je ne sais plus l'heure qu'il est.
Encore, j'aime beaucoup : pour la qualité d'écriture et les recherches que j'ai du faire, pour revenir au texte, en ressortir à nouveau pour lire 'la notice biographique de Robert Douvillé..' et songeante, revenir de ça et là, piller quelques perles pour ma mémoire.
Finalement, je n'ai fait que revenir.
Encore, j'aime beaucoup : pour la qualité d'écriture et les recherches que j'ai du faire, pour revenir au texte, en ressortir à nouveau pour lire 'la notice biographique de Robert Douvillé..' et songeante, revenir de ça et là, piller quelques perles pour ma mémoire.
Finalement, je n'ai fait que revenir.
Edited by Tyi, 05 November 2006 - 11:08 PM.
#4
Posted 08 November 2006 - 03:33 PM
C'est un beau compliment que ce rapport au temps perdu,
au décalage par rapport au trop facile repère des heures, des jours, des années.
J'ai été comme toi fasciné par la notice biographique de Robert Douvillé; c'est une pièce de littérature hors-genre, à découvrir comme une lithographie d'un port lointain.
Ah ... Oui, ce qu'elle vient faire là.
Ca n'a rien à voir, mais en regardant il y a peu "le Portrait de Jean Hus (?)" de Rembrandt,
j'ai remarqué que le jeune homme était cadré dans un quart seulement de l'eau-forte.
Le reste du sujet montre une épée, et un livre. Et puis beaucoup d'ombre, sur plus de la moitié de la feuille, du quasi-noir fourmillant de petits détails, précis. Noir sans lequel il n'y a pas de lumière,
donc pas de silhouette, et pas de gentilhomme.
Voilà, la notice, c'est une pièce sombre, un morceau de glaise autour de la lettre Pi
Enfin, je l'ai construit comme cela.
Et je trouve toujours que la notice, pour qui s'y plonge sans la détacher d'un bloc de la lecture, ce qui est pourtant suggéré par le rédacteur, est en soi une oeuvre chargée d'une incroyable poésie.
Bon, on va encore me dire que j'éruditionne ....
au décalage par rapport au trop facile repère des heures, des jours, des années.
J'ai été comme toi fasciné par la notice biographique de Robert Douvillé; c'est une pièce de littérature hors-genre, à découvrir comme une lithographie d'un port lointain.
Ah ... Oui, ce qu'elle vient faire là.
Ca n'a rien à voir, mais en regardant il y a peu "le Portrait de Jean Hus (?)" de Rembrandt,
j'ai remarqué que le jeune homme était cadré dans un quart seulement de l'eau-forte.
Le reste du sujet montre une épée, et un livre. Et puis beaucoup d'ombre, sur plus de la moitié de la feuille, du quasi-noir fourmillant de petits détails, précis. Noir sans lequel il n'y a pas de lumière,
donc pas de silhouette, et pas de gentilhomme.
Voilà, la notice, c'est une pièce sombre, un morceau de glaise autour de la lettre Pi
Enfin, je l'ai construit comme cela.
Et je trouve toujours que la notice, pour qui s'y plonge sans la détacher d'un bloc de la lecture, ce qui est pourtant suggéré par le rédacteur, est en soi une oeuvre chargée d'une incroyable poésie.
Bon, on va encore me dire que j'éruditionne ....
#5
Posted 08 November 2006 - 09:08 PM
Non non j'aime beaucoup vos domaines respectifs, apprenez moi à lire, je me dirai qui je suis.
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