Milieu d'après-midi enrobé de chaleur. Eté et ciel de plomb, pas de circulation atmosphérique à l'horizon. Le vent du nord a dû s'endormir quelque part, loin du bourg provençal adossé aux contreforts alpins. La proximité des géantes cravatées du blanc pur des sommets ajoute encore un paradoxe. Le paysage est contrariant.
Les briques claires du mas familial n'ont plus la force de lutter. Leur reflet noir sur le sol est devenu caduque maintenant : l'astre jaune a poursuivi sa course circulaire, sans état d'âme.
A l'intérieur il fait gris. Pull over obligatoire. Suzanne, le dos courbé sur sa table écosse patiemment. La vie reprend ses droits après avoir exigé une trève douloureuse. La semaine dernière, la lune est passée sur la maison familiale. Ce n'était pas prévu. Et l'éphéméride, surpris d'une telle insolence, n'a rien pu faire.
Les larmes ont envahi les yeux clairs de la veuve. Elle travaille mécaniquement attelée à sa tâche. Tous ces gens indélicats lui ont martelé l'autre jour qu'il ne fallait pas se retourner. Avancer, avancer...Des charlatans qui lui ont conseillé de refouler quarante années de présence comme on tourne la page d'une revue.
Même plus de voitures sur le parking qui jouxte la remise. Les enfants sont partis. Il fait vraiment trop chaud ici.
Suzanne, medium improvisé par les circonstances du malheur, entend encore le chant des outils s'accouplant dans l'atelier familial. Son compagnon de route l'a laissée l'autre jour sur le bord d'un fossé. Sans carte, sans la moindre élégance. Juste le temps de rugir une dernière fois à l'ombre de son chapeau de paille, apaisé par les mains rugueuses et implorantes de son épouse éconduite. Et puis le silence...Rien. Un être qui prend la place du monde. La Nature perd un peu quelque part. Le départ de l'un des siens et c'est la toute puissance d'une Mère universelle qui s'en trouve effacée, remisée, recalée. Un qui tait Tout et c'est définitif.
Le silence et rompu : la théière vient de rappeler bruyamment sa présence. Malgré ses efforts, elle ne tutoiera jamais les nuages. La liberté ne s'improvise pas, les oiseaux chantent sans artifice. Elle, c'est le feu qui l'anime.
Suzanne se lève. Ses mouvements coulent lentement jusqu'à la gazinière écrue léguée par ses aïeux. Elle, ne fait pas de bruit, c'est inutile quand on a tout perdu.
Dix-neuf heures. La grande dame brune au teint halé rappelle sa présence. Dix-neufs coups et ce balancier qui s'est engagé dans une course avec le temps. Egaux encore, pas de vainqueur. Elle, lui doit sa présence, vit à travers lui. Lui, domestiqué, a accepté ce contrat implicite. Unis pour rappeler aux hommes, ces monstres inquiets et fragiles, que chaque infime moment de l'existence est en option.
La pendule trône, inerte. Suzanne l'aperçoit et la dévisage. De larges épaules, une carcasse burinée par les années, un cadran pareil à un visage humain. Elle ressemble un peu à son homme. Ilvivra à travers elle ; elle qui survit à toutes les morts. Comme il peut être reconnaissant ce temps enfermé entre quatre planches! Il faut le dominer, l'encadrer, voilà la clé.
Le thé aux allures de cheminée toute à l'heure, a refroidi. La petite silhouette fantomatique se dirige vers les persiennes à demi écartées. La cime des arbres danse dans un mouvement circulaire, envoûtant. Un vent léger venu d'Afrique vient de coloniser les chemins de traverse et les vigiles verts et jaunes s'écartent sur son passage. La Provence respire d'un souffle court malgré la nuit qui se présent. Le noir et la vie se mélangent enfin dans un tourbillon de douceur.
Elle sent sa présence. Il est là, c'est certain maintenant.
Seule
Started by Pampi, Oct 06 2006 07:41 PM
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