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La Table Du Seigneur (cinquième épisode)


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#1 D.GOLL

D.GOLL

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  • TLPsien
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  • Location:Marseille France

Posted 31 July 2006 - 10:01 AM

Le chant du coq dans la brume matinale me réveille. J'ai bien dormi. J'ouvre les volets et les premiers rayons de soleil entrent dans la chambre. "Tu n'as pas de juste milieu. Hier tu t'es levé juste avant le repas, aujourd'hui tu le lèves à l'aurore", bougonne ma femme. Elle a raison. Hier, lorsque je me suis réveillé, je me suis aussitôt rendormi pour ne rouvrir les yeux qu'au moment du repas. Cela fait trois jours que je suis à Saint Martial en Viveyrol et, dès mon arrivée, ce fut le coup de foudre ; on aurait dit que quelque chose me disait que je n'en partirais jamais, et cela tombait bien, car je m'y sens à l'aise.
D'abord, depuis que je l'ai quitté, le village n'a pour ainsi dire pas changé. J'ai l'impression de faire un voyage dans le temps. Ici, tout me paraît évident. Il me semble connaître chacun des habitants alors que, lorsque j'étais venu ici pour passer des vacances, j'avais une dizaine d'années, et depuis, je ne suis plus jamais revenu.
Il n'y a que le père de Michel que je connaisse. Maintenant c'est un vieux monsieur, mais oh combien dynamique. Il faut le voir le matin enfourcher sa bicyclette pour faire sa promenade matinale ou cultiver avec amour les légumes de son jardin. Il a un côté bon enfant qui m'amuse : tout lui semble facile, il a un avis sur tout, et surtout, a pour chaque chose une solution qui lui semble évidente. Il m'est quasiment impossible de penser à la rentrée, et pourtant, à mon retour, c'est une vie dans des conditions très difficiles qui m'attend.
Après le petit déjeuner, j'entends frapper à la porte. C'est justement le père de Michel qui nous apporte toutes sortes de légumes. "Nous en avons trop, et puis vous n'avez pas goûté les légumes de mon jardin, ce soir, vous ferez avec une soupe dont vous me donnerez des nouvelles". Le vieil homme est au courant de notre situation, mais il ne veut pas nous dire que, comme le préconise sa religion, il faut donner à ceux qui n'ont pas.
Je décide alors de l'aider et de jardiner avec lui. Pour cela, je vais utiliser la même arme que lui. Je vais prétexter avoir envie de profiter d'être à la campagne pour profiter des plaisirs du jardinage. L'aura-t-il cru ? Ne l'aura-t-il jamais cru ? En tout cas, il a immédiatement accepté mon offre en m'invitant à le rejoindre chaque matin dans le jardin.
Tacitement, un contrat se fait. J'aide le père de Michel à jardiner et lui en contre partie me donne des légumes, des œufs, parfois même un poulet ou un lapin.
Cela fait maintenant une dizaine de jours que nous sommes arrivés. Le temps semble s'être arrêté, la vie facile, les habitants, semble-t-il, nous ont très rapidement adoptés. Mon épouse passe de longs moments à papoter avec les voisines, parfois ces dernières lui demandent de les aider à faire quelques tâches.
Depuis mon arrivée, un détail m'interpelle. Dans un coin au fond du jardin, il y a un buisson de ronces. Je n'ai pas souvenir de ce buisson et n'arrive pas à me rappeler ce qu'il y avait à la place. Chaque fois que je peux interroger Michel ou son père, je n'y pense pas. Je profite d'un instant de repos pour me replonger dans le passé. Il ne faut pas chercher longtemps pour que les anecdotes reviennent. Puis, c'est le déclic : je me souviens qu'un jour, Michel s'était brûlé avec une pomme de terre que l'on avait fait cuire dans le four traditionnel. C'est ça ! A la place du buisson, il y avait un four traditionnel ! Sans rien dire, je quitte le jardin et monte à l'étage. J'interroge aussitôt le père de Michel qui me confirme bien l'existence de ce four.
Le modernisme aidant, la famille a opté pour un four à gaz. Elle a peu à peu abandonné l'usage de ce four traditionnel, dont la vue finit par gêner dans le jardin. Aussi, n'ayant pas le courage de le détruire, lorsque les ronces commencèrent à l'envahir, on ne désherba pas l'endroit.

Je propose alors mes services pour désherber le buisson, et demande si je peux faire du pain à l'ancienne dans ce four. Ce monsieur ne me donne pas de réponse directe. Aussi, je reste sur ma faim, car il m'est difficile, moi boulanger de métier, de laisser un four froid, de ne pas l'éclairer.
Il lit peut-être ma pensée au travers de mon regard et me dit que si cela me fait plaisir, je peux lever les ronces. Le vieux monsieur n'aura pas à répéter une deuxième fois son autorisation. Je pars aussitôt m'enquérir de gants, du matériel nécessaire et commence à lever les broussailles.
Deux jours plus tard, le buisson de ronces a laissé la place à un four rouillé plein de toiles d'araignée. Je demande à Michel de m'accompagner dans un magasin de bricolage et investis dans de l'anti-rouille, et de quoi colmater le four le cas échéant.
Après le débroussaillement, l'anti-rouille et diverses réparations, j'appelle tout le monde pour procéder à l'éclairage du four. C'est un moment solennel. Très vite, il chauffe. Je ne fais rien cuire pour l'instant, il faut lui laisser le temps de chauffer. Cette cérémonie se terminera par un apéritif.

Je n'arrive pas à voir passer le temps. Dans trois jours, il faudra rentrer. L'idée de retrouver la ville me donne un pincement au cœur, et chaque fois que j'en parle, mon épouse me demande de lui laisser savourer les vacances jusqu'à la dernière goutte, et le père de Michel se met en colère rien qu'à l'idée de nous voir partir ; pourtant, dans trois jours il faudra bien qu'il s'y résigne.
Durant la nuit, on frappe à la porte de ma chambre. La femme de Michel m'informe que son beau-père se sent mal. Elle a appelé les pompiers, ils doivent l'amener d'urgence à l'hôpital le plus proche. Nous apprendrons le lendemain qu'il est en soins intensifs. Son état est très grave et du fait nous ne pourrons pas rentrer pour l'instant. Bien que l'heure ne soit pas à la réjouissance, nous sommes contents de rester sur Saint Martial Viveyrols pendant l'hospitalisation. Durant cette période, je vais continuer à entretenir le jardin et mon épouse la maison.
Ne pouvant s'absenter de son domicile indéfiniment, Michel et sa femme nous demandent de rester le temps nécessaire pour s'occuper du grand-père, et eux feront le nécessaire pour vider notre appartement, et nous en trouver un autre. Ainsi, Michel et son épouse seront plus tranquilles et nous, nous pourrons bénéficier d'un logement et des légumes du jardin.
Nous passerons ainsi la fin de l'été, la saison des vendanges et une partie de l'automne. Le père de Michel se rétablit lentement et bientôt nous pourrons envisager sa sortie de l'hôpital. Fin novembre, lors d'une visite, nous apprenons que le père de Michel pourrait réintégrer son domicile à partir du lendemain. Cependant, il ne peut pas rester seul car il a besoin de beaucoup de repos. Ce vieux monsieur n'aura pas besoin de nous supplier pour rester avec lui encore quelques temps.




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