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Jakolarime

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Topics I've Started

Mer Rouge

23 December 2006 - 12:33 AM

Mer Rouge

Je ne laisserai pas, sur la grève éclatante,
La trace de mon pas accablé de chagrin.
Je ne chercherai pas, dans les eaux transparentes,
Le muet frémissement du monde sous–marin.

Je laisse au madrépore, et aux algues gracieuses
Mollement agitées par les tièdes courants,
La mission de veiller vos dépouilles précieuses
Et de puiser leur vie dans vos restes gisants.

C’est au fond de mon cœur, pour un autre séjour,
Que votre âme chérie a fixé sa demeure.
Ma pensée vous y trouve, et la nuit, et le jour,
Et vous y resterez jusqu’à ma dernière heure.

Mais de quel crime odieux payer si grande peine ?
Vous ai–je assez aimés ? Vous l’ai–je dit souvent ?
Mille questionnements m’assaillent en antienne…
Pourquoi vous ? Pourquoi moi ? Et pourquoi maintenant ?

Je n’ai plus que mon cri à lancer jusqu’aux nues.
Et mes pleurs pour couvrir les pages restées vides
Du livre de vos vies trop tôt interrompues,
Éteintes à jamais au fond des flots sans rides.

Je me tourne à présent vers Toi, ô notre Père,
Toi qui m’as tant donné, et qui me reprends tant !
Que Ta grâce infinie éclaire le mystère
Qui me broie aujourd’hui d’un malheur écrasant.

Jacques Fabre "Jakolarime" © Janvier 2004

La Lettre Au Père Noël

23 December 2006 - 12:21 AM

La lettre au Père Noël

Le rouge intense, l’or resplendissant, le bleu profond des boules de Noël rivalisent de flamboiements avec les fils de la vierge festonnant les meubles ou punaisés aux murs de la chambre. Les vitres sont voilées de buée ; le poêle ronronne dans la cheminée, mais la chaleur excessive n’est pas la seule cause de la transpiration qui emperle mon front soucieux.

Penché sur la minuscule table d’enfant, tirant un petit bout de langue appliqué tant est grande ma concentration, je peine sur une feuille de papier jauni extraite d’un cahier de brouillon, et que ma cousine vient de rénover à grands coups de gomme. Le papier garde les stigmates de cette énergique récupération : il est un peu froissé, et l’on y voit encore les traces affadies de fantômes de mots…

Ma cousine Annie, âgée de sept ans, a décidé de me faire écrire ma lettre de commande au Père Noël… Pénétrée du rôle de maîtresse d’école, qu’elle a tenu à mes dépens tout l’après–midi, elle entend bien superviser sévèrement cette importante formalité saisonnière !

Je ne suis pas très fier, car je dois justifier les éloges que ma mère m’a imprudemment décernés, quelques minutes plus tôt, devant mes tantes assemblées dans le salon voisin autour de leurs tasses de café. Pensez donc ! Entré au cours préparatoire en septembre, je sais déjà lire à la mi–décembre !... Ma mère a raconté avantageusement comment, à la surprise générale des voyageurs de la SNCF, j’ai su déchiffrer sans erreur – et presque sans hésitation – le panneau annonçant la gare de PONT–CAR–DI–NET ! J’ai modestement plongé le nez dans mon bol de chocolat, sous les « c’est bien, ça ! » appuyés de mes tantes admiratives…

Mais maintenant, devant l’implacable cousine, toute bouffie de la gloire des grands qui sont en dixième, il va falloir que je confirme mes précoces talents littéraires.

– Eh bien, vas–y ! Commence… ordonne–t–elle avec un léger agacement.
– Euh… j’écris quoi ? hasardé–je, piteux.
– Eh bien, marque déjà « cher Père Noël », lance–t–elle, les yeux au ciel, excédée par l’ignorance de son benêt de cousin.

Je gribouille laborieusement quelques lettres qui, avec beaucoup d’imagination – et un peu d’indulgence –, pourraient s’apparenter à la suscription suggérée.

Submergé par les problèmes de forme, je me résous à une totale sobriété du fond, dans laquelle le souci de ménager le budget familial n’a que peu de place. Je limiterai mes appétits ludiques au strict minimum : un seul jouet suffira pour cette année. J’écarte délibérément l’étincelant harmonica Hohner que je convoitais tant, l’étourdissante panoplie de prestidigitateur qui me faisait rêver, et les fascinantes voitures de chez Dinky Toys devant lesquelles, pourtant, je bavais naguère d’une admiration sans bornes : tous ces jouets aux noms compliqués, pleins de « k », de « y », et d’autres lettres étranges que je ne maîtrise pas vraiment, me paraissent désormais d’un orgueil tout à fait déplacé… En revanche, le monopoli me plaît bien… Pour être franc, je ne sais pas très exactement ce que c’est, mais mes frères et sœurs aînés en font grand cas. J’imagine mal qu’ils puissent se tromper.

Et puis, surtout, mo-no-po-li, ça, je suis certain de savoir l'écrire…


Jakolarime © 12 avril 2005

L'essayage

21 December 2006 - 03:18 PM

La période des congés me ramène à la joyeuse excitation qui accompagnait la préparation de mes vacances d'enfant. La transhumance estivale n'était pas une mince affaire ! Elle se préparait de longue main. Pendant plusieurs semaines avant la date, ma mère avait largement occupé ses journées à l'achat de tissus variés pour confectionner les chemisettes, jupes, ensembles d'été qui vêtiraient toute la famille pendant notre séjour dans la petite station balnéaire du Calvados. Une débauche d'indiennes, un flot de tissus imprimés aux vives couleurs s'étaient succédé sur la table de la salle à manger pour y être taillés, bâtis, puis cousus au rythme infatigable de la vieille machine à coudre Singer.

Pour pouvoir travailler à sa main, ma mère faisait grimper les plus petits d’entre nous sur la table :

« Monte là-dessus, tu verras Montmartre ! »

Les épingles d'acier, cent fois déplacées, domptaient peu à peu le tissu rebelle. Les éprouvantes séances d'essayage étaient ponctuées d'ordres péremptoires :

« Ne bouge pas, ça n'est que bâti ! »

J’essayais de me glisser dans les étranges défroques hérissées d'épingles traîtresses.

« Ne me le craque pas, malheur ! » encourageait-elle tandis que je frayais mon chemin entre les larges points multicolores du coton à bâtir.

Parfois, la retouche nécessitait une intervention plus délicate, quasi chirurgicale.

« Soulève ton bras !...»

L'acier froid des ciseaux, appuyé sur la chair chatouilleuse de l'aisselle, venait rogner l'emmanchure « trop juste ». Là où l'oeil averti de ma mère diagnostiquait à coup sûr ce qu'il y aurait à élargir, à raccourcir ou à rallonger, j’avais bien du mal à imaginer la tenue seyante et si pratique qui arracherait aux mères de famille ébahies, sur la plage ensoleillée, les flatteurs : « Vous en avez, de la chance, de savoir travailler comme ça ! », entrecoupés de cris d'admiration.
J’étais, en vérité, plutôt inquiet d'avoir à évoluer sur le sable avec ce qui ne m’apparaissait encore que comme des oripeaux informes, dignes d'un auguste tragi-comique, ou d’un clochard (qui n’était pas encore un SDF). Mais le miracle se produisait toujours. Les lambeaux sans âme devenaient ce vêtement pimpant et élégant qu'arborait, sur l'attractive illustration du patron de Modes & Travaux, le garçonnet angélique auquel j’avais fini par m'identifier... Et lorsque la malle d'osier, remontée de la cave où elle sommeillait le reste de l'année, s'emplissait peu à peu de nos garde-robes flambant neuves, nous croyions entendre déjà le cri des mouettes et le ressac de la mer...

Jakolarime © 24 août 2004

Chimères Envolées

20 December 2006 - 06:55 PM

Poème et auteur célébrissimes... Mais on a le droit de donner sa langue au shah...

Chimères envolées

Ô Puissants ! Voyez-vous les dépouilles crevées
Des principes sacrés qui furent l’idéal
Sous lequel votre main et votre esprit féal
Concevaient de vos vies les esquisses rêvées ?

Avant que de songer à faire votre trou,
Quand le bien seul était le but de votre course,
Vous traciez vos chemins en lisant la Grande-Ourse,
Bercés par les oiseaux et leur charmant frou-frou...

Mais craignant de peiner à parcourir les routes,
Soucieux de ménager de vos sueurs les gouttes,
Vous sûtes monnayer des pauvres la vigueur…

Du lucre et des honneurs les attraits fantastiques
Vous auront enseigné la morale élastique
Qui peut emplir la poche en endormant le cœur.

Jakolarime © 18 décembre 2006

Jour De Lessive

20 December 2006 - 02:19 PM

Jour de lessive


Juché sur un tabouret de cuisine, je saisis la poignée de bois et soulevai doucement le couvercle agité des soubresauts de la vapeur captive.

Bientôt, l’eau savonneuse jaillit en fontaine de la tête du champignon. Le liquide brûlant aspergeait le linge, noyant d’un bain purificateur les pièces de coton à bouillir. Mystérieusement, cette montée glougloutante se reproduisait à intervalles réguliers, tout comme celle des eaux du geyser de Yellowstone dont une des photos de mon livre de géographie montrait le fascinant panache …

À peine eus-je reposé le couvercle que je me sentis ceinturer par ma mère : elle avait prudemment attendu que j’eusse terminé mon observation pour récompenser d’une fessée mon imprudence, manifestation précoce d’une curiosité scientifique pourtant honorable.

C’était un vendredi, jour consacré à la Grande Lessive familiale. Je ne saurais dire si ce jour avait été choisi à dessein, en expiation du supplice de Notre Seigneur Jésus-Christ… Mais aujourd’hui, avec le recul, les conditions d’exécution de ce rite m’apparaissent comme une rude pénitence.

La lourdeur des moyens requis pour cette opération hebdomadaire la distinguait des menues lessives quotidiennes, furtivement expédiées dans une humble bassine de fer galvanisé. Dès les petites heures du matin, la pesante lessiveuse avait été hissée sur la cuisinière où elle mijotait plusieurs heures, embaumant toute la maison d’une promesse humide de propreté et d’hygiène. Puis les draps, les taies d’oreiller, les serviettes et les torchons, saisis du bout d’une cuillère en bois, étaient jetés un à un, tout fumants, dans l’immense baquet où plongeait la planche à laver, blanchie et ravinée par l’usure de la lessive et les rasades d’eau de Javel La Croix. Prestement étalé sur le bois grossier, le linge était étrillé sous les rudes poils de la brosse à chiendent. Recto-verso, la toile inerte s’étalait dans un bruit flasque, et la brosse s’acharnait sur les taches rebelles, sur les ombres suspectes qui avaient eu l’outrecuidance de tenir tête à l’ébouillantement et aux bulles irisées.

Ma mère plissait les yeux sous l’effort, qu’elle soulignait de ahanements discrets, accompagnant parfois d’une crispation des lèvres les épisodes les plus durs de cette lutte pour la blancheur. Lorsqu’elle jugeait que l’application de ce traitement n’améliorerait plus le résultat obtenu, elle saisissait entre ses doigts rougis la pièce de linge suppliciée, la tordait, et la lançait dans le bac de rinçage, noyé d’eau courante. De temps à autre, elle épongeait d’un revers de main la sueur qui perlait à son front, avant de saisir, dans le bouillon mousseux, l’article suivant.

Il n’était pas rare que, constatant presque à regret que le baquet était vide, elle cherchât des yeux quelque pièce pas trop sale ayant échappé à la razzia, ou ne supportant pas de longue ébullition, ou qu’elle lançât à la cantonade : « Vous n’avez plus rien à laver, là ? Profitez-en, j’ai une bonne eau !… ». Faute de réponse, elle se tournait vers l’évier où surnageait le linge à rincer. Immergés plusieurs fois dans l’eau froide, essorés jusqu’à exprimer la dernière bulle de savon, les petits tortillons immaculés s’entassaient sur la paillasse ; alors, grimpant sur un tabouret de bois, ma mère les défroissait sommairement, avant de les aligner sur les trois cordes tendues près du plafond, dans la longueur de la cuisine.

Le linge s’égouttait sur la tête des imprudents de passage, qui protestaient sous cette pluie domestique. « Ça coule, je sais : je n’ai aucune force dans les poignets ! Tu ne vas pas fondre, allez ! bougonnait ma mère. Et puis, tu n’as rien à faire ici ! »

Je supportais de mauvaise grâce les inconvénients de l’averse passagère, du sol glissant, des effluves de buanderie, l’étalage des stalactites froids et humides qui bouleversaient l’ordre tranquille de la cuisine, sans bien réaliser que ma part de désagrément était bien modeste auprès de celle qu’endurait ma mère.

- Tiens ! Puisque le bon Dieu t’a placé là, tu vas m’aider à dépendre tout ça… ordonnait ma mère de longues heures plus tard.

Je savais qu’il me faudrait tendre les bras, recevoir les oripeaux enfin secs qui s’empileraient jusque par-dessus mes yeux, et les porter, à l’aveuglette, sur le lit où ils attendraient d’être repassés, pliés et rangés.

- Il le faut vraiment ? demandais-je.
- Mais oui ! répondait ma mère.

J’inspirais profondément et me tenais prêt.

Jacques Fabre "Jakolarime" © 5 juin 2006