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[Marygrange]

Son nom lui seyait parfaitement, enfin je trouve… Mme Tenace. J’ai toujours ses coordonnées dans mon répertoire, Giverny, pays de Monet. Elle connaissait bien les Impressionnistes et elle aimait en parler aux repas au self. J’aimais l’écouter et tout simplement être en sa compagnie.
Une femme cultivée à la grande curiosité et un amour de la vie sans égal, une endurance qui lui permettait de vieillir en douceur, tout un exemple qu’on désirerait copier un jour…

C’était au Prorel, le centre de cure pas le mont, entre St-Chaffrey et Chantemerle.
S’en souvient-elle ? Ça fait longtemps. Et puis, je me demande… Elle qui était si âgée, est-elle encore de ce monde ? Elle serait plus que centenaire à présent. Je n’ose plus lui écrire. J’ai trop peur d’apprendre son inexorable fin.

Je préfère la voir dans mon souvenir vivante, épanouie, heureuse malgré le manque de son mari défunt depuis longtemps, aimante et attachée à son univers présent, même si le passé, si regorgeant d’événements, refaisait surface dans ses discours abondamment. Elle ne radotait pas, ce qui accroissait le plaisir de l’écouter parler. On peut dire que le temps n’affectait pas ses émotions, sa sensibilité, son intelligence, elle restait jeune quelque part et était d’une générosité rare…
Elle avait pourtant pratiquement l’âge du siècle, 93 ans en 1995. C’est quand nous nous sommes vues, toutes les deux, pour la dernière fois. Je n’étais pas au centre cette année-là, mais dans un autre à Briançon. Alors je suis allée lui rendre une petite visite dans sa chambre un après-midi.

C’était la première fois que je la voyais avec une canne. Je veux dire à l’intérieur, car elle en usait souvent dans ses promenades dans la nature, mais des bâtons de berger, là c’était une vraie canne. Pourtant cela n’affectait en rien sa jovialité et sa gentillesse, son intérêt pour les autres…
Bien sûr l’asthme l’agaçait, c’était bien pour cela qu’elle séjournait dans la région l’été. Mais pour elle c’était secondaire. Elle l’écartait de ses tracas quotidiens comme le reste au bénéfice des bonnes choses du pays, dont la brise si douce à respirer, apaisante, qui pénétrait par la fenêtre entrouverte.
Elle adorait cette région. Elle la connaissait comme sa poche, depuis bien avant que l’asthme s’appropriât ses bronches. Jeune infirmière, elle avait travaillé à Briançon dans un sanatorium, semblable à celui que fut le Prorel dans les années où l’on mourait encore de la tuberculose et où la cure climatique était le dernier recours…

Il faisait beau, pas trop chaud en ce jour d’août. Elle venait d’arriver de la veille. Et elle fut contente de me voir, je le devinais à sa gaieté.
Nous avions parlé de tout et de rien, comme il convient. Nous discutions de nos relations du centre, les médecins, les soignants, la sympathique bibliothécaire si fière à juste titre de ses nombreux ouvrages, les animateurs dont je garde une ineffable reconnaissance, nos amis asthmatiques qui revenaient chaque année, les autres patients… Et aussi on se racontait en grandes lignes l’existence d’une année passée chez nous depuis l’été d’avant. Et, inévitablement, nous ne pouvions nous empêcher d’aborder Briançon et les Hautes-Alpes et ses yeux bleus pétillaient de joie et ses joues rosissaient à leur évocation…

─ Irez-vous encore, Geneviève, à la chapelle St-Arnoul de Saint-Chaffrey ? Lui demandais-je en élevant la voix, car son ouïe baissait malheureusement.
─ Et comment ! Je prendrai le temps qu’il me faudra pour m’y rendre. Au besoin, je me lèverai plus tôt. Mais j’irai, soyez sans crainte. Je prendrai mon autre canne, mon bâton de promenade et je ferai les deux kilomètres qui séparent ici de là-bas. Elle est si jolie, vous savez. Il y a des peintures dont je ne me lasse pas d’admirer la beauté. C’est dommage que vous ne puissiez vous y rendre et la voir au moins une fois…
─ Oh moi ! Je ne suis pas pratiquante…
─ Qu’importe, Béatrice. Ce qui compte c’est l’œuvre, la merveille que représente cette chapelle. C’est à voir encore plus que suivre le culte. Je suis croyante, c’est vrai. Mais j’y vais surtout pour elle et pour la balade que cela me procure. C’est superbe !
─ Je m’en doute. Mais je présume que des promeneurs dominicaux d’ici se feront un plaisir de vous accompagner. Vous n’irez pas seule…
─ Peut-être… Mais il y a les gens que l’on croise au bord des routes. Je ne risque rien.
─ Oui, mais on ne sait jamais. Si vous êtes fatiguée, un accident est vite arrivé…
─ Oui, certes…
─ Cela dit, Geneviève, il y a un service religieux ici le dimanche. Je crois vers onze heures trente. C’est dans le local attenant à l’Animation.
─ Je sais. J’y vais parfois quand je suis trop essoufflée pour sortir. Mais je n’aime pas trop. Là-bas, les fenêtres donnent sur la cour. On n’y voit même pas le ciel, les arbres… J’aime tant mes beaux paysages. Je ne viens pas que pour l’air pur…
─ Oh, je sais bien. Moi non plus. Vraiment je vous admire. Cette ténacité que vous avez. Enfin, si j’ose dire…
─ Mais vous pouvez, Béatrice. Vous pouvez ! Elle disait cela malicieusement. Elle aimait bien blaguer avec son nom.

Oui, Mme Tenace était tenace. Je me risque à le dire ! Il n’y avait pas une activité qu’elle ne fît au centre, enfin des plus à sa portée tout de même. Elle insista auprès de Gérard, l’animateur sportif, pour participer aux séances de gym douce à l’air libre. Il finit par céder. Il venait la chercher et la conduisait par la main jusqu’à l’endroit. Elle dans son jogging, à plus de 90 ans, il fallait le faire !
Puis, elle ne manquait pas les activités manuelles, les émaux, les travaux sur cuir, ni les séances de vidéos ou de cinéma en ville le samedi soir, voire les concerts à l’église de Val-des-Près donnés pour sa restauration. Mais ce qu’elle préférait c’était les excursions avec l’Animation. Elle allait aux moins pénibles où il ne fallait pas trop grimper. Moi, jamais à cause du fauteuil roulant, sauf à quelques unes organisées par les kinés. C’était plutôt des promenades dans les villages des environs et au bord de la Guisane. Elle y allait aussi Mme Tenace.

Elle ne tirait pas la jambe avec sa canne taillée dans une branche d’arbre. Je crois que c’était un malade du centre qui la lui avait offerte… Si elle était en queue du groupe parfois c’était pour ramasser des baies sauvages, fraises des bois et framboises, quelques mûres qu’elle nous incitait à savourer. « Il n’y en a pas de meilleures, prenez ! ».
Je me souviens de cet après-midi-là le long de la Guisane. Les papillons tourbillonnaient autour de nous. C’était d’une tendresse toutes ces couleurs volantes ! Le chemin était de terre battue, pas si facile aux marcheurs. Je ne m’en préoccupais pas trop avec ma chaise roulante, quoique pour celui qui me poussait ce ne fût pas si simple dans les montées. Je sais… Mme Tenace, avec son bob blanc sur la tête, tenue sportive de vieille dame, pantalon de toile bleu, T Shirt assorti et gilet blanc, nous racontait le pays. Tout, la végétation alentour, le torrent qui grondait, le col du Granon qu’elle escalada dans sa jeunesse, et moult souvenirs encore… Mme Tenace nous occupait l’esprit tandis qu’on suait sous les rayons chauds du soleil et l’effort de la marche, elle nous distrayait et c’était super et les baies sauvages délicieuses !

Elle adorait parler des belles choses et ne tarissait pas d’éloges pour Thalassa dont elle ne ratait aucune émission le vendredi soir. C’était pour y voir le monde qu’elle ignorait, les terres lointaines et superbes, et admirer le courage des marins dont on racontait les exploits. Si elle l’avait pu, elle l’aurait été skipper ou grand reporter. J’en suis sûre !

Il y a des malades on ne peut plus sains que des bien portants. Ils savent s’accrocher à la vie, à l’air, au soleil. Tandis que certaines personnes s’adonnent au plaisir de se détruire, ou bien fuient l’existence qui palpite autour d’eux.
J’ai appris avec l’asthme la force du sourire. On sourit quand le souffle revient, alors que la crise nous déprime d’un seul coup. C’est le trou de ciel bleu à travers les nuages après l’averse. Les asthmatiques recherchent avec pugnacité cette embellie jusqu’à sa venue salvatrice. Mais on a beau faire, il arrive que la lutte soit vaine un jour, que le corps n’en puisse plus. Peut-être fut-ce le cas de ma vieille amie…

Je l’imagine au dernier soir, un sourire figé sur son visage aux joues rondes, son chignon gris délacé, faisant un dernier rêve : une virée avec son bâton à la petite chapelle de St-Chaffrey, un dimanche d’août ensoleillé, pour l’office de onze heures, son bob sur la tête…
« Votre sourire est le sceau de votre ténacité… Geneviève. »
Comme j’aurais voulu qu’elle fût ma grand-mère !

[labelledeschamps]

moi, aussi ;
mais, je sais,
que
je l'ai connu
mais
pas reconnu

[Marygrange]

T'as pas reconnu ta grand-mère ? Mais bon, tu l'as connu...

Merci La Belle

Amitiés,
Béa

[Galy]

Du plaisir à me balader dans tes mots ...
Merci Béa,
Galy.

[Marygrange]

Du plaisir à me balader dans tes mots ...
Merci Béa,
Galy.

Merci Galy d'avoir lu tous ces mots et aimé...

Amitiés,
Béa

[bernardo]

Je butine tes mots , comme du miel avec un plaisir immense ...
Mes plus sincères Amitiés , Béa
Ronsard

[Marygrange]

Je butine tes mots , comme du miel avec un plaisir immense ...
Mes plus sincères Amitiés , Béa
Ronsard

C'est trop gentil Ronsard, merci !

Amitiés à toi,
Béa

[lacape]

un plaisir à te lire
bonne journée béa !!

[Marygrange]

Merci Domi, et c'est un plaisir que tu lises aussi ces proses que je fais aussi...

Bonne soirée si tu viens...

Bises,
Béa

[D.GOLL]

C'est le deuxième texte que je lis, dans lesquels tu racontes tes souvenirs. Tu devrais en écrire plusieurs et en faire un livre.

bises

DG

[Marygrange]

C'est le deuxième texte que je lis, dans lesquels tu racontes tes souvenirs. Tu devrais en écrire plusieurs et en faire un livre.

bises

DG

Quoique je fasse un petit break en ce moment, j'ai bien l'intention de continuer ces nouvelles sur Briançon Denis... Merci

Bises,
Béa

[bernardo]

Je l’imagine au dernier soir, un sourire figé sur son visage aux joues rondes, son chignon gris délacé, faisant un dernier rêve : une virée avec son bâton à la petite chapelle de St-Chaffrey, un dimanche d’août ensoleillé, pour l’office de onze heures, son bob sur la tête…
« Votre sourire est le sceau de votre ténacité… Geneviève. »
Comme j’aurais voulu qu’elle fût ma grand-mère !

Quel beau passage ! que cette fin de texte béa .
Toutes mes amitiés, sincères .
Ronsard

[Marygrange]

Oui, Ronsard. C'est ainsi que je l'imagine encore cette Dame qui s'appelait autrement, mais un nom très proche de la "tenacité", et elle le méritait oh combien !


Amitiés,
Béa

[leslovène]

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[Marygrange]

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Quel com ! J'adore, Le Slovène

Amitiés,
Béa