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La Table Du Seigneur (premier épisode)


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#1 D.GOLL

D.GOLL

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  • TLPsien
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  • Location:Marseille France

Posted 23 July 2006 - 11:14 PM

Il y a quelques trente ans, la boulangerie familiale a été vendue. Mon grand-père a pris sa retraite, et mon père est allé travailler dans une usine de panification. J'ai aussi travaillé dans cette entreprise, et aujourd'hui, je n'y ai plus ma place. Ce type de société a besoin de techniciens, manutentionnaires, vendeurs, tous les métiers que l'on peut imaginer, mais pas de boulanger. Quotidiennement, comme une obsession, les mêmes mots reviennent : rendement, production, augmentation du chiffre d'affaire. La seule chose qui compte, c'est produire toujours et encore plus, même si cela est au détriment de la qualité du produit fabriqué.
Pour moi, un boulanger parle de pétrin, de pâte à faire lever, de poussée, de scarification, de couleur ; pour lui, le pain est vivant. Si je pouvais, je crierais cela dans l'usine, mais je passerais pour un fou, et personne ne comprendrait vraiment ces propos.

Ma voisine de palier nous téléphone pour nous dire qu'elle est malade et attend le médecin. Elle me demande si je peux passer à la pharmacie pour prendre les médicaments dont elle a besoin. Cette dame est âgée, et chaque fois que nous pouvons lui rendre un service nous n'hésitons pas à le faire. Quelques instants plus tard, je frappe à sa porte, chargé d'un sac plastique à l'effigie de la pharmacie. Elle me remercie chaleureusement, et me demande un dernier service : elle voudrait que je l'accompagne dimanche à la messe. Là, je pense qu'elle exagère et je cherche un moyen de le lui refuser sans la froisser.
Ses yeux ridés me lancent un regard bienveillant et plein d'amour, un regard qui vous désarme, vous désarçonne, auquel on ne peut rien refuser. Ces yeux pleins de tendresse me rappellent ceux de ma grand-mère. Va pour la messe son attitude, que la seule chose qui l'intéresse c'est que quelqu'un l'accompagne afin qu'elle ne rate pas l'office.
Parfois, ma voisine me fait penser à ma grand-mère. Cette dernière était la seule croyante dans notre famille d’athées. Aussi était-elle souvent victime de moqueries par rapport à ses convictions. Alors, sans se mettre en colère, elle répétait souvent une phrase qui par la suite était reprise par toute la famille sur un ton ironique : "si tu croyais en Dieu, tu verrais le monde autrement". C'est pourquoi, chaque fois que quelqu'un changeait d'avis, on lui demandait s'il s'était converti.


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Il est neuf heures trente, la messe commence dans une demi-heure. Je rejoins la voisine qui m'attend devant la porte. Pour l'occasion, elle s'est coiffée et a mis ses plus beaux vêtements. Pour elle, la messe est la sortie de la semaine ; c'est un moment très important pour lequel elle a plaisir à s'habiller, se faire belle.
Arrivés en bas du parvis, la vieille dame me demande de bien vouloir l'accompagner jusqu'à l'intérieur de l'église. Elle prétexte avoir mal aux reins et craint de glisser sur les marches. Je lui offre galamment mon bras et l'accompagne jusque dans l'édifice. Je sens qu'elle est fière de me donner le bras. Puis elle se penche vers moi et me dit : "C'est vraiment gentil de m'emmener jusqu'ici, ça vous ennuie pas de rester avec moi pendant l'office ? Vous pourriez m'aider à aller jusqu'à l'autel pour prendre la communion." Je sais qu'elle exagère, mais n'ai pas le courage de lui refuser.
Pendant une heure, je vais me lever, m'asseoir, me relever et me rasseoir à nouveau, bref, m'ennuyer.
Puis, La musique de l'orgue me prend aux tripes. Je ne connais rien à la musique religieuse, mais le son de cet instrument m'émeut profondément. Puis, c'est toute l'assemblée qui chante. Moi qui n'ai jamais rien écouté lorsqu'il a fallu assister à des cérémonies, j'ai soudain envie de prêter attention à l'office. Je mettrai ce que cette écoute m'aura apporté sur le compte de la culture générale.
Puis j'accompagne gentiment la voisine à la communion. Si mon entourage me voyait ! J'ai presque honte de me perdre dans la foule des fidèles, mais sans mon aide cette pauvre vieille dame ne pourrait pas prendre son hostie, chose si importante pour elle.
A la sortie de la messe, je l'accompagne lentement jusqu'à la voiture, et au moment de descendre l'escalier du parvis, elle se met à hurler de douleur. Elle ne tient plus debout. Je suis obligé de l'allonger par terre et de faire venir du secours pour la faire transporter à l'hôpital.
Je rentre à la maison pour prévenir ses enfants. Ces derniers habitent à des kilomètres et ne seront pas là avant ce soir tard ou demain. Après les avoir prévenus, je retourne à l'hôpital pour ne pas la laisser seule. Ma venue dans la chambre, semble être un événement.

Edited by D.GOLL, 23 July 2006 - 11:17 PM.





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