Ritou

LE GROS MOT
Une bande de mots finement ciselés,
la tournure légère, la syntaxe parfaite
se dandinaient autour d’un cousin isolé,
l’accusant de venir jouer les trouble-fête.

Le pauvret désirait intégrer cette ronde
pour, accolés aux autres, former un joli vers
mais on lui fait comprendre qu’il est d’un autre monde
par sa lourde démarche et son regard pervers.

Les dandies délicats le traitent de « gros mot » :
lorsqu’il est prononcé et roule dans la bouche
la ménagère outrée éloigne ses marmots
qui vont le répéter, en gloussant sous la douche.

Il faut que vous sachiez, poudrés petits marquis
Que la gauloiserie n’est point vulgarité
et que ce trublion peut être un mot exquis
chargé de poésie dans sa sonorité.

Toi tu es mon mazout
tu es ma marée noire
tu as fui de ma soute
laissant le désespoir
envahir mon rivage
et salir mon image

Longtemps après ta fuite
je pense encore à toi
tu m’as laissé enduite
du souvenir de toi
je suis la sur la plage
brunie comme au cirage

Reviens mon pétrolier
caboter sur mes vagues
je t’attends cocotier
je veux encore ta dague
j’aime ton dégazage
au cœur de mon visage

Tu sais me rendre heureuse
ô mon fougueux amant
je suis ta pétroleuse
avec raffinement
quand en fin de forage
ton brut jaillit sauvage

Je te sens sous ma couette
hélas ce n’est qu’un rêve
je ne suis qu’une mouette
écrivant sur la grève
une nouvelle page
voulant croire au mirage

Manon