Harry

La matière s'est transcendée pour produire la vie, la vie biologique s'est transcendée pour donner l'esprit et l'esprit, lui, tantôt attiré vers le divin se met à imaginer des mondes cachés, tantôt désirant s'en retourner au néant originel se met à regretter le règne de la pure matérialité.
De toute façon il semble que le néant soit promis à un bel avenir. L'Être est vraissemblablement un accident assez incompréhensible tandis que le néant est l'état naturel de la matière en mouvement rectiligne uniforme. Que celle-ci se soit mise à un moment donné en état d'équilibre instable, jusqu'à prendre conscience d'elle-même fut sans doute un événement aussi improbable qu'inévitable et (ou mais) le fait est qu'elle y soit parvenue.
A l'échelle du temps cosmique, le soleil s'éteint bientôt et cette forme là de la vie retournera à son état d'anéantissement brut. Et ensuite ? Ensuite rien diraient les nihilistes. Pourtant il reste que la matière a réussi « cela ». Et imaginant un espace obscur et inerte avec des masses en déplacements même chaotiques, il faut aussi imaginer cela : la genèse de l'esprit.
Le débat n'est donc pas près d'être tranché entre la platitude éternelle et l'occurence d'autres formes d'expressions de la matière ou, si l'on préfère, d'autres formes d'expression de la vie. Ce qu'on peut dire, c'est qu'à l'échelle de l'existence irrémédiablement limitée de l'invividu, tout cela nous fait une belle jambe.

Les gens qui roulent dans les bus les ouïes bouchées,
ceux qui marchent dans la rue en se tenant l'oreille,
parlent souvent tout seuls. Ils restent dans leur monde;
forme d'autisme caractérisée des sociétés de bien-être
matériel.
On est tous bien informé de ce qui se passe partout, c'est
du direct. Fait-on semblant de s'inquiéter ou s'en fout-on
vraiment ?
Il y a plein de cas tragiques mais après on nous dit
qu'il faut acheter des trucs. Et attention à ne pas trop
nous déprimer sinon les trucs s'accumulent dans les dépôts.
Or ce n'est pas bon : suivant le cycle normal ils devraient
déjà être en décharge.
Si on pensait cinq minutes, on arrêterait tout de suite.
Ce n'est pas que ce soit long cinq minutes, mais nous
sommes des autistes dans une société schizophrène.

Les enseignants de français ne la conseillent pas et vont même jusqu'à
discréditer la phrase longue. Elle a des ressources inouïes pourtant la
phrase longue. Autant que le vers ou ses sœurs plus petites, elle peut
vous composer un poème :

La phrase longue aime la nuance, c'est pour ça qu'elle est poétique tout
comme elle peut être aussi bien philosophique si elle le décide et qui mieux
qu'elle sait retenir l'attention en faisant sentir qu'attention(!), il ne faut pas
s'arrêter là, que mettre point à la ligne serait trahir l'idée même qu'elle vient
d'exprimer si on ne lui laisse le temps d'en faire tout autant, dans le mouvement
même, l'antithèse puis la synthèse et bien plus encore, les antithèses et les
synthèses; elle qui vous laisse toujours reprendre votre souffle cependant
puisqu'elle sait user à merveille de la coordination, de la ponctuation - pour
déclamer ne faut-il pas d'ailleurs apprendre d'abord à respirer ? - et de la
subordination, elle dont le groupe sujet sait à lui seul être toute une préface;
ainsi ne confondez pas le point-virgule avec le point car on ne coupe pas la
parole à une phrase qui n'a pas fini de dire ce qu'elle avait à dire, elle qui est
comme un petit concerto de Bach, qui prend d'abord un bon souffle, exprime son
thème principal puis continue son mouvement, reprend son sujet, le développe, le
nuance et recommence encore en mille ritournelles, vous composant ainsi un poème
et plus encore car il se pourrait bien qu'elle décide de ne plus s'arrêter du tout,
de continuer à enchainer ses concepts, de vous montrer ses nombreuses références,
de René Descartes à Marcel Proust en passant par Cervantès pour vous faire voyager
en compagnie de l'immense Don Quichotte et de son inséparable Sancho Pança; oui
elle peut vous emmener voyager, vous faire rêver et vous bercer la phrase longue ...

Vidéo-projecteur, photocopieur : sourire
Joie de posséder de si nobles et formidables
Appareils. Ces beaux jeunes gens sont bien aimables
Leur bonheur sur papier glacé j'y veux souscrire

Ecrans plats, ordinateurs : un dans chaque pièce !
Clips, jeux, images, que ma vie est bien remplie
Et quel ennui si on ne communique sans cesse
Sans ces dispositifs qui toujours nous relient

Ah la belle époque de rêve et de bien-être
"Sexe, faites-vous plaisir" m'a dit dans une gare
Un jour un kiosque à journaux. A l'appel des vêpres
Je restai à des pages m'offrant mille égards

Tout le monde est heureux il n'en coûte plus rien
Aujourd'hui. Il y a des foules à la télé
Qui dansent et qui rient. Il faut suivre le lien,
Cliquer. Rencontrer même est devenu aisé

Elle était là, je ne pouvais rien pour elle
Elle se devait d'interpréter positivement les signes pourtant alarmants
Ce jour là fut comme n'importe quel autre,
nous avions toujours échangé avec sourires et humour.
Elle avait de la compassion pour mes problèmes
et j'en avais pour les siens.
De toute façon elle n'aurait pas pu se le permettre,
sa fille était encore bien trop jeune
et l'homme de passage qui n'était plus passé depuis longtemps
n'avait aucun goût pour la paternité.
Alors elle feignait d'ignorer que son cas était désespéré.
Je me souviendrai toujours qu'elle fut profondément originale.
Il faut que je pose une demi-journée pour mardi matin.