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12 replies to this topic

#1 serioscal

serioscal

    serioscal

  • TLPsien
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Posted 28 October 2006 - 08:03 AM

Je dis : une fleur !

Cette phrase est de moi. Enfin, elle est de Mallarmé mais je viens de la lui prendre.

Mais on me dit que voilà, non.

EN 1837, Gérard Le Blanquet veut offrir un cadeau à sa belle-mère. Il discute avec son épouse qui lui demande :

- Que va-t-on lui offrir, à maman ?
- Je ne sais pas, moi. Une fleur, par exemple.
- Des fleurs ? Ah, oui ! On va prendre un beau bouquet !
- Je dis : une fleur !

Le jeune Mallarmé a peut-être assisté à cette scène, il est difficile de le savoir. Toujours est-il que l'enchaînement de ces mots, autrefois libre, résonne comme une entité singulière : une citation de Stéphane Mallarmé.

Examinons la structure de la phrase (qui n'est qu'un tronçon de l'adage mallarméen). Un syntagme nominal y joue le rôle de complément d'objet direct. Le verbe dire n'admet pas n'importe quelle unité en cod et le verbe "dire" dans le syntagme "dire une fleur" n'a pas la même valeur que dans "dire quelque chose". Le premier emploi est marqué. Le mot se rapproche alors de "parler de" mais avec presque de la sacralité dans ce "dire".

Mais pour revenir au segment initial, il s'agit encore d'autre chose : la phrase est une sorte de discours direct. Rien de particulier, comme on l'a vu plus haut. Certes les monosyllabes donnent de la force à l'expression mais madame de Blanquet ne s'est pas évanouie devant la beauté de la phrase de son mari ; elle s'est plutôt irritée de sa radinerie.

Pourquoi telle phrase, la même, anodine chez monsieur de Blanquet, est devenue fameuse et d'une puissance vertigineuse chez Mallarmé ?

Parce qu'une portion essentielle de la pensée mallarméenne a trouvé dans cette phrase qui relève du commun une expression idéale. La simplicité même de la phrase donne une allure d'évidence à l'idée complexe qu'énonce le poète. La phrase devient, pour le lecteur, le symbole même de ce cheminement intellectuel. L'immédiateté du procès (je dis : une fleur !) que le lecteur peut lui-même goûter quand il découvre le mot de Mallarmé, au terme d'une longue réflexion sur l'Idée, charme assurément. Le livre clos, le syntagme : "je dis - une fleur" est devenu un "mot neuf", une entité appartenant non au domaine de la langue mais à celui, connexe, de la culture.

Langue et culture sont des phénomènes indissociablement individuels et collectifs.

De jeunes auteurs croient parfois "exprimer" leurs sentiments, sinon leur ego, le fameux "moi". Ils estiment inutiles de lire de la poésie parce que la poésie doit venir, selon eux, de l'intérieur. Comme s'ils étaient des boîtes contenant un assemblage d'émotions qui ferait leur personnaluté.

Ils ne sont pas des boîtes mais des éponges, absorbant et rejetant leur langage comme de l'eau.

Qu'est-ce que lire ? Peut-être moins l'intégration de "nouvelles idées" que la prise de conscience de l'origine de nos propres idées. Lire le Nouveau Testament ou Boileau ou La Fontaine permet de voir combien de nos idées, combien de nos phrases même, sont moulées dans une culture particulière.

Vraies ou fausses, la lecture nous apprend que nos idées ne sont en rien naturelles. Elles dépendent moins d'une sensibilité personnelle que d'une culture donnée. Plus on lit, plus on s'aperçoit de l'origine extérieure de nos propres idées. Et tout le rapport que nous avons avec elles s'en trouve changé !

Certes, telle suite de mots correspond à une expérience intime. Mais s'il me vient de la proférer, cette profération je la dois à quelqu'un, toujours.

C'est pourquoi il y a si peu de commentaires originaux d'une oeuvre : parce que dire une expérience émotionnelle n'est d'aucune évidence. C'est une élaboration linguistique. Plus l'expression est raffinée, nuancée, précise, plus la dette est lourde. Mais c'est la seule individuation du matériau collectif que l'on connaisse.

Car si j'écris dans mon journal intime des banalités comme étudie Philippe Lejeune avec prédilection, mon écriture ne reflète rien de particulier : au contraire, l'intime de millions d'écrivains est un matériau collectif inchangé.

Le poème nait d'une intégration de langages reçus : je n'aurais rien écrit de ce que j'ai écrit si je n'avais lu (entre autres) Prévert, San Antonio, Stephen King, les romans de la collection "Gore", Jim Morrison, William Burroughs, Rimbaud, Char, Mallarmé, Paul Celan, Emily Dickinson, Anna Akhmatova, Fedor Dostoevski, Apollinaire, etc, etc.

La culture littéraire permet de forger son langage. Le poème n'est pas pour autant un simple jeu avec une tradition d'écriture. Elle répond en effet à une expérience intime - mais elle aussi intersubjective.

Nous avons tous nos dialogues intérieurs. Ils nous effraient souvent car nous les voyons comme des signes de folie mais ils sont au coeur de notre sensibilité personnelle. Ils sont la trace de ce que la pensée tout entière ne fait que répondre.

Quelles sont les conséquences d'une conception aussi erronée que l'individualisme en poésie ? L'agacement d'Henri Michaux, une chose magnifique :


Citation
Communiquer ? Toi aussi tu voudrais communiquer ? Communiquer quoi ? tes remblais ? -- La même erreur toujours. Vos remblais les uns des autres ?
Tu n'es pas encore assez intime avec toi, malheureux, pour avoir à communiquer.

In Poteaux d'angles


#2 Théagène

Théagène

    .............................

  • TLPsien
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Posted 28 October 2006 - 11:00 AM

As-tu lu le dernier numéro de Poésie1 vagabondages?
Il traîte de l'image, et Jean-Marc Debenedetti a la même approche du texte de Mallarmé "Je dis: une fleur!".
A moins que ta réflexion soit partie de cette même lecture?

#3 serioscal

serioscal

    serioscal

  • TLPsien
  • 2,179 posts

Posted 28 October 2006 - 11:30 AM

Je ne l'ai pas lu mais je vais me jeter dessus !

Il y a quelques années, Yves di Manno jetait la pierre à Mallarmé, jugé trop individualiste. Mais à mon avis, di Manno est précisément tombé dans le piège hérité de nos Lumières.

#4 Gaston Kwizera

Gaston Kwizera

    The Fresh Prince Al Adriano

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Posted 28 October 2006 - 02:03 PM

bon j'ai lu ça hier soir

mais je n'y répondrai que lorsque tu viendras me peter la gueule
na

#5 jkounine

jkounine

    .............................

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Posted 28 October 2006 - 02:07 PM

Citation (Gaston Kwizera @ Oct 28 2006, 02:03 PM) <{POST_SNAPBACK}>
bon j'ai lu ça hier soir

mais je n'y répondrai que lorsque tu viendras me peter la gueule
na


that's the spirit.

Sinon le texte, interessant. COMME TOUJOURS.

#6 serioscal

serioscal

    serioscal

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Posted 28 October 2006 - 04:03 PM

Hier soir ? Mais je l'ai posté ce matin !

Ce devait être un autre. De toutes façons, tout ce que je dis ne reviens qu'à un mot, lequel.

MERCI Jkounine. On pête les dents à Gaston ce soir ?

#7 Gaston Kwizera

Gaston Kwizera

    The Fresh Prince Al Adriano

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Posted 28 October 2006 - 05:17 PM

hier soir ça veut dire avant ma nuit
donc oui ce matin smile.gif
je n'ai pas confondu

héhé je vous attends

#8 jkounine

jkounine

    .............................

  • TLPsien
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Posted 28 October 2006 - 05:21 PM

Citation (serioscal @ Oct 28 2006, 04:03 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Hier soir ? Mais je l'ai posté ce matin !

Ce devait être un autre. De toutes façons, tout ce que je dis ne reviens qu'à un mot, lequel.

MERCI Jkounine. On pête les dents à Gaston ce soir ?


tant qu'il nous remercie pas ok

#9 missix

missix

    .............................

  • TLPsien
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Posted 29 October 2006 - 10:42 AM

L'individualisme est l'opium du poète ...


Très certainement

Dans tous les sens du terme et de l'individu qu'est le poète ...

#10 missix

missix

    .............................

  • TLPsien
  • 707 posts

Posted 29 October 2006 - 11:02 AM

Par exemple, une des définitions du mot individu, la plus simple, la plus accessible, est très certainement :

individu : tout être formant une unité distincte (bon, bon, je sais, je sais, il est possible à un être d'être plusieurs unités distinctes, ne serait-ce que par ses diverses casquettes : M.X du 16è appartement à gauche qui est aussi M.X du burau du fond, qui est aussi M.X de la pétanque du dimanche, qui est aussi M.X etc) je reprends, une unité distincte dans une série hierarchique formée de genres (je laisse les espèces, hors de mon copier-coller de définition. Bien que comme nous parlons de poètes, il est évident que les espèces animales ou végétales poètisent également : les oiseaux par leurs chants, par exemple, les plantes par leurs fleurs ou fruits. On pourrait maintenant aborder le niveau de conscience nécessaire à la création de poésie, mais n'est-ce pas le charme de la nature que d'être créatrice de poésie sans aucune conscience de bien ou de mal, d'être au-delà de toutes ces basses contingences humaines).

Oups, et là, faudrait définir Humain

arg

je retourne regarder mes clips.

Trop trop compliqué pour moi, tout ça

#11 Harry

Harry

    .............................

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Posted 29 October 2006 - 10:55 PM

Il y a deux parties dans ton développement.
D'abord à propos de la phrase
"Je dis : une fleur!" de Mallarmé
Tu écris : "Parce qu'une portion essentielle de la pensée mallarméenne a trouvé dans cette phrase qui relève du commun une expression idéale".
Mais de quelle pensée mallarméenne s'agit-il ? De quelle oeuvre est extrait ce dialogue ?
Pour l'instant je ne vois pas quelle est la "longue réflexion sur l'Idée".

La seconde partie sur la lecture et nos idées est plus facile à comprendre.
Et tu es assez convaincant dans ta démonstration de :
"Ils [les auteurs] ne sont pas des boîtes [à idées] mais des éponges, absorbant et rejetant leur langage comme de l'eau.

Néanmoins, le but de l'écriture est sans doute de transmettre la part de soi la plus originale. Mais il faut prendre conscience de tout ce que l'on doit à nos prédécesseurs (et c'est valable pour les autres domaines de l'existence aussi); ça oui tu as raison de le souligner. La tabula rasa, outre qu'elle est pure illusion, n'est pas souhaitable.

#12 serioscal

serioscal

    serioscal

  • TLPsien
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Posted 30 October 2006 - 06:35 PM

Merci pour vos interventions.

Je n'ai pas fait l'histoire du mot individu, Missix, me contentant de prendre la notion dans son acception la plus générale, avec pour objectif n°1 d'embêter Harry. Disons que l'individu - se réfère le plus souvent au sujet de la psychologie, avec ses motivations, ses intentions, etc. Une vision superficielle de l'homme à mon sens. Au moins jusqu'à Freud et même après lui... La psychanalyse a beaucoup pataugé, n'est-ce pas ?

C'est vrai, Harry, que j'ai été peu professionnel en lâchant des citations et des allusiosn sans autre développement. J'ai toujours peur de lasser mon lecteur, par trop de précisions (déjà que...) Mais je me ferai un plaisir de te répondre !

Le dialogue de monsieur et madame de Blanquet n'avait jamais été consigné par la littérature. C'est sans doute malheureux mais la littérature a connu bien d'autres injustices ! Mallarmé, quant à lui, a écrit cette phrase dans un texte intitulé "Crise de vers" qu'on trouve dans le volume de la collection Poésie de chez Gallimard intitulé "Divagations" (p.251 sq). Le poète prétend y distinguer "le double état de la parole, brut ou immédiat ici, là essentiel".

La parole immédiate, c'est celle qui veut "narrer, enseigner, même décrire". Cet état de la langue se rapproche pour lui d'un échange monétaire. Le langage poétique, dit-il, est d'un autre ordre :

Citation
A quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa propre disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant ; si ce n'est pour qu'en émane, sans la gêne d'un proche ou concret rappel, la notion pure.

Je dis : une fleur ! et, hors de l'oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d'autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l'absente de tous bouquets.


Ne nous y trompons pas ! Il y a chez Mallarmé un idéalisme de la parole poétique qui ne devrait plus avoir cours (à mon avis). S'il donne à la poésie le privilège de la suggestion, c'est parce que la suggestion est seule propre à exprimer "l'idée" (au sens platonicien), pure de tous les accidents de la réalité.

Atteindre à l'idée pure - tel est le drame de la poésie de Mallarmé. Et il faut prendre "drame" au sens fort, c'est-à-dire théâtral, car il y a fort à parier que Mallarmé lui-même ne croyait qu'à moitié à cette thèse. Mais il l'a mise en scèn, au sens strict, s'élevant vers un idéal inacvessible parce qu'idéal, idéal parce qu'inaccessible. Un fort beau projet de texte a été retrouvé, "Epouser la notion" : poème relatant le drame d'un poète qui voudrait accéder à la notion pure mais qui celle que, pour être pure, elle ne doit exister que pour lui et que, pour autant, tant qu'elle n'existe que pour lui, elle n'existe pas.

Parmi les plus beaux textes (et des plus énigmatiques) de Mallarmé, je citerai encore la Prose pour des Esseintes (dans les Poésies), une suite de quatrains aussi occulte qu'envoutante et dont certains éclats sont si éblouissants qu'ils peuvent rendre aveugles. A lire, donc, avec un poste à soudure de préférence.

#13 Harry

Harry

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Posted 12 November 2006 - 10:35 PM

Citation (serioscal @ Oct 30 2006, 06:35 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Je n'ai pas fait l'histoire du mot individu, Missix, me contentant de prendre la notion dans son acception la plus générale, avec pour objectif n°1 d'embêter Harry.

En fait il faut bien comprendre que malgré ce que j'ai écrit, je ne crois pas en l'individualisme !
Je m'interroge essentielement sur le rapport ou l'oppostion entre liberté individuelle et intérêt collectif, ou plus précisément sur quel espace privé de développement personnel reste-t-il à l'individu dans un monde où une jalouse égalité de fait entre tous serait réalisée par la collectivité.


Concernant ce que tu écris sur Mallarmé, ton développement m'a intéressé.
Oui je crois que le rapprochement entre l'idéalisme poétique de Mallarmé et l'Idée platonicienne est judicieux.
Allez, voici Mallarmé dans une de ses professions de foi idéaliste
Citation
Les fenêtres

Las du triste hôpital, et de l'encens fétide
Qui monte en la blancheur banale des rideaux
Vers le grand crucifix ennuyeux du mur vide,
Le moribond sournois y redresse un vieux dos,

Se traîne et va, moins pour chauffer sa pourriture
Que pour voir du soleil sur les pierres, coller
Les poils blancs et les os de la maigre figure
Aux fenêtres qu'un beau rayon clair veut hâler

Et la bouche, fiévreuse et d'azur bleu vorace,
Telle, jeune, elle alla respirer son trésor,
Une peau virginale et de jadis! Encrasse
D'un long baiser amer les tièdes carreaux d'or.

Ivre, il vit, oubliant l'horreur des saintes huiles,
Les tisanes, l'horloge et le lit infligé,
La toux; et quand le soir saigne parmi les tuiles,
Son œil, à l'horizon de lumière gorgé

Voit des galères d'or, belles comme des cygnes,
Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir
En berçant l'éclair fauve et riche de leurs lignes
Dans un grand nonchaloir chargé de souvenir!

Ainsi, pris du dégoût de l'homme a l'âme dure
Vautré dans le bonheur, où ses seuls appétits
Mangent, et qui s'entête à chercher cette ordure
Pour l'offrir à la femme allaitant ses petits,

Je fuis et je m'accroche à toutes les croisées
D'où l'on tourne l'épaule à la vie, et, béni,
Dans leur verre, lavé d'éternelles rosées
Que dore le matin chaste de l'Infini!

Je me mire et me vois ange! Et je meurs, et j'aime
-Que la vitre soit l'art, soit la mysticité -
A renaître, portant mon rêve en diadème,
Au ciel antérieur où fleurit la Beauté!

Mais, hélas! Ici-bas est maître: sa hantise
Vient m'écœurer parfois jusqu'en cet abri sûr,
Et le vomissement impur de la Bêtise
Me force à me boucher le nez devant l'azur.

Est-il moyen ô Moi qui connais l'amertume,
D'enfoncer le cristal par le monstre insulté
Et de m'enfuir, avec mes deux ailes sans plumes?
-Au risque de tomber pendant l'éternité.





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