Petit Pierre - Une Histoire Ordinaire
#1
Posted 23 October 2006 - 01:46 PM
Petit Pierre a peur du noir. Pourquoi Maman a-t-elle fermé la porte ce soir ? Même Doddy l’ourson serré tout contre lui ne parvient pas à le rassurer.
Mais Petit Pierre n’ose pas appeler. Maman ne lui a-t-elle pas dit ce matin qu’il était un grand garçon maintenant ? Non, non ! Il ne veut pas être grand ! Il ne veut pas rester là seul dans le noir ! Là-bas, près de la fenêtre aux volets clos, un monstre né des ténèbres le guette. Petit Pierre ne bouge plus ; il sait que la bête attend de le voir trembler pour se jeter sur lui et l’emporter loin de la maison, si loin qu’il ne reverra plus jamais Maman et Manou…
Manou… Pourquoi n’a-t-elle pas dîné avec eux ? Il n’y aurait pas eu de monstre si elle était venue, comme à chaque coucher, déposer ce tendre ------ sur son front. Petit Pierre a envie de pleurer ; on l’a abandonné. Maman avait les yeux rouges toute à l’heure, et elle ne lui a même pas demandé ce qu’il avait fait à l’école. Maintenant, du salon, pleuvent les notes de cette chanson avec laquelle Petit Pierre a grandi, cette chanson qui lui a donné envie de jouer du violon. Mais ce soir, la chanson lui donne encore plus envie de pleurer.
Le monstre s’est soudain mystérieusement évaporé, et Petit Pierre n’a plus peur ! Il sait que Maman pleure assise les jambes repliées dans le canapé. Il sait qu’elle a froid et qu’il doit aller la réchauffer. D’un bond, il s’est dégagé de ses draps et a enfilé son costume de preux chevalier. Sans bruit, il a ouvert la porte de la chambre et sur la pointe des pieds s’avance dans le couloir sombre menant au salon.
Elle est là, seule dans le grand sofa, si belle malgré les larmes sur ses joues et ce regard perdu dans un autre monde.
« - Maman… !! » crie-t-il en s’élançant, et laissant alors exploser la boule qui lui faisait si mal au fond de la gorge.
Un éclair a jailli des yeux de jais et Maman a accueilli Petite Pierre sanglotant en son giron. Doucement, de sa fine main de pianiste, elle caresse la tête de l’enfant.
- Je suis là mon Pierrot, je suis là… Tu as fait un cauchemar… ? C’est fini… je suis là, ne pleure plus Petit Prince…
Apaisé, Petit Pierre a levé les yeux vers le visage de Maman. Elle lui sourit.
- Je t’aime Maman…
Alors Maman se penche pour embrasser le front de Petit Pierre qui rosit de plaisir. Mais ce geste lui rappelle ce qui lui a tant manqué au moment de se mettre au lit. Il demande timidement:
- Maman, elle est où Manou ? Je veux Manou…
Pourquoi Maman a-t-elle détourné la tête en direction de la baie vitrée, vers le crépuscule qui descend sur les toits de la ville. Son regard s’est rempli de vide et ses yeux brillent comme deux perles noires.
- Je ne sais pas Pierrot… Où est-elle ?... Où es-tu…. »
Petit Pierre voudrait que la chanson s’arrête, qu’elle cesse de cogner ainsi dans sa poitrine. Il a de nouveau envie de pleurer. Il sait qu’il n'a pas fait de mauvais rêve, pas comme celui de l’horrible sorcière qui ressemble à la dame de la cantine. Il voudrait que Maman siffle et rie comme quand il fait beau et que l’air chaud de l’été pénètre par la fenêtre de la cuisine. Il voudrait que Manou soit là, qu’elle l’assoie sur ses épaules, et trottine dans le salon à la poursuite de l’Oiseau de Feu pendant que Maman applaudit tout en suppliant de faire attention aux vases.
Petit Pierre a à peine senti Maman se lever.
« - Allez, viens, on va faire dodo… » dit-elle en tendant les bras.
Cette nuit Petit Pierre est dans le grand lit, comme il y a longtemps, lorsqu’il avait été très malade et que Maman voulait l’entendre respirer. Maintenant, blotti contre elle, c’est lui qui écoute et se laisse bercer par la respiration dans son dos. Il ne peut pas voir si Maman est endormie, mais les soubresauts qui la parcourent ne lui laissent aucun doute.
Petit Pierre est fatigué ; fatigué de n’être que ce petit garçon incapable de consoler la personne qu’il aime le plus au monde. Doucement il a pris la main de Maman et la tient sur son cœur. Non, rien ne peut leur arriver de mal ! Et Petit Pierre s’endort, se laissant emporter par ce parfum qui ne ressemblera jamais à aucun autre.
Petit Pierre vient d’entendre le parquet grincer. Il sait exactement, à force de les avoir toutes essayées, quelle planche de bois imite si bien le grillon dans l’entrée.
Il ouvre les yeux. La chambre s’est teintée du bleu-gris pâle de l’aube. A pas feutrés, le doigt sur la bouche, Manou s’avance vers le lit. Manou, si forte d’habitude, semble à peine tenir sur ses jambes. « Chut, ne dis rien surtout, ne remue même pas le petit doigt… » ont lancé ses yeux qui ressemblent à l’océan.
Petit Pierre est complètement réveillé. Il voudrait à la fois secouer Maman qui n’a pas bougé, et se jeter dans les bras de Manou. Mais la mine tirée et anxieuse de cette dernière le pétrifie. Il regarde ce visage qui tente de lui sourire et devine qu’elle aussi a pleuré.
Dans ses mains, elle tient une sorte de boîtier noir que Petit Pierre a du mal à identifier. Ce n’est que lorsque Manou porte l’appareil à son œil qu’il comprend qu’elle va prendre une photo. Pourquoi ? Malgré le peu de luminosité dans la pièce, le clic n’a pas déclenché de flash. Et maintenant, Manou sourit, vraiment. Elle pose l’appareil sur le petit meuble à gauche du lit, puis, toujours en silence, elle enlève son jean non sans déséquilibre, et d’une gymnastique pudique se défait de son soutien-gorge sans ôter son T-shirt.
« - Maman, Maman !! Manou est là ! » voudrait crier Petit Pierre en sautant sur le matelas. Mais déjà elle les a rejoints sous la couette, et tendrement les enlace tels qu’ils ne forment plus qu’un.
- 2 -
Petit Pierre n’a plus 4 ans. A l’école, ses copains l’ont surnommé « Peter Pan » depuis le jour où il est resté toute la récréation seul dans son coin à chercher la « belle pensée » qui le ferait s’envoler, comme dans le film « Hook » que Maman lui avait permis de regarder à la télé.
Ce lundi matin, quand Papa l’a accompagné jusque devant la grille, la maîtresse se trouvait là et en a profité pour lui parler un instant. Pierre s’est éloigné, mais pas trop, car il a très envie d’entendre ce que vont bien pouvoir se dire ces deux-là. Il sait qu’il n’a pas de difficultés à l’école, même si quelques fois il rentre à la maison avec une punition ! Il aime lire et sait déjà presque toutes ses tables de multiplication.
« - Je trouve Pierre extrêmement lunatique en ce moment… » a entamé la maîtresse.
- Ah, il est pourtant très sage à la maison. Evidemment, il a besoin de bouger et nous faisons autant de sport que possible tous les deux. Il frappe déjà sacrément fort au tennis ! Et puis, c’est étonnant comme il est curieux de tout, comme s’il avait besoin de vraiment tout comprendre.
- Pour ça, vous avez raison, c’est un phénomène dans son genre, mais en même temps.. Dites-moi, il va toujours chez vous un week-end sur deux et un fois de temps à autre en semaine ?
- Oui, c’est ça, depuis qu’il est tout petit, même si le rythme est moins rigide qu’au départ, maintenant ça dépend aussi de lui … Mais bon, de toutes manières, vous connaissez parfaitement notre situation, nous ne nous en sommes jamais cachés, et peu importe ce que vous en pensez d’ailleurs…
- Mais il vous voit quand même ensembles, je veux dire, sa mère et vous…
- Evidemment qu’est-ce que vous croyez ! Sa mère et moi sommes plus que de très bons amis, sinon Pierre ne serait pas de ce monde… Notre entente est d’ailleurs certainement bien meilleure que celle de bon nombre de parents divorcés…
- Je vois… mais vous ne croyez pas qu’il serait quand même préférable qu’il aille voir un psychologue ? Je le trouve très absent en classe, et puis il y a eu cette bagarre à la récréation la semaine dernière…
- Je suis au courant, sa mère m’a expliqué. Ecoutez, je sais que ce n’est sûrement pas facile pour lui tous les jours. Les enfants ne font pas de cadeaux entre eux. Mais Pierre n’est pas du genre à se laisser insulter sans réagir, il tient de sa Maman… »
C’est quoi un psychologue ? Pierre en a assez entendu. A chaque fois que la maîtresse voit un de ses parents, elle prend ce drôle d’air et s’escrime à démontrer qu’il y a encore un problème. Pourquoi elle ne vient pas le voir lui directement et dire franchement ce qu’elle pense, comme font ses copains, au lieu de toujours tourner autour du pot ?
En tout cas, Papa a été très patient ; Manou aurait sûrement abrégé la conversation à sa place.
« - Hey Peter ! Tu viens ou quoi ?! On fait une déli…
- J’arrive ! Mais je ne suis pas chat !
Pierre fait de grands signes d’au revoir à Papa et se précipite dans la cour.
- Balibaliba ! Voilà speedy gonzales !! »
Dix huit heures, fin de l’étude. Soit Manou attend sur le trottoir avec un pain au chocolat dans les mains, soit Pierre devra rentrer tout seul, « sans traîner » comme dit Maman.
En général, Maman ne peut pas venir le chercher parce qu’elle finit trop tard son travail ; elle est avocate.
Manou elle, elle n’a pas vraiment d’horaires parce qu’elle est chef de sa boutique de fleurs. Un fois, pendant les vacances de printemps, ils sont allés tous les trois très tôt - il faisait même encore nuit ! au marché des fleurs de Rungis. Quel souvenir ! Pierre n’aurait jamais imaginé voir autant de fleurs d’un seul coup : tout un immense hangar saturé de couleurs et de parfums. Il aime entendre Manou énumérer sans une seule hésitation les noms de toutes ces merveilles. Lui, il ne les retient pas toutes, seulement celles qu’il préfère : le grand lys blanc avec son pollen qui tache les vêtements et son parfum musqué ; l’orchidée pour sa finesse complexe ; la très classique rose rouge écarlate, si éclatante de passion ; l’éblouissant tournesol amoureux du soleil ; et puis le chèvrefeuille sauvage devant lequel il ne peut passer sans s’enivrer de son essence. A la maison, les vases ne sont jamais vides, et Manou s’est même installé son jardin d’hiver que Pierre appelle sa petite Amazonie.
« - Et mon pain au chocolat ?!
- Espèce de ventre à pattes, tu pourrais au moins me dire bonjour avant… Je n’ai pas eu le temps de passer à la boulangerie… Allez, donne ton sac, on y va.
- On rentre à pieds ? T’es pas en voiture ?
- Hé non ! La voiture est chez le garagiste…
- T’as eu un accident ?
- Mais non, si tu me laissais finir… elle est en révision.
- Comme quand on va chez le médecin simplement pour voir si tout va bien ?
- Exactement !
- Tu crois que Maman va bientôt m’emmener ?
- Où ça ?
- Bah chez le docteur…
- Pourquoi, non, tu y a été il y a trois mois…
- Alors peut-être Papa ?
- Mais non, qu’est-ce que tu racontes ? Tu as été malade ce week-end ?
- Non, c’est pas ça, mais ce matin, il a vu la maîtresse et je crois qu’elle lui a pris un peu la tête…
- D’où est-ce que tu sors cette expression encore ?! Bon, Papa a parlé avec la maîtresse et toi tu as laissé traîner tes oreilles….
- Manou, c’est quoi un psychologue ?
- Et voilà ! Alors un psychologue c’est une sorte de docteur pour la tête.
- Je comprends pas…
- Bon, c’est un monsieur ou une dame à qui tu vas expliquer toutes les questions que tu te poses pour qu’il t’aide à trouver les réponses…
- Comme un dictionnaire quand on ne sait pas ce que veut dire un mot ?
- Pas tout à fait… en fait… pfffff, je ne suis pas sortie de l’auberge moi !
- Quelle auberge ?
- C’est une expression Pierre… ça veut dire que je ne vais laisser Maman t’expliquer parce que je n’y arrive pas. Pourquoi es-tu si curieux ?
- Je ne sais pas… C’est pas bien d’être curieux ?
- Mais si, au contraire… seulement des fois tu nous poses des colles et on ne sait plus quoi te dire.
- Ou vous ne voulez pas dire… mais j’ai compris, un psychologue c’est quelqu’un qui te dit que tu n’es pas fou comme tu le crois, et que la maîtresse elle veut que j’aille voir parce que c’est toi qui vit avec Maman et pas Papa…
- ….
- Quoi ?
- Mais pourquoi tu demandes si tu le sais déjà… ?
- Non, je te jure, je savais pas.. mais c’est ce que tu as dit, et la manière que tu l’as dit…
- La manière dont tu l’as dit… C’est fou ça ! Bon, et qu’est-ce qu’il a dit ton père ?
- Il a dit que si je me battais c’est que je tenais ça de Maman, et après je suis parti jouer.
- Pierre, est-ce que tu es triste que ton Papa ne soit pas avec Maman ?
- C’est toi qui devrais allez voir le psychologue !
- T’as raison ! Alors, vous avez fait quoi avec Eric ce week-end ?
- Samedi matin on est allé faire un tennis. Papa dit que j’ai un super coup droit, mais mon revers ne passe qu’une fois sur neuf, on a compté ! Après, on est rentré, on a pris une bonne douche, et j’ai appris à faire une omelette aux pommes de terre !
- C’est donc toi qui va faire la cuisine à la maison maintenant ?!
- Moi je veux bien, c’est marrant de faire à manger, mais vous m’aiderez quand même un peu…
- Marché conclu ! Mercredi, on fera le dîner tous les deux pour Maman… Et samedi après-midi ?
- Ben, t’as vu, il pleuvait, alors on a joué à la PlayStation…
- A Tomb Raider je parie….
- Comment tu sais ?!
- Mon petit doigt… et toi, comment tu la trouves Lara Croft ?
- C’est la plus forte de l’univers !!
- Et vous avez passé toute l’après-midi devant le petit écran ?
- Ben non, après on est allé voir « James et la pêche géante » au ciné, c’était trop bien !
- Je voulais t’emmener…
- Bah t’as qu’à y aller si tu veux le voir…
- Mais c’est un dessin animé pour les enfants…
- C’est pas grave, si t’as envie…
- Vu sous cet angle… Peut-être que je proposerai à Maman…
- Bon, je te raconte hier ?
- Excuse-moi, je vous en prie mon cher…
- Alors hier, on s’est levé très très tard, et Papa il m’a préparé un petit déjeuner comme les anglais, un branche… c’est bon les saucisses le matin ! Après, on est allé se promener au Jardins des Plantes, et il y avait de drôles de sculptures. Et puis on a dîné chez Sabine. »
- Ah, il la revoit ?
- Elle est sympa Sabine, ils se sont même embrassés ! Je crois que Papa il est encore amoureux…
- Vous avez du rentrer tard ?
- Ben… en fait Papa voulait pas que je dise, mais on est resté chez Sabine. Papa avait pris toutes mes affaires, et ce matin, on est venu direct…
- Pourquoi tu me le dis si Eric ne voulait pas ?
- Je sais pas… parce que c’est bête de ne pas dire, personne fait rien de mal, et moi je me suis couché tôt.
- Mais tu as dévoilé un secret, Papa te faisait confiance…
- Mais il sait bien que je vous dis tout… c’était bête de me faire confiance pour ça ! Et je comprends pas pourquoi ça doit être secret.
- Ton père a certainement ses raisons Pierrot. Il faut aussi parfois savoir respecter ce qu’on ne comprend pas, parce que les autres ne sont jamais exactement comme toi. Ils ne pensent pas et n’agissent pas obligatoirement comme toi, mais ça ne veut pas dire que c’est mal…
- …
- Oh fait, tu as fini tes devoirs à l’étude ?
- Ouais, tout !
- C’est plus joli « oui » que « ouais », non ?
- Pardon… et j’ai même eu le temps de réviser mes partitions !
- Je croyais que tu en avais marre du solfège ?
- Papa, il m’a dit que si je voulais être un bon musicien, il fallait aussi que je travaille mon solfège.
- Sage parole. C’est ton prof qui va être surpris mercredi ; il va peut-être arrêter de t’appeler « tête de lard »…
- Je ne suis pas une tête de lard !
- C’est vrai ça ? Alors tu me joues un peu de violon en rentrant ?
- D’accord, rien que pour toi ! »
- J’ai cru que je n’allais pas m’en sortir ce soir, soupire Marie en s’installant à table. Encore un cas de divorce délicat… Bref. Et toi, cette journée ? C’est bon pour la voiture ?
- On ne l’aura qu’après-demain, un problème de suspensions. J’ai prévenu Didier qu’il tiendra la boutique tout seul demain. Tu ne veux pas appeler le cabinet demain matin et dire que tu es malade…
- Tu sais que je n’aime pas faire ça… et puis avec le boulot qu’on a en ce moment, je ne crois pas que ce soit un très bonne idée.
- Allez, exceptionnellement… Ils peuvent bien se passer de toi pendant une journée, une seule petite journée. Ca nous ferait du bien…
- Et moi, je sèche l’école aussi ! s’est exclamé Pierre qui n’a pas perdu une miette de la conversation.
- C’est hors de question mon bonhomme !
- Pff.. de toutes manières, il n’y a que les grands qui peuvent faire toutes les bêtises que vous voulez !
- Ca, c’est le seul avantage d’être grand Pierrot…
- Tiens, oh fait, Eric m’a appelée du bureau ce matin après avoir vu la maîtresse. Elle lui a encore pris la tête…
- Ah d’accord, je vois…
- Hein ?
- Non, rien… je viens juste de remarquer que Pierre calquait tes expressions…
- Ah.. Dis-moi mon Pierrot, ça va à l’école ?
- Très bien ! et je ne veux pas aller voir un psychologue !
- Carrément…
- Il m’a demandé ce que c’était sur le chemin du retour, et apparemment, il a bien compris…
- Oui, j’ai très bien compris ! et même que quand j’ai un problème d’abord c’est à vous que j’en parle !
- Mais peut-être qu’il y certaines choses que tu n’oses pas nous dire, non ?
- Ben… de toutes manières à l’école, tout le monde sait que j’ai un papa et deux mamans, c’est ça qu’ils disent… y’en a qui comprennent pas et y’en a qui disent que leurs parents ils trouvent pas ça normal…. Et puis, y’a Ninon qu’a pas de papa du tout et qui voudrait que je lui partage le mien parce qu’il est très beau… et puis Léo ses parents ils sont allés au tribunal parce qu’ils divorcent, et lui il pleure tout le temps à la récré…. Et Tim le chinois, bah ses parents c’est pas ses vrais parents qui sont morts à la guerre mais c’est le plus fort en classe… Des fois je suis énervé parce qu’y en a un qui n’est pas content que je marque le but au foot alors il dit plein de gros mots sur vous et moi je lui donne un coup de poing et après je me fais gronder par la maîtresse mais je veux pas expliquer…et le lendemain l’autre méchant il me parle et il dit qu’il a rien dit à ses parents, et si on est toujours copain… Moi je m’en fous ! je m’en fous parce que c’est vous mes parents que j’aime, et c’est vous les meilleurs, et si les autres ils sont comme ça c’est parce qu’ils sont jaloux…
Marie reste la bouche ouverte comme si elle voulait dire quelque chose mais ça ne sort pas. Manou a les larmes aux yeux.
- Ben quoi Maman ?
- Rien mon Petit Prince… je crois juste que Manou aurait besoin d’un câlin là… »
Pierre saute de sa chaise et grimpe sur les genoux de Manou pour l’embrasser.
- Alors demain je peux rester avec vous… ?
- Hé dis dons toi ! Tu ne nous auras pas comme ça ! Par contre…
- Manou, chutttt !!
- Quoi, quoi ?
- C’est une surprise Pierrot… si on te le dit, ce n’en sera plus une…
- S’il te plait Manou, allez, dis…. Maman… dis…
- Bon, dommage pour la surprise, mais bon, maintenant qu’on en a parlé… Vas y, dis lui…
- Alors Samedi, on va au… Parc Astérix !!
- Ouais !!! génial ! et Papa, il vient aussi ?
- Oui, Papa aussi, c’est lui qui en a eu l’idée, et peut-être Sabine aussi…
- Ouais, youpi !!! et on pourra inviter Léo ?” »
- 3 -
Je m’appelle Pierre, et dans une semaine j’aurai 17 ans. Un jour, je serai écrivain.
Pourtant ceci n’est pas un roman, juste un journal de bord que je me sens le besoin d’entamer aujourd’hui.
On me dit plutôt précoce. Peut-être parce que j’ai toujours été curieux et que j’aime par-dessus tout apprendre et comprendre. Peut-être aussi parce que j’adore lire. Les livres sont une source inépuisable de savoir et de rêve, je ne m’en lasserai jamais !
Un jour, j’espère que des gens me liront, et que cela leur apportera tout ce que les livres ont pu m’apporter jusqu’ici.
Mais aujourd’hui, je n’écris pas pour être lu. J’écris pour moi et pour moi seul, pour contenter cet incroyable narcissisme. J’ai besoin de tout mettre à plat !
Je suis « hors norme » ou plus exactement hors schéma familial classique :
Ma mère, Marie, est homosexuelle et vit avec la même femme, Manou, depuis plus d’une quinzaine d’années. Je n’ai jamais appelé Manou -qui est bien plus que ma meilleure amie- « Papa » (quelle horreur !). Mon père, Eric, est un très vieil ami de Maman, et c’est plutôt le type de célibataire endurci qui a encore peur de s’engager. Je ne lui ai jamais connu de relations véritablement stables de plus de 4 ans.
J’ai été conçu par insémination artificielle. Maman voulait absolument un enfant, Papa s’est proposé, aussi simplement que ça ! Enfin, simplement.. Il a quand même fallut qu’ils fassent un petit voyage en Belgique. Ce que la France peut être en retard !! Dans mes jeunes années, j’ai été élevé au rythme des enfants de divorcés, avec les tensions en moins.
Si nous vivions tous les quatre sur une île complètement déserte, je crois que je n’en serais pas venu à écrire comme je le fais maintenant.
Seulement voilà, nous ne sommes pas seuls au monde. Et je n’avais jusqu’à présent jamais senti à ce point combien le regard et le jugement d’autrui peuvent peser sur nos vies.
Depuis mon entrée à l’école primaire, quand les « relations sociales » deviennent aussi importantes que ce qu’apporte le douillet cocon familial, j’ai commencé à subir… Non, le terme est trop fort, mais je n’en trouve pas d’autre.
Si le regard et la pensée d’autrui, selon qu’on les rejette ou les assimile, peuvent être un apport, une richesse, ils sont pourtant avant tout une sorte d’intrusion dans notre bulle d’ego.
D’ailleurs, pour l’ermite ou l’ascète, c’est facile ! Bien trop facile de se targuer d’être sage. Ils n’ont qu’eux-mêmes à comprendre, qu’à « gérer » ! Se contenter de soi… je ne crois pas que se trouve là la vraie richesse, la vraie sagesse !
Oups, putain d’esprit qui part dans tous les sens !! Avec cette plume à la main, c’est terrible !
Donc…
Donc, je suis un adolescent comme un autre, un homard sans carapace comme nous décrit Dolto. Alors bien sûr, je me pose des milliards de questions, sur moi, sur la vie, la société, l’être humain, le sens des choses, le hasard, etc… et qu’est-ce que j’aime ça !!
Oh… c’est marrant ! Coïncidence ?
Alors que je suis là, seul à cette terrasse de café, anonyme et sans histoire dans la foule parisienne, voici que viennent de s’installer à quelques tables de la mienne, deux femmes et un bébé asiatique. Pas besoin d’être particulièrement intuitif pour voir que j’ai là sous les yeux la petite famille que nous formions à l’époque Maman, Manou et moi. Sauf qu’apparemment là, de toute évidence, l’enfant a été adopté, mais qu’est-ce que ça change ? A force de les dévisager comme ça, c’est moi qui vais finir par faire peser mon regard !
Je ne trouve pas les mots pour exprimer à quel point ce tableau me touche… Encore un « petit d’Homme » qui ne manquera pas d’amour ! C’est la première fois que je croise « en vrai », au-delà de l’écran de télévision, un couple lesbien avec un enfant. Est-ce si rare ? Est-ce si compliqué ? Se cachent-elles ?
Mon histoire…
En fait, quand je suis né, Maman était « mère célibataire », et si Papa était assez présent, ils ne vivaient pas sous le même toit. Je crois savoir que Maman connaissait déjà Manou, mais ni l’une ni l’autre ne m’ont vraiment raconté cette période d’avant moi, d’avant Nous. Je n’ai pas osé les interroger, même si parfois j’aimerais en savoir un peu plus. Mais je comprends aussi qu’elles veuillent garder ça pour elles… Je sais juste que c’est lorsque j’ai eu 19 mois qu’elles ont emménagé ensembles dans l’appartement qui est encore aujourd’hui notre chez nous.
Hier, mon meilleur ami Stéphane m’a posé cette magnifique question :
« - Et toi, tu n’as jamais été attiré par les mecs ? »
Ca a presque eu l’air de l’étonner, voire de le décevoir, que je réponde non. S’imaginerait-il par hasard que l’homosexualité est héréditaire ? Je ne crois pas une seconde à la théorie chromosomique ! Ou alors, j’ai eu un énorme coup de bol ! Ouf ! Je l’ai échappé belle, à un gène prés… Pffffffffff….
Une fille c’est tellement… tellement… une femme…. Ah Sarah….
Hé oui, je suis amoureux fou ! Enfin, « fou amoureux », façon de parler ! N’est-on pas toujours un peu « fou » quand on est amoureux ?
Elle s’appelle donc Sarah : châtain clair, 1m68, yeux noisettes pleins d’étincelles, un sourire à faire fondre un iceberg… bref !
Pour le moment s’est établi entre nous une amitié trouble et ambiguë qui n’est pas pour déplaire à mon âme de grand romantique ! Mais vais-je pouvoir supporter cette situation bien longtemps !! Je fantasme grave ! J’aimerais qu’elle soit ma première…
Bon sang ce que j’aime être amoureux ! Sentir mon cœur battre à toute berzingue, avoir cette envie de me surpasser, de me donner, et comme on dit si justement avoir des ailes dans le dos. Et puis cette incommensurable curiosité de l’Autre, cet élan irrépressible, cette inspiration, ce sentiment intense d’être vivant !
Mais est-ce qu’aimer se limite à être amoureux ?
Mais j’y pense ! Cette question de Stéphane sur mon orientation… Faîtes que ce ne soit pas ça, faîtes qu’il ne soit pas amoureux de moi !! Quelle situation catastrophique et horrible ce serait… enfin, surtout pour lui…
L’être humain est quand même une drôle de bestiole ! Il a beau savoir d’où il est issu, il se place tellement au-dessus, et souvent avec un tel mépris, de tout, et du règne animal en particulier. Les guerres qui polluent notre planète, par exemple, ne seraient-elles pas la preuve formelle de l’animalité, de la bestialité de la nature humaine ?! Chasser le naturel et il revient au galop…
Mais ce qui me fascine le plus en l’Homme, c’est sa dualité : solitude et sociabilité, être et paraître, raison et irrationnel, bien et mal… Je crois qu’il n’a de cesse de balancer entre l’un et l’autre. L’homme heureux serait-il celui qui a trouvé son équilibre, ou qui a accompli son unité ?
Bon, pour en revenir à mon histoire personnelle – c’est dingue comme je me disperse ! Contrairement à ce que pourraient penser certains, je me sens bien dans ma peau, je suis heureux même. Oui, heureux, heureux d’être là, bien en vie !
Pourquoi devrais-je en vouloir à ma mère d’avoir été intrinsèquement égoïste et de m’avoir offert, donné la vie ?! Devrais-je lui en vouloir à elle alors que ce qui me blesse parfois ce n’est que le regard des autres, mais certainement pas le sien ! Je ne crois pas qu’elle m’ait eu à la légère. Je suis même persuadé la connaissant que ça été un parcours long et douloureux pour elle.
Bon, allez savoir pourquoi je pense à ça maintenant, mais la société américaine, celle des Etats-Unis, m’effraie profondément. Je ne comprends pas le droit au port d’arme généralisé et même institutionnalisé, le droit de donner la mort. Autant que je considère d’ailleurs la peine de mort comme le crime donné à l’état.
Les U.S.A. pays de liberté… Est-ce au chaos que mène le libre arbitre ? Est-ce à la folie que mène la liberté ?
Je m’avoue être dépassé. Tant de pensées et d’interrogations bouillonnent en moi. Je n’aurai pas assez d’une seule vie pour en faire le tour, pour simplement même les exprimer.
A quoi riment donc tous ces beaux concepts : liberté, morale, justice, vérité, foi, amour,… ? Chacun n’en a-t-il pas sa propre définition d’après sa propre expérience ? Pourquoi l’esprit s’acharne-t-il à trouver une objectivité à ce qui n’en a peut-être pas ?
Parce que l’esprit humain, la pensée, ont besoin de structure, et même n’existeraient pas sans structure. Le langage, avec sa syntaxe, n’en est-il pas une preuve flagrante ? Car la pensée ne précède pas le langage, ils ne peuvent être l’un sans l’autre.
Les architectes, les sociologues ou ethnologues, les neurophysiciens, et même les psys ne font, en fin de compte, qu’étudier et travailler sur la même matière : la structure !!
STOP ! Il faut que j’arrête de digresser ainsi !
A quoi aurais-je occupé ce temps qui passe là pendant que les mots s’alignent sous ma plume ? Ne suis-je pas en train de rater l’occasion d’embrasser Sarah ? Qu’aurais-je pu faire d’utile pour Maman ou Manou ?
L’écriture me place hors du temps et de l’action, loin de mes proches et du monde, donc en un sens hors de la vie, et pourtant, je voudrais en faire ma vie ; paradoxe.
Comment ai-je pu changer autant en si peu d’années ? Ce n’est pas que je regrette mon enfance, mais j’ai ce sentiment d’avoir perdu une étonnante et intuitive compréhension immédiate du monde. Perdue, non, pas tout à fait, mais enfouie, brouillée, enfermée dans une toile de raisonnements complexes.
A sept ans, j’avais lu et aimé « Le Petit Prince » : je me serais fait renard pour devenir son ami ; je me croyais lui et je rêvais une rose… Je l’ai relu pas plus tard qu’hier soir, et j’ai découvert les mots, le sens… je me suis mis à comprendre plutôt qu’à aimer.. j’en avais les larmes aux yeux…
Il y a vraiment une chose qu’il faudra que je fasse un de ces quatre : faire la connaissance de mes grands-parents maternels.
Quand je pense que Maman ne les a pas vus depuis plus de 23 ans !! Insensé… ! Je sais qu’elle leur envoie une carte de temps à autre, à l’occasion, mais je n’ai jamais vu de réponse. Ah si, une fois, une seule fois, un fois de trop … une lettre froissée au fond d’un tiroir de commode… une phrase au milieu de toutes les autres :
« As-tu pensé à lui autant que tu as pensé à nous ??! » C’était la réponse à mon faire-part de naissance !!
J’éprouve une telle haine à leur égard ! et cela sans même les connaître. Sujet tabou évidemment à la maison, le seul d’ailleurs. Mais comment ont-ils pu faire ça ?! Comment ont-ils pu lui faire ça ?!! Maman… Comment peut-on ainsi renier son propre enfant ?!! Infanticides… Est-ce que seulement ils en souffrent ? Mais comment ne pourraient-ils pas en souffrir ?
Parfois je rêve de réconciliation…
Sarah m’a appelé pour la Fête du Cinéma ! Elle va sécher les cours demain et me demande si je suis partant. Tu m’étonnes !!!!!
Suis-je prêt à aimer… ?
- 4 -
Pierre est en retard sur l’horaire qu’il s’était fixé. Il déteste être en retard ! Et pour couronner le tout, le métro est bondé. Le voilà coincé entre une malheureuse femme enceinte cherchant désespéramment du regard une place assise et un jeune cadre dynamique new-look, costume trois pièces et baskets Nike, apparemment très mal à l’aise de sentir une goutte de sueur dégouliner sur son front. Pierre a beau se fendre d’un sourire poli, il est sur le point de craquer. Que se passerait-il, là, s’il se mettait à insulter la terre entière ou s’il entamait à tue-tête le Dies Irae de Mozart ? Rien !! On le dévisagerait sûrement avec des yeux écarquillés de stupeur, et on n’hésiterait pas à s’entasser un peut plus encore pour s’écarter de lui. A quoi bon ? Plus que deux stations et il quittera le peuple aveugle des termites parisiens.
Peut-être aurait-il du appeler Mamy pour la prévenir qu’il était sorti plus tard que prévu de son cours de socio à la Sorbonne. Mais Pierre sait d’avance qu’elle ne lui en tiendra pas rigueur. Comme toujours, il bénéficiera de cet étrange et paradoxal statut de petit-fils préféré.
Mamy a 76 ans aujourd’hui, et Pierre débarque les mains vides. Son cadeau, c’est elle-même qui en a eu l’idée : « Tu passes l’après-midi avec moi ! Je sais combien ton temps est précieux. On ira se planter au Jardin du Luxembourg, et on regardera les mômes courir autour du bassin pour récupérer leur bateau. Et puis, on a plein de choses à se dire tous les deux… »
Pas besoin d’être devin pour élucider le sujet dont elle veut l’entretenir : son mariage bien sûr ! Ce « projet insensé » comme se plaît à dire Maman. Pierre se demande même s’il n’y aurait pas un complot derrière tout ça. Non, Louise ne se prêterait pas à ce genre de « bassesse »… Encore que, elle est tellement imprévisible !
Pierre a tout juste ôté son doigt de la sonnette que la porte s’ouvre sur celle qu’il a toujours appelée Mamy, celle qu’il considère comme sa seule véritable grand-mère bien qu’aucun lien de sang ne les unît. Louise est la mère de Manou, et si 52 ans et quelque la séparent de Pierre, cela n’empêche pas qu’ils s’entendent à merveille. Il admire tant l’ouverture d’esprit et l’éblouissante vivacité de cette dame qui paraît dix de moins que ce qu’affirme son état civil.
« - Salut mon Pierrot ! Alors, je croyais que Môssieur mettait un point d’honneur à toujours être rigoureusement ponctuel ?
- Désolé Mamy… BON ANNIVERSAIRE !!
- Et mon bouquet de roses ?!
- …
- Ne reste pas la bouche ouverte, je plaisante ! Regarde, je n’ai plus un seul vase utilisable ; je me demande si Manou ne prend pas mon appartement pour une annexe de sa boutique… Veux-tu un truc à boire pendant que je me prépare ? Pastis, porto ou whisky… ?
- C'est-à-dire que je suis à jeun là…
- Et ? C’est la plus mauvaise excuse que j’aie entendue ! Allez, va te servir, et s’il te plaît, ne joue pas les raisonnables avec moi…
- Bon, mais tu m’accompagnes alors…
- Evidemment ! Il ne manquerait plus que tu picoles tout seul sous mon nez !
- Qu’est-ce que je te sers ?
- Un whisky, un !! » a lancé Mamy de sa chambre. « Les bouteilles sont toujours dans le petit confiturier… »
Pierre connaît l’appartement comme sa poche. Petit, il y venait souvent le mercredi, Manou tenant à l’époque la boutique seule et Marie ne pouvant se permettre un temps partiel pour son premier poste sérieux. Il se rappelle que la première chose qu’il faisait en arrivant était de se précipiter dans l’ancienne chambre de Vincent, le frère de Manou, pour y piocher deux ou trois vieux magazines Spirou.
Le soleil est au rendez-vous et Mamy n’a pas raté l’occasion de se coiffer de son chapeau de paille fétiche. A quelques pas du banc où ils ont choisi de s’installer, un groupe d’adeptes de philosophie orientale s’appliquent à un Taï Chi Chuan lent et concentré. En contre bas, la pièce d’eau trône au milieu des chaises vertes rarement inoccupées. Une brise d’ouest dévie de sa verticale la grande gerbe d’eau argentée, et un petit voilier à la coque bleue électrique a chaviré au grand dam d’une fillette blonde apparemment fort capricieuse.
« - Tu porteras ce canotier à mon mariage ?
- Je te vois venir avec tes gros sabots… Je te croyais capable d’un peu plus de finesse. Hé bien mon cher Pierre, si tu t’es imaginé que notre conversation allait tourner autour de ta petite personne et de ton mariage, tu t’es mis le doigt dans l’œil…
- Mais tu avais dit que nous avions des choses à nous dire ; j’ai pensé…
- C’est bien ça le problème, tu penses trop ! Mais je comprends bien que ce projet d’engagement avec la femme que tu aimes, devant Dieu et devant les Hommes, te préoccupe légèrement en ce moment. Mais je me suis mal exprimée : j’aurais dû du te dire que j’avais envie de parler, de te parler.
- Je ne crois pas que ça aurait changé grand-chose à ma façon de comprendre tu sais..
- Moi non plus, mais ça aurait été sonné plus juste… Alors, tu es prêt à m’écouter ou on remet ça à un autre jour ?
- C’est grave ? Tu es malade… ?!
- Non mais est-ce que j’ai l’air d’être malade ?!
- Non, je dirais même que tu es resplendissante. Mais tu sais des fois… attends, j’y suis ! Tu as fait une rencontre… ?!!
- Pourquoi pas… Ce n’est pas une mauvaise idée, il faudra que j’y songe un de ces quatre ! Et merci pour le compliment au passage…
- Mamy !!
- Quoi ? Tu as perdu ton sens de l’humour ? »
- Je ne comprends pas…
- Pourquoi toujours vouloir tout comprendre ? J’ai juste envie de te parler mon Pierrot, de moi, de ma vie, de Manou, de vous… »
« Ton grand-père est né en Argentine, dans un village au sud de Buenos Aires. Sa famille avait émigré de France avant la Grande Guerre. Là-bas, « aux Amériques » comme on disait à l’époque, ils avaient monté un commerce de teinturerie. Et puis l’entreprise a malheureusement fait faillite. Certains sont restés, d’autres ont choisi de revenir sur le Vieux Continent. Ton grand-père était de ceux-là.
Quand je l’ai rencontré, cela faisait à peine une semaine qu’il était à Paris. Tu te souviens quand tu es venu me voir pour me raconter ton coup de foudre avec Camille, je me suis tellement retrouvée dans cette passion avec laquelle tu t’exprimais ! Tout moi à 20ans ! A croire que l’hérédité ne se trouve pas forcément dans les gènes. En tout cas, si les mentalités et les mœurs changent, j’aurai appris que les sentiments eux sont immuables.
Après tant d’années écoulées, tant de vécu avec ou sans lui, je me souviens comme si c’était hier de notre premier regard. Et on dit que les vieux ont la mémoire qui flanche ?! Mais quoi qu’il arrive là-haut au « disque dur » personne n’oublie ce genre de détails si banalement hors du commun. Au fond, c’est du même ordre que le souvenir, tatoué en chacun de nos pores, du parfum de notre mère.
Le bleu de ses iris illuminait son visage. Peut-être était-ce aussi la façon dont il m’a regardée. Dès la première seconde, je m’étais noyée dans ses yeux. Manou en a hérité la forme, tout en amande, mais au bleu primaire s’est mêlé un filet de vert émeraude : tu connais le résultat… C’était Gare Saint-Lazare, un vendredi matin très tôt. A l’époque, j étais sténo-dactylo –ne ris pas- mais je ne me rappelle pas pour quelle raison je me trouvais là. Lui, il cherchait du travail et il venait de subir un refus de la part des Chemins de Fer. Il m’a tout simplement accostée et proposé de m’offrir un café. Et moi, faisant fi de mon éducation et de l’attitude à tenir face à un inconnu, j’ai spontanément accepté.
Nous avons parlé pendant plus de deux heures, tant bien que mal à cause de son français approximatif – bah oui, sa langue maternelle était l’espagnol- mais sans gêne ni retenue, comme deux vielles connaissances qui se seraient perdues de vue un temps, et qui ont alors tant de choses à se raconter au moment des retrouvailles. C’est moi qui lui ai laissé mes coordonnées, et nous nous sommes fixés rendez-vous pour la semaine suivante.
Ainsi débuta 43 ans de vie commune. Les événements se sont vite enchaînés. Dès qu’il eut trouvé du travail – à l’usine de Renault de Boulogne Billancourt comme je lui avais conseillé- nous nous sommes fiancés ; pas question de sauter cette étape, tu pense bien ! Et puis vint le mariage, et les enfants.
Emmanuelle et Vincent étaient ma plus grande fierté, ma plus belle réussite, les plus beaux de la terre ! Le quartier en avait fait ses mascottes : des jumeaux, même faux, on n’en voyait pas à chaque coin de rue. Vincent était un vrai galopin, il nous a fait les 400 coups jusqu’au jour où nous avons dû le récupérer au poste. Hé oui ! Vous ne vous voyez pas souvent, mais la prochaine fois, je suis sûre qu’il sera ravi de te raconter cette mésaventure. Avec Manou, nous avons eu un peu peur au tout début. Elle pleurait vraiment beaucoup et elle a tardé à adopter la position de « l’homo erectus ». Elle n’a fait ses premiers pas qu’à 17 mois alors que son frère cavalait lui depuis ses 11 mois. Ce qui n’a pas empêché par la suite qu’elle soit bien plus sportive que lui.
A vrai dire, nous n’étions pas bien riche, mais nous ne manquions de rien. A l’école, les enfants apprenaient ce que nous n’avions pas forcément reçu comme instruction, et de notre côté, nous tentions de leur inculquer au mieux toutes les valeurs qui nous tenaient à cœur.
Vincent s’est vite révélé un brillant élève malgré son indiscipline. Très tôt, il a su ce qu’il voulait faire dans la vie : médecin. Et il y est parvenu. C’est ce qu’on appelle une belle vocation. Quant à Manou, c’est l’artiste de la famille. Tiens, tu devrais lui demander un jour de te montrer ses « cahiers de jeunesse », de drôles de carnets à spirales qu’elle trimballait partout ! Je suis certaine qu’elle les a gardés.
Je t’avouerais que personnellement je ne voyais pas cette bohème d’un très bon œil. Parce que, être hypersensible, avoir le goût, le sens de la poésie ou de la peinture, rêver, imaginer, recréer un monde meilleur, c’est bien beau et même louable, mais ça ne suffit pas tout à fait pour gagner sa vie. A moins d’être particulièrement doué, avoir un talent certain, et réussir à se faire publier ou à vendre des toiles. Je ne dis pas que Manou était dépourvue de talent ou que je ne croyais pas en elle.. Je trouve qu’elle a écrit de très beaux poèmes. Mais j’avais simplement peur qu’elle ne s’en sorte pas. Elle s’en est en fin de compte très bien tiré, et je me dis que je j’aurais pas dû tant m’en faire !
Et puis est arrivé ce jour où Manou nous a annoncés, au beau milieu du dîner, qu’elle était amoureuse d’une fille. Ton grand-père n’a même pas froncé un sourcil, continuant stoïquement à manger comme s’il n’avait rien entendu. Vincent lui a balancé sa serviette dans un geste de rage et a quitté la table. Et moi, j’ai fondu en larmes. Je ne sais pas si je peux t’expliquer ce que j’ai ressenti à ce moment là. Je vais essayer : c’était comme si mon petit monde bien équilibré s’effondrait tout à coup. Je la regardais mais je ne la voyais pas. Ma fille avait soudain disparu. Et puis il y avait cette vois dans ma tête qui crie et refuse ce dont on se doutait depuis longtemps. Ca, il m’en aura fallu du recul, des crises d’introspection et de culpabilité, de rage aussi, avant d’accepter. Nous avons passé quelques semaines difficiles après cette révélation, ce « coming out » comme on dit maintenant. Vincent ne voulait plus entendre parler de sa sœur, et son père s’était muré dans un silence éprouvant. Quant à moi, j’avais tendance à pleurer pour la moindre peccadille. Jusqu’au jour où j’ai compris ce qui me faisait réellement souffrir. Au fond, comme beaucoup de parents, je m’étais construit une « image » de ma fille, et j’avais rêvé sa vie à partie de cette image et de mon propre bonheur. J’avais tout faux ! C’est cela qui faisait mal, le décalage. Et puis autre chose ; le sentiment d’être incapable de la comprendre, de comprendre cette différence. Ce sentiment d’incompréhension était multiplié par l’idée « d’anormalité. Mais j’ai fini par comprendre qu’il n’y avait justement rien à comprendre. Tout cela ne changeait rien. J’ai alors convoqué, provoqué, un conseil de famille. Ca peut paraître un peu loufoque, mais je ne pouvais décemment pas laisser la situation se pourrir ainsi, et c’était le seul moyen pour que chacun vide son sac, crève l’abcès une bonne fois pour toute. Je prenais un risque, mais Manou avait été la première à avoir ce courage, nous lui devions bien ça. Et ça a marché !
Ce serait un peu long de te raconter les discours de chacun, mais ce fut la soirée la plus intense, la plus éprouvante et la plus émouvante de ma vie. C’est tellement rare ces instants où l’on met bas les masques. Non, cela n’avait rien changé ; mais nous tous, nous avions un changé, nous nous étions enrichis. On dit que les enfants ne serait pas ce qu’ils sont s’ils n’avaient pas qu’ils ont. Moi j’ai appris à quel point l’inverse est également vrai.
Manou a mis longtemps pour se remettre de ce premier « grand amour ». Elle a l’air d’un roc comme ça, mais c’est parce que c’est un bon forgeron, un forgeron qui aurait atteint presque la perfection dans l’art des armures. Et puis elle a rencontré ta Maman. C’était bien avant ta naissance. En fait, leurs routes se sont croisés, décroisées et ont été un temps parallèles avant de se joindre de nouveau et enfin se fondre en une seule et même vie.
De cette époque, un de mes souvenirs les plus vivants est un poème de Manou. Tiens, écoute :
« Etreinte
Dans le creux de tes mains j’ai appris la lumière
Celle des nuits d’automne ou des soirées d’hiver
Où nos corps se réchauffent et nos cœurs se libèrent
Dans le creux de tes reins j’ai frôlé ton mystère
Sur le grain de ta peau j’ai sculpté le silence
Celui qui nous entraîne en ces étranges transes
Où le diable et les anges en nos âmes balancent
Sur le grain de ta peau j’ai bu à ton essence
De tes lèvres sucrées j’ai goutté la douceur
Jusqu’à m’en enivrer sans honte ni pudeur
Telle une source vive d’arômes et de saveurs
De tes lèvres adorées naissent mille liqueurs
Ton souffle dan mon cou tes larmes sur mes joues
Tes doigts dans mes cheveux quand je suis à genou
Enchaînée à ton corps mais libérée de tout
Ton souffle qui supplie incendie nos tabous »
Ah ah, tu rougis Pierrot. Preuve que la plume de Manou n’est pas sans effet ! C’est beau l’amour !! »
Et Mamy parla encore, et encore. Jusqu’à ce que la fraîcheur du soir tombant la fasse frissonner et la ramène au présent.
« - Je crois que c’est l’heure de rentrer. J’ai une de ces soifs !
- Pas étonnant… Merci pour ce cadeau d’anniversaire Mamy ! »
#2
Posted 23 October 2006 - 02:23 PM
Artemisia
#3
Posted 23 October 2006 - 02:38 PM
Certains en son le pire des synthèses. mais je reste quand même adepte du verbe court et synthétisé. L'art sprême..
#4
Posted 23 October 2006 - 02:45 PM
c'est p't'être pour ça qu'elle a mis ça dans la rubrique "nouvelles"
en plus, vu la première phrase, ça devrait te parler directement ce texte
#5
Posted 23 October 2006 - 02:45 PM
Certains en son le pire des synthèses. mais je reste quand même adepte du verbe court et synthétisé. L'art sprême..
Bonjour Bohémia,
Désolée si cette histoire ne t'a pas plu. Mais je me dois de te préciser qu'il ne s'agit en aucun cas d'un poème à proprement parler. Nous sommes ici dans le "topic" des nouvelles, et j'ai donc posté une nouvelle (un mini roman si tu préfères, qui n'a ni l'ambition ni la prétention d'être poétique, juste une histoire).
Pour la poésie et les poèmes "courts", je te conseille d'aller lire dans le forum correspondant à cette catégorie. (Il me semble aussi avoir publié là)
Et si je puis me permettre encore, attention à ton orthographe et aux répétitions ("synthèse", "synthèses", "synthétisé") :
"Certains en sonT lA pire des synthèses. Mais je reste quand même adepte du verbe court et synthétisé. L'art sUprême..
Amicalement
Ninoune
#6
Posted 23 October 2006 - 02:56 PM
en plus, vu la première phrase, ça devrait te parler directement ce texte
pov gaston, j'ai même pas eu le courage de lire ce charabia, toi oui?
Fais moi un résumé.
#7
Posted 23 October 2006 - 03:13 PM
#8
Posted 23 October 2006 - 03:18 PM
(Mais merci quand même, cela permet à mon texte de rester en première ligne!)
Amicalement
Ninoune
#9
Posted 23 October 2006 - 03:27 PM
(Mais merci quand même, cela permet à mon texte de rester en première ligne!)
Amicalement
Ninoune
ninoune rien contre toi(désolée si j'ai pas pu lire)...tu ne sais pas ou tu mets les pieds.
Par contre le jeu de gaston commence à sérieusement gonfler, j'en fais des ballons roses et des rubans roses...
#10
Posted 23 October 2006 - 03:58 PM
non, sûrement que je ne sais pas... et je ne comprends vos "jeux", mais bon, tant que cela ne va pas à l'encontre du respect de chacun...
"charabia" c'était vraiment pas sympa par contre. J'ai plutôt le sentiment d'écrire un français compréhensible pour tout un chacun, sans trop de fautes, enfin j'essaye.
Bonne continuation
Amicalement
Ninoune
#11
Posted 23 October 2006 - 03:59 PM
avant d'essayer de jouer l'agressée, prends exemple sur med, efface tes coms. sinon personne va y croire
pour ninoune : non je n'ai pas lu, moi les trucs longs je mets un certain temps avant de m'y plonger. si je suis "intervenu" c'est qu'il me semble que le but de ce salon, c'est justement de poster des nouvelles et que par rapport à ça, la remarque de Bohémia est plutot conne (la remarque, hein)
#12
Posted 23 October 2006 - 04:11 PM
moi j'ai retenu ça surtout
sinon je vais lire ce texte, deja le protagoniste porte mon prenom... a bientot.
#13
Posted 23 October 2006 - 04:36 PM
sinon je vais lire ce texte, deja le protagoniste porte mon prenom... a bientot.
tu rêve trop mal Cloud! c'est dommage de traiter les vieilles demoiselles de connes. au bout du compte tu te retrouves tout seul!
Encore un petit jeune frustré!
too bad!
#14
Posted 23 October 2006 - 05:15 PM
D’abord il est prenant, bien écrit, dans un style sobre, clair et agréable à lire. Le récit suit son cours et dévoile peu à peu ce qu’il veut dévoiler, il nous emmène jusqu’au bout sans ennui, en suivant le personnage qui est attachant.
Ensuite parce que ça parle d’un enfant, que moi j’en ai plusieurs et que cela a donc attiré mon attention.
Parce que dans cette histoire d’une famille peu « ordinaire », il y toutes sortes de personnages, des généreux, des coincés, des classiques, des qui veulent bien faire et qui voient des problèmes là où il n’y en a pas, des intelligents et des idiots, des égoïstes, des à l’esprit ouvert et des à l’esprit fermé, comme dans la vraie vie.
Et puis cette histoire met en avant que ce qui tue ce sont les préjugés, les gens qui croient tout savoir, le bien et le mal, la décence ou l’indécence, l’innocence ou la culpabilité, et surtout qui enferment les autres dans des catégories, dans des boites avec des étiquettes indélébiles.
Et surtout parce que cette histoire parle avant tout d’amour.
bisous
Artemisia
#15
Posted 29 October 2006 - 02:03 AM
Encore un petit jeune frustré!
too bad!
Moi aussi je suis un frustré. Terriblement.
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