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Clairière De Nuit


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2 replies to this topic

#1 INFONTE

INFONTE

    INFONTE

  • TLPsien
  • 1,076 posts

Posted 17 September 2006 - 09:33 AM

Le lac arrondit son dos de plomb dans des reflets d'argent.
Le frais coule sur mon visage. Je le respire.
J'allume une cigarette dans la lampe de mes mains.
Je respire à nouveau des odeurs de tabac, de fougère, de terre, de sueur.
J'essuie mon visage qui ruisselle. La marche m'a épuisé.
Je défais ma veste de serge.
Sous mon creux d'arbres, j'arrondis un siège de buissons dans des frottements d'herbes et de toile.
Je ferme les yeux. La sueur sèche par plaques de froid.
J'étends mes jambes sans plus d'effort, sans le poids de mon corps, adossé.
Les alentours écoutent mon silence revenu, à l'affût d'un geste.
J'épie les alentours, à l'écoute du moindre silence.
L'espace s'étire en tension aux limites de l'audible.
Le temps se compacte et tente de rétrécir le paysage.
Les gyroscopes reprennent leurs assiettes, le monde rentre dans ses abscisses et ordonnées.
Ma respiration se tasse.
Je mâche une pate de protéines, je goûte un peu d'eau.
J'expire ma fatigue.  
Face à moi, le ciel se délave de nuit. La sépia du pays s'exsude avec lenteur.
Je veux penser à Brahms, j'exhume Bach.
C'est ainsi. J'en souris.
Je marmonne un bout de Légende des Siècles et je crache par terre.
J'exporte ma civilisation, je trimballe ma culture pour rien ni personne, en bandouillère, même pas pour moi, parce qu'elle me colle aux basques, parce qu'elle est chez moi, parce que chez moi c'est aussi cette sauvagerie des bois même si je l'oublie.
Ma solitude est le bonheur de l'égoïsme.
Et là, dans le premier chant du rossignol, je les vois.
Avec des délicatesses de ballerines, sur la pointe de leurs ongles, des daims déroulent une procession.
Leurs têtes balancent dans le largo de sa cadence.
Les épaules de muscles ont des mollesses de fourrure, les bousculades ont aussi des douceurs.
Le groupe s'arrête dans un créneau de lumière grise pour boire à la lune.
Leurs yeux vides s'emplissent de ciel.
Un petit dévale jusqu'à l'eau du ruisseau. Il boit.
Ma cigarette est morte dans la brûlure de mes doigts.
Je me chante une mélodie hongroise de Schubert.  
Un crayon HB en main, je griffe la page de mon carnet de silhouettes rupestres, mes yeux à l'hypnotisme de mon tableau de nature.
Je tourne une feuille.
Le groupe s'agite, les cous tendus vers mon abri. Le vieux daim virevolte avec calme et remonte la pente du sous-bois. Le groupe lui obéit. Il disparait dans la futaie qui s'éclaire, il oublie le petit.
Dans sa goutte d'instant, il frissonne puis cavale sur la trace des autres.
Le rossignol lance sa dernière trille.
La clairière s'empourpre d'un sang orange, froid, horizontal et qui peu à peu se réchauffe à l'oblique.
Je me redresse.
Je referme mon carnet.
Je m'appuie aux troncs des arbres et je désescalade ma pente des bois.
J'arrive sur un chemin de terre qui comme toutes les rivières se jette dans la mer.
Je m'amuse encore.
Je vais importer cette sauvagerie, je vais la trimballer toute la journée pour rien ni personne, dans mon carnet, même pas pour moi, parce que le carnet restera fermé, parce qu'il sera sur le coin de mon bureau, parce que chez moi c'est aussi cette sauvagerie des bois et que je ne veux pas l'oublier.
Les mains dans les poches, je sifflote Albeniz.
Pour l'éternité, Roderic Diaz de Bivar galopera sur un cheval fou.

#2 Artemisia

Artemisia

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  • Tlpsien+
  • 1,377 posts

Posted 20 September 2006 - 05:27 PM

Un envoutement .
Tout le long de ma lecture, j'étais cachée derrière un arbre, sans bouger, sans respirer, sans tressaillir dans la froidure de l'air, et j'ai épié, j'ai attendu et j'ai tout ressenti, portée par les mots et les phrases, les images de cette obscurité tellement claires...

J'ai vécu ce moment rare, si bien raconté, si bien exprimé d'un seul souffle,
qui m'en a rappelé d'autres un peu semblables.

Si rares et si beaux.

Ce qui nous touche chez les autres, n'est-ce pas ce que nous avons déjà en nous ?

La sauvagerie, oui, quand on la rencontre, on se souvient...
On se souvient que c'est notre élément naturel. Et c'est tellement troublant de se confronter à cette vie sauvage oubliée, c'est tellement troublant de s'apercevoir que ce monde parallèle, inconnu, nous est si proche pourtant .

Qu'il galoppe, le Cid, je le vois là bas, dans les nuages, il accompagne la Chasse Fantastique...éternellement.

Artemisia



zut, comment est-ce qu'on peut faire pour faire remonter ce poème ?

#3 INFONTE

INFONTE

    INFONTE

  • TLPsien
  • 1,076 posts

Posted 22 September 2006 - 12:42 PM

Que dire ?
Sinon que j'ai aimé votre lecture.
Seule critique, mais quelle critique.
Amitiés




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