La Fonction Poétique De Roman Jakobson
#1
Posted 11 November 2006 - 02:14 PM
La fonction poétique relève de tout ce qui constitue la matérialité propre des signes, dans un code (une langue) donné(e). Cette fonction donne au message une valeur esthétique et une force expressive dans un système où "ce qui se ressemble s'assemble" comme dans la publicité "i like Ike" où les trois mots sont inclus les uns dans les autres.
Commentaire
"La fonction poétique projette le principe d'équivalence de l'axe de la sélection sur l'axe de la combinaison. L'équivalence est promue au rang de procédé constitutif de la séquence." Il faut au moins citer cette proposition, qui seule rend l'idée complète. La rime fait de la parenté phonologique l'équivalent d'une fonction grammaticale. Le linguiste donne l'exemple de la publicité "I like Ike" ou "i", "ike" et "like" s'imbriquent comme des poupées russes.
La notion de "fonction poétique" n'est pas spécifique au domaine poétique mais elle a eu un retissement spectaculaire dans le domaine de la critique littéraire. Elle permet de rendre compte de phénomènes plus larges que la seule rime : l'allitération, l'assonance et la paronomase peuvent être étudiés comme des "parallélismes" à l'intérieur du vers, dont la fonction est analogue à celle de la rime finale. Ainsi, dans le Britannicus de Racine :
Je veux l’attendre ici. Les chagrins qu’il me cause
M’occuperont assez tout le temps qu’il repose.
Tout ce que j’ai prédit n’est que trop assuré :
Contre Britannicus Néron s’est déclaré;
"Ici" et "assez" marqués par l's et souligné par leur position dans le vers à l'hémistiche, mais aussi "ici" et "prédit", via le "i", instaurent des parallélismes forts à l'intérieur du vers et renforcent l'homogénéité de sa prosodie.
On peut s'interroger sur le degré de pertinence de les associations plus diffuses : "attendre", "le temps" (du vers 1 au vers 2) se répondent assurément, comme "assez" et "assuré" du vers 2 au vers 3. Selon Henri Meschonnic (qui par ailleurs critique vertement Jakobson), ce serait tout le réseau des parentés phonologiques qui serait redevables d'une analyse sous le titre de "sémantique sérielle". Ainsi, un même réseau sémantique associerait :
- "attendre", "m'occuperont", "le temps", "tout", "trop", Contre Britannicus" (t) ;
- "l'attendre", "chagrin", "m'occuperont", "repose", "prédit", "trop assuré", "contre Britannicusé Néron s'est déclaré" ® ; "ici", "assez", ce que (j'ai prédit), "assuré", Britannicus", "(Néron) s'est (déclaré)".
Cette théorie reste sujette à caution, la série n'offrant pas de critère de vérification, contrairement au parallélisme théorisé par Jakobson.
D'une certaine façon, le linguiste russe répond à l'interrogation de son aîné Ferdinand de Saussure par rapport au rôle des rapprochements phonologiques dans les "séries associatives" de la langue, qui lient entre elles des identités grammaticales, lexicales et morphologiques. Son extension hors du champ littéraire tend à faire penser que la parenté phonologique, loin d'être une simple décoration du discours, participe de la conscience linguistique de tout locuteur d'une langue. Emile Benveniste sera également sensible à cette question quand il soulèvera l'étymologie controversée de "religion".
Bibliographie :
Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale
Roman Jakobson, Essais de linguistique générale
Henri Meschonnic, Gérard Dessons, Traité du rythme
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale
--Serioscal 11 novembre 2006 à 14:02 (CET)
Récupérée de « http://fr.wikipedia....ma_de_Jakobson »
#2
Posted 11 November 2006 - 05:05 PM
#3
Posted 11 November 2006 - 05:58 PM
J'ai cherché quelques références sur le web.
Rien à voir avec ton topic, mais je suis tombée sur une référence qui pourrait t'intéresser :
Colloque sur ''La pensée de Pierre Boulez à travers ses écrits''
Il y a l'enregistrement vidéo de la conf. à cette adresse :
www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=578
#4
Posted 12 November 2006 - 02:19 PM
#5
Posted 12 November 2006 - 11:09 PM
Raz, je ne saurais dire tout le mal que Chomsky a fait à la linguistique, qu'il a rendue stupidement abstraite, spéculative, décrochée de la réalité et imbitable. Je ne voudrais pas faire pareil !
J'ai écrit ce texte en réaction à un article de Wikipedia sur la "fonction poétique", une notion développée par le linguiste russe Roman Jakobson dans son "schéma de la communication" qui a eu un impact considérable dans de nombreuses disciplines : linguistique, communication, études littéraires en tête.
Jakobson définit le langage comme un "instrument de communication" et compare le message lingguistique au message informatique : un message est envoyé par un émetteur à un récepteur dans un code et dans un contexte donné. De là, le linguiste dégage six fonctions :
La fonction relative à l'émetteur est dite "expressive"
La fonction relative au récepteur est dite "conative" (hum)
La fonction relative au code est dite "métalinguistique"
La fonction relative au contexte est dite "référentielle"
La fonction relative à la prise de contact est dite "phatique"
La fonction relative au message lui-même est dite "poétique"
Bien des choses sont discutables dans cette théorie, à commencer par la définition du langage comme "instrument de communication". Mais pour en revenir à la sixième fonction, elle repose sur une conception précise du langage poétique.
La rime instaure un parallélisme : à telle position du vers, on retrouve un élément identique : la rime. Ainsi, dans
Faut-il que vous veniez attendre son réveil ?
La douxième syllabe des deux vers est marqué par la même séquence /eil/. C'est un parallélisme. L'idée de parallélisme permet d'appréhender des phénomènes que ne prend pas en compte la versification traditionnelle. Dans le Cinna de Corneille, par exemple, on a :
Dont il faut qu’il la venge, ou cesse d’être prince
La série des 3 f donne assurément de la force à ces vers. Le fait que le f revienne systématiquement en troisième position de groupes de trois syllabes renforce leur parallélisme. Le principe de Jakobson permet d'observer le travail de la phonologie d'un poème au-delà de la seule "rime", chose qu'il me paraît intéressant de discuter sur un forum de poésie.
Mais l'entrée en matière était un peu abrupte, d'autant que le lien vers Wikipedia a foiré. Je le redonne ici :
Le schéma de Jakobson (Wikipedia)
Par contre, je suis étonné que vous n'ayez rien trouvé de plus sur internet et cela montre l'effroyable injustice faite à un immense linguiste qui était un des lecteurs les plus remarquables de la poésie de son temps, même s'il a lui-même donné une image un peu caricaturale de l'approche "structuraliste".
On le voit sur Wikipedia, sa vision de la fonction poétique est souvent mal perçue et ramenée à une vague fonction "esthétique" alors que réellement, la fonction poétique désigne une activité dans le langage qui, sans être propre à la poésie, est au coeur de l'activité poétique.
#6
Posted 13 November 2006 - 09:33 AM
Colloque sur ''La pensée de Pierre Boulez à travers ses écrits''
Il y a l'enregistrement vidéo de la conf. à cette adresse :
www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=578
Merci ! je le télécharge ce matin.
#7
Posted 03 December 2006 - 07:23 PM
une vague fonction "esthétique" alors que réellement, la fonction poétique désigne une activité dans le langage qui, sans être propre à la poésie, est au coeur de l'activité poétique.
peut-on aller plus loin encore ? Je veux dire... j'ai eu un peu de mal avec le topic. J'ai pensé tout d'abord que, dans une certaine mesure, expliquer certains phénomène gâche un peu. Cependant, arrivée à la fin de ton second post, je m'interroge sur ce parallélisme.
Fort bien, en dehors de l'esthétique... il y a cette dynamique du parallélisme. J'entends. Il manque une suite à ton topic pour que je puisse saisir où nous mène ce parallélisme. Qui, du reste, m'intrigue beaucoup, tout autant que cette perception linguistique de la poésie. Perception qui me semble prioritaire depuis ma petite fenêtre à moi. Je ne la vois pas comme un but mais comme une étape incontournable.
Merci.
Félice.
#8
Posted 04 December 2006 - 10:24 AM
La fonction poétique relève de tout ce qui constitue la matérialité propre des signes, dans un code (une langue) donné(e). Cette fonction donne au message une valeur esthétique et une force expressive dans un système où "ce qui se ressemble s'assemble" comme dans la publicité "i like Ike" où les trois mots sont inclus les uns dans les autres.
Commentaire
"La fonction poétique projette le principe d'équivalence de l'axe de la sélection sur l'axe de la combinaison. L'équivalence est promue au rang de procédé constitutif de la séquence." Il faut au moins citer cette proposition, qui seule rend l'idée complète. La rime fait de la parenté phonologique l'équivalent d'une fonction grammaticale. Le linguiste donne l'exemple de la publicité "I like Ike" ou "i", "ike" et "like" s'imbriquent comme des poupées russes.
La notion de "fonction poétique" n'est pas spécifique au domaine poétique mais elle a eu un retissement spectaculaire dans le domaine de la critique littéraire. Elle permet de rendre compte de phénomènes plus larges que la seule rime : l'allitération, l'assonance et la paronomase peuvent être étudiés comme des "parallélismes" à l'intérieur du vers, dont la fonction est analogue à celle de la rime finale. Ainsi, dans le Britannicus de Racine :
Je veux l’attendre ici. Les chagrins qu’il me cause
M’occuperont assez tout le temps qu’il repose.
Tout ce que j’ai prédit n’est que trop assuré :
Contre Britannicus Néron s’est déclaré;
"Ici" et "assez" marqués par l's et souligné par leur position dans le vers à l'hémistiche, mais aussi "ici" et "prédit", via le "i", instaurent des parallélismes forts à l'intérieur du vers et renforcent l'homogénéité de sa prosodie.
On peut s'interroger sur le degré de pertinence de les associations plus diffuses : "attendre", "le temps" (du vers 1 au vers 2) se répondent assurément, comme "assez" et "assuré" du vers 2 au vers 3. Selon Henri Meschonnic (qui par ailleurs critique vertement Jakobson), ce serait tout le réseau des parentés phonologiques qui serait redevables d'une analyse sous le titre de "sémantique sérielle". Ainsi, un même réseau sémantique associerait :
- "attendre", "m'occuperont", "le temps", "tout", "trop", Contre Britannicus" (t) ;
- "l'attendre", "chagrin", "m'occuperont", "repose", "prédit", "trop assuré", "contre Britannicusé Néron s'est déclaré" ® ; "ici", "assez", ce que (j'ai prédit), "assuré", Britannicus", "(Néron) s'est (déclaré)".
Cette théorie reste sujette à caution, la série n'offrant pas de critère de vérification, contrairement au parallélisme théorisé par Jakobson.
D'une certaine façon, le linguiste russe répond à l'interrogation de son aîné Ferdinand de Saussure par rapport au rôle des rapprochements phonologiques dans les "séries associatives" de la langue, qui lient entre elles des identités grammaticales, lexicales et morphologiques. Son extension hors du champ littéraire tend à faire penser que la parenté phonologique, loin d'être une simple décoration du discours, participe de la conscience linguistique de tout locuteur d'une langue. Emile Benveniste sera également sensible à cette question quand il soulèvera l'étymologie controversée de "religion".
Bibliographie :
Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale
Roman Jakobson, Essais de linguistique générale
Henri Meschonnic, Gérard Dessons, Traité du rythme
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale
--Serioscal 11 novembre 2006 à 14:02 (CET)
Récupérée de « http://fr.wikipedia....ma_de_Jakobson »
Salut
je faisais juste un ptit tours sur le site et j'ai vu ce titre...
alors j'ai une autre approche à vous faire partager.. celle d'un ami poète...
La fonction poètique par C.E.A.
je partage parfaitement son point de vu quant a cette définition... de la fonction poètique.
Poètiquement
iah-hel
#9
Posted 04 December 2006 - 10:45 AM
je faisais juste un ptit tours sur le site et j'ai vu ce titre...
alors j'ai une autre approche à vous faire partager.. celle d'un ami poète...
La fonction poètique par C.E.A.
je partage parfaitement son point de vu quant a cette définition... de la fonction poètique.
Poètiquement
iah-hel
Lien interessant. Mais j'ai du mal à situer le poète en fonction du contexte historique, aussi large soit-il. Je trouve que c'est déjà restreindre quelque chose de beaucoup plus invisible.
En plus... même si j'y crois très fort... y'en a marre de toujours tout ramener soit au monothéisme dévastateur, soit à la mort de Dieu... tout aussi dévastatrice. Je ne vois pas comment, après ça, on essaie encore de parler de liberté. Surtout celle du poète.
Voili, voilou.
Féfé.
#10
Posted 04 December 2006 - 12:09 PM
- la confusion entre FONCTION et ORIGINE. C'est la faille la plus sérieuse (elle conditionne tout le reste). La "fonction poétique", au sens linguistique, est très distincte de la "fonction de la poésie". Or, l'auteur retourne à une origine supposée, mythologique.
- la mythologie est précisément le second point sur lequel j'accroche. L'histoire est ramenée à un simpliste quasi illuministe qui revient à une sacralisation d'un langage "à venir". Une telle poétique ne conduira qu'à un mépris marqué de la réalité.
- le militantisme, thème qui me touche assez, mais qui ici confond deux ordres de discours qui devraient toujours rester distincts : le DESCRITIF et le PRESCRIPTIF.
Cela dit, la plume est enlevée. Je vais donc prendre un temps pour le lire et reviendrai peut-être sur cette première impression.
#11
Posted 04 December 2006 - 12:10 PM
Ok
Mon avis perso en quelques lignes..
La liberté se meurt, peu à peu...
Éducation Judéo Chrétienne qui nous conditionne...
Qui a imprégné nos sens dans : la Négation du tout... Du tout autre chose qui n'entre pas dans son champs de vision, étriqué et qui ne correspond pas à ses idéaux intolérants...
Nous en sommes imprégnés qu'on le veuille ou non ! elle transpire dans nos mots, nos actes, notre façon d'être, d'agir, d'écrire; Intolérante, elle condamne la liberté au profit de sa seul et unique façon de voir en nous soumettant à ses diktats !
Ce que je pense, mais cela n'engage que moi : Soyons maudit pour être libre...
Poétiquement
iah-hel
#12
Posted 04 December 2006 - 01:55 PM
Mon avis perso en quelques lignes..
La liberté se meurt, peu à peu...
Éducation Judéo Chrétienne qui nous conditionne...
Qui a imprégné nos sens dans : la Négation du tout... Du tout autre chose que n'entre pas dans son champs de vision, étriqué, qui ne correspond pas à ses idéaux intolérants...
Nous en sommes imprégnés qu'on le veuille ou non ! elle transpire dans nos mots, nos actes, notre façon d'être, d'agir, d'écrire; Intolérante, elle condamne la liberté au profit de sa seul et unique façon de voir en nous soumettant à ses diktats !
Ce que je pense, mais cela n'engage que moi : Soyons maudit pour être libre...
Poétiquement
iah-hel
"pour le créateur, rien n'est pauvre"... et la liberté s'invente. Bon... je dis comme serioscal... faut relire, se concentrer et discuter la question.
Nous sommes conditionnés, oui. Mais pas que. Et concernant le poète... il s'agit d'un autre enjeu.
Féfé.
#13
Posted 06 December 2006 - 10:25 AM
Certe mais le "conditionné" prend le pas sur le "pas que" et c'est domage.
Iah-hel
#14
Posted 06 December 2006 - 09:39 PM
Kundera a beau dire ! Il voit les poètes comme des traitres à la démocratie parce que les dictateurs d'Europe de l'Est ont eu leurs chantres, en albanie, en Roumanie, etc. Mais la poésie est un langage traversier : il traverse les temps comme les lieux. Le poème, passage d'une alérité à une identification, implique une pensée en mouvement, soit le contraire de l'idéologie et du conditionnement.
C'est pourquoi de tous les genres de poésie celui que je préfère c'est la palinodie.
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