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Paname

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London Bridge (londres V)

19 December 2006 - 11:40 PM

LE  PONT  DE  LONDRES

   Qu’il portait bien son nom, ce pont !
Pourtant, pourquoi celui-là plutôt qu’un autre ?

   Certes, il avait été le premier, et il était resté l’unique pendant des siècles. Mais aujourd’hui, ce n’étaient pas les ponts qui manquaient pour jouer à saute-Tamise ! Avec le dernier né, passerelle que le nouveau millénaire avait vu naître au forceps, le Londres intra-muros en comptait seize de Hammersmith à la Tour !
   Mais nulle part mieux que depuis le  Pont de Londres, le promeneur ne pouvait embrasser point de vue aussi central, ni éprouver une telle sensation de vigie. Depuis un tel nid-de-pie, comment ne pas jouir du privilège qui lui était réservé de pouvoir signaler, comme autant de voiles repérées à la ronde sur l’océan de béton,  un si grand nombre de monuments symboles et de sites clés, tous témoins de l’histoire passée et présente de la grande cité ?

   Ah…ce Pont de Londres…quelle pêche on y faisait !
   C’est le plein de la ville que vous rameniez  dans vos filets ! Un sentiment presque palpable de domination sur tout le Londres qui comptait s’emparait forcément de vous depuis son parapet.
   Et si, vigie lasse de monter en mâts, vous décidiez pour changer de monter en grade et de redescendre sur le pont du navire, c’est debout sur la passerelle que, promu capitaine, vous commandiez le bâtiment, seul maître à bord.
   Il suffisait alors qu’un grain vienne tout à coup vous gifler le visage de quelques paquets d’eau rageurs et bien londoniens, pour que l’illusion soit parfaite et que vous mettiez le cap où bon vous semble, capitaine d’un jour et de toujours.

   Aujourd’hui, j’étais poussé à l’Est, et j’avais donc le choix : la rive sud mettrait Tower Bridge sur ma route, ainsi que le toujours fringant croiseur de sa majesté HMS Belfast, dont les canons inoffensifs tenaient encore en joue l’enfilade du grand fleuve.

    La dernière fois que j’étais allé lui rendre une petite visite pour renouer avec mes lointains souvenirs de potache, j’avais eu la surprise originale mais rassurante de lui voir cracher, non pas les obus assourdissants qu’il lui avait bien  fallu cracher aux jours sombres, mais des dizaines de ballons multicolores s’élevant vers l’estuaire dans un silence majestueux, porteurs d’un message ô combien plus pacifique : « Happy birthday, Harry » !

    J’avais quitté le navire ne sachant qui honorer le plus de ma gratitude : les bobos branchés friqués mais pacifiques et bon vivants d’aujourd’hui, qui louaient le Belfast pour fêter le Harry du jour, ou les braves canonniers d’il y a soixante-cinq ans qui avaient semé la mort pour nous conserver la vie ?
Sans leurs obus, les beaux ballons auraient-ils pu un jour faire leur petit coucou  à ce brave  Harry ?  Alors merci, anonymes canonniers !
J’optai pour la rive nord…

Toi, Paris, Je T'ai Dans La Peau...(v)

19 December 2006 - 12:48 PM


MUSEES POUR MUSEES

Nulle part mieux qu’à Paris je ne peux trouver autant d’écrins pour mettre en valeur les œuvres d’art, qui soient eux-mêmes de véritables œuvres d’art, et déjà à eux seuls des témoignages pleins d’une longue et magnifique histoire.
De par le monde, je trouve certes de riches musées, souvent hébergés dans de splendides bâtiments, construits pour eux. Mais à Paris, j’ai toutes les chances de trouver les mêmes, mais abrités sous des toits, cintres, voûtes, coupoles, plafonds, arches, frontons, chapiteaux et caissons rarement élevés et travaillés pour elles, et dont la préexistence multiplie l’intérêt du visiteur et décuple son émotion esthétique.

C’est ainsi que pour ton Louvre-musée, tu t’es réservé ton Louvre-palais, qui a grandi, tentaculaire, depuis la case départ de Philippe Auguste et du donjon Charles V. Au fil des siècles, il s’est construit par à-coups successifs et au gré de toutes les péripéties à soubresauts de notre chaotique généalogie royale.
Jusqu’aux extensions impériales et aux aménagements très républicains et pyramidaux de son actuelle splendeur.
Pour la Grande Nef de ton musée d’Orsay, tu as vidé ta grande gare où l’immense verrière ne s’embrumait déjà plus depuis longtemps des fumées crachées par les monstres de locos vapeur de la ligne d’Orléans.
Mais le volume, l’espace et la structure conservés semblent bien garantir qu’y perdure à jamais l’ambiance des départ bondés et bourdonnants d’antan. Et à l’heure dite, on continuera tous les jours de permettre l’accès aux quais de milliers de voyageurs, et d’y siffler d’admiration leur gaie et impatiente partance pour le pays du Beau.

Bien plus, cher beau Paris, tu tiens à entretenir ta propre mémoire en ayant à cœur de conserver, rénover, chérir tes grands témoins de fer des fières expositions universelles centenaires. Cher et beau pari !
Ainsi dans le monde entier, ta carte de visite pourrait, s’il le fallait, se résumer à une tour symbolique et magique, élevée en trois huit, une année après celle des trois huit, celle qui voyait naître la mère de mon père.
Et vingt ans plus tard, tu as eu l’intuition géniale de faire grâce de sa démolition programmée à cette célébration de fer en boulons et dentelles du brave Gustave Eiffel.
Qui d’entre nous et ses admirateurs y voit encore de la technique et de l’utilitaire, antenne, radio, télé, ou bien paratonnerre ?
Qui peut voir autre chose dans ton Eiffel gratte-ciel qu’élévation gracile à en oublier le poids, élancement interface entre le récipient de ton plat bassin…parisien et le couvercle de ton ciel francilien ?
Qui peut rêver, écrasé à l’ombre centrale de ses piliers cardinaux montant se retrouver au troisième pour s’unir et s’envoyer en l’air dans une étreinte quasi métaphysique, à autre chose qu’à jouir de sa belle et subtile magie ?

Paris, respectueux des arts, tu as également tenu récemment à réparer splendidement le triste outrage des ans, qui pissaient leurs gouttières à travers la chaise percée de l’immense verrière élevée pour l’Exposition du XXè siècle naissant. Encore de riches collections qui auront bientôt pour écrin merveilleux de clarté la gigantesque libellule de verre aux nervures d’acier d’un Grand Palais enfin rendu demain à sa lumineuse splendeur.

Toi Paris, Je T'ai Dans La Peau...(iv)

19 December 2006 - 01:23 AM


Le cercle de tes buttes, à la morgue rabattue par le nivellement de la pioche, et dont je me prends à rêver d’effacer l’effacement, devait avant Haussmann et ses prédécesseurs offrir des promontoires d’où la vue portait tout à l’entour jusqu’à se perdre en de lointains moulins…A rendre jalouses les lumineuses collines de Rome…
Pas de barres sacrilèges, pas de tours infernales, qu’elles soient de Babel ou bien de Montparnasse, pas d’usines à fumerolles ni de béton armé, pour arrêter le regard du travailleur des vignes de Montmartre ou du laboureur de Belleville, où qu’ils le portassent à la ronde.
Et pour la première fois peut-être de sa chienne de vie, en tout cas la dernière, la rétine du pauvre hère hissé au gibet de Mautfoncon pouvait imprimer spectacle aussi grandiose, juste avant de s’obturer pour toujours, très vite, comme par miséricorde, pour ne pas lui donner trop le temps d’en regretter la splendeur. Et avant de sentir enfin s’échapper de son humaine prison l’âme damnée que sa triste vie lui avait faite aussi noire que les corbeaux d’ébène tournoyant déjà de leur ombre sinistre au-dessus de sa pauvre carcasse.
Au moins, à sa dernière seconde horizontale, son regard avait-il contemplé l’océan apaisé de la terre infinie, et non pas redouté l’écoeurant festin qui se préparait cruellement à la verticale de sa tête entravée.

Le grand Napoléon III, que le non moins grand Hugo jugeait si sévèrement, comme quoi tout le monde peut se tromper, qu’il ne l’appelait que « le petit », et quand il était gentil, commanda à ses armées pacifistes de terrassiers de hacher menues celles de tes collines qui se rebiffaient encore. Il y fit percer bien droit le viol de larges et pénétrantes artères d’où les chevaux, canons et mitraille de ses troupes guerrières prendraient en enfilade toutes les barricades de nos belles révolutions.
Ce grand bourgeois de demi-portion de petit Thiers sut bien en profiter sans même attendre leur achèvement : sa rapide et sanglante chasse à l’homme, entamée revancharde vers Sèvres et poursuivie, tambour battant et mitraille crachant, dans la traversée fulgurante de tes tripes mises à l’air au scalpel des stratèges impériaux, ne se vit effectivement ralentie que par les ruelles d’un Montmartre insupportable de provocation et de défi narquois, et par le lacis enchevêtré d’une Belleville terminale et d’un Ménilmontant fatal.

C’est bien eux, retranchés sur leurs buttes inviolées, qui allaient retarder pour un temps, le temps compté mais pourtant éternel de l’idéal, l’épreuve et la lutte finale des Fédérés, lions glorieux bientôt acculés au Père Lachaise, le dos au Mur qui allait devenir le leur à jamais.

Seule Montmartre garde encore un semblant de montagne, qui n’a pas subi le sort de celles de Sainte Geneviève ou de Chaillot…
Mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur, car parfois les hommes font inconsciemment le bon choix : si la butte des Ternes fut fortement aplanie, son abaissement me permet aujourd’hui, depuis le Carrousel, de porter le regard au-delà de l’Arc napoléonien jusqu’à l’Arche mitterrandienne, immense et inégalable perspective dont ne pouvait rêver un Chalgrin, même visionnaire !
Alors que le nivellement de Montmartre, même s’il avait été réalisable, n’aurait rien apporté d’utile au quartier, sinon banalité : il n’aurait dégagé la vue que sur une morne Plaine, sur le Stade de France, et vers l’essaim de guêpes du plat et lointain Roissy...
Il y a parfois une  justice.

London By Night

19 December 2006 - 01:09 AM

Un spectacle urbain de toute beauté nous attendait à la sortie  du restaurant.
La pluie avait cessé, ce qui déjà ne nous fut pas désagréable. Mais sans doute depuis très peu de temps, car tout, autour de cette prestigieuse et imposante place de Sloane Square, depuis l’asphalte des trottoirs et celui de l’immense  boucle ovale de la chaussée, depuis les carrosseries des bus et des taxis, celles des innombrables voitures de luxe qui abondaient à cette heure dans ce quartier, jusqu’au mobilier urbain, aux gros heurtoirs et aux plaques de cuivre des riches hôtels particuliers, et au feuillage dispendieusement  éclairé,  tout, absolument  tout resplendissait de lumières, comme grossies à la loupe par les gouttes de la récente averse.
   Ce qui contribuait à souligner le caractère typé bon chic bon genre de ce secteur tampon, coincé entre les deux grandes bourgeoises que sont Chelsea et Belgravia.

   C’était un spectacle qui, comme dans beaucoup de quartiers d’autres grandes villes européennes, pourvu qu’ils soient bien à l’ouest, éveillait dans l’esprit des promeneurs au caractère tranché dont je faisais partie, soit un appétit à la Rastignac, soit un profond désir de vote communiste.
Les deux tendances pouvant même parfois cohabiter et se concurrencer au gré des circonstances.
   Connaissant bien l’épaisseur de mon compte en banque de petit fonctionnaire de la Police,quand bien même Nationale, je me sentais donc d’humeur plutôt balzacienne que marxiste, devant ce luxe étalé et comme mis en valeur par la nature elle-même.

   C’était presque palpable face au défilé rutilant des carrosseries somptueuses, belles de nuit de luxe toute luisantes d’une humidité quasi sexuelle, qui semblaient se prostituer sur la place comme dans un salon d’exposition démesuré. C’était tout le musée de Beaulieu  en mouvement, dans un étourdissant manège de charme et d’inlassable séduction. Féerique ! Presque envoûtant !

   Taxi noir. Libre. C’est pour nous. Chaleur. Intimité. Bulle. Cocon. Presque sein maternel.
   Voyant que le chauffeur, à cette heure tardive de la nuit, délaissait les bords de la Tamise plus rapides le jour, pour couper au plus court par Hyde Park et Shaftesbury, je lui demandai la faveur d’un petit crochet par Harrods.
   Et pendant deux minutes, nous avons admiré l’imposant paquebot  illuminé qui brillait de tous ses feux dans la nuit londonienne.

   Solidement amarré le long de son quai de béton où quelques passants rêvaient encore, le nez levé vers ses hublots resplendissants, sa masse énorme, bien qu’allégée par les lumières et les couleurs, écrasait littéralement tous les bâtiments à l’entour.
   Sa puissance tranquille et sans rivale arrivait presque, à cette heure de la nuit, à faire oublier l’objet même de son mouillage permanent au cœur du grand port : la satisfaction de tous les bonheurs matériels, des plus nécessaires aux plus superflus ou excentriques, contre des masses éhontées d’argent cumulées en échange.
   Paquebot géant et inoffensif ? Ou coffre-fort dantesque, propriété de corsaires des temps modernes préparant chaque nuit l’abordage du lendemain, bien décidés à écumer sans trêve les mers londoniennes et à y thésauriser leurs scandaleux butins ?
   Voilà un Titanic qui n’était pas prêt de couler ! Ou alors, ce serait vraiment gros temps pour les affaires et le commerce international…
   "Merci, chauffeur...Euston Station, please...
Et nous nous renfonçames dans l'immensité de la banquette de nouveau en mouvement...

Outre Manche...autre Continent

18 December 2006 - 03:39 PM

J’avais rendez-vous au New Scotland Yard avec le chef de l’antenne des Stups détaché aux relations externes.
Je connaissais depuis une dizaine d’années déjà le Superintendant Stephen Laughton, Gallois à la carrure impressionnante avec qui les rapports avaient toujours été francs et amicaux.
Une hôtesse sans accent aucun m’indiqua où trouver le bureau flambant neuf dont il venait d’hériter au troisième étage.
C’est dans ce bureau, assez spacieux pour contenir au moins deux fois celui que j’occupais au Quai, que Stephen me réserva un accueil chaleureux à la British, donc d’un enthousiasme rare :
« Hello, old chap », s’efforça-t-il de produire d’un coup, et sans relief.
Il se surpassait aujourd’hui, car le volume débité et les gestes importaient peu, tout étant dans la subtilité de l’intonation.
« Nice to see you », continua-t-il,  d’une verve particulièrement démonstrative aujourd’hui. Mais il n’alla toutefois pas jusqu’à me serrer la main. Ne l’avions-nous pas fait il y a deux ans, lors de notre première rencontre ? C’était donc suffisant pour tout British qui se respecte, et nous attendrions sans doute une séparation définitive, ou un évènement d’une exceptionnelle solennité, pour oser rééditer ce geste qui frisait, outre Channel, le délit d’atteinte à la chère liberté personnelle, voire le crime rédhibitoire de lèse intimité !
   Tout Brit normalement constitué, (comme tout Continental anormal, donc…) aime à reproduire autour de sa personne les conditions d’insularité protectrice qu’une géographie multiséculaire accordait à son pays.
   Comme un cordon sanitaire individuel à l’abri duquel il aime la plupart du temps se retrancher inconsciemment, rappelant celui, plus collectif, que sa maison-île (son « home » comme disent les parlementaires de Westminster pour désigner leur pays), aime à artificiellement maintenir tout autour de ses côtes naturelles.
   Pour preuves, la crainte toute british de la rage, la longue quarantaine imposée à nos animaux de compagnie, quand nous avons le sans-gêne d’imposer à Albion leur présence en plus de la nôtre, la grande méfiance de l’outre-Manche (et plus généralement du « Continent », comme ils disent, convaincus que leur Royaume-Uni n’en fait pas partie et qu’il n’est d’ailleurs uni que contre lui), et aussi le plus ou moins conscient refus du Tunnel, plutôt plus que moins…et la liste serait longue.

Cette « bunkerisation », que n’arrivait pas à effacer l’accueil non moins réel  des étrangers de l’Est et des modes et idées de l’Ouest, est un trait fondamental et essentiel qui, du moins à mes yeux, constitue la clé première pour démonter le savant mécanisme de la pensée collective des Brits, de leur psychologie, de leur histoire, de leur politique, en un mot, de leur génie.
   Bref, la géographie à la source de tout !