Ernst a choisi. Saisir le sens des choses avec un grand C. Le monde est un miroir: des joies, des angoisses, la haine, l'envie d'être un autre un soir de crépuscule...Tout a un sens.
Et cette plage déserte d'un matin du mois de mars a des allures de majesté. Vide mais promise au capteur infatigable de l'appareil. Les pleins sont des vides qui s'ignorent. Sans âme. La beauté et le sens sont d'un autre monde; un univers élégant et subtil au phrasé composite.
Tout est à construire.
Le sens. Perceptible et inerte, excitant et inaccessible. Mais à quoi les artistes servent-ils? On fait mine de, on illustre, on vivote, on se trompe. L'essentiel n'a pas d'odeur ni d'apparence. La couleur n'y est pour rien, le soleil est un leurre, l'apparent une illusion. La photographie voit derrière, en relayant l'oeil distrait.
Ernst le photographe, réfléchit à ce qui pourait être, au lieu d'être l'apôtre du ce qui aurait pu...Il se souvient.
L'insignifiant est aux aguets, dans la lueur de l'ombre de ses yeux.
Le panoramique superficiel, les portraits noir et blanc;le monde tourne en rond sans raison apparente. Lui peut agir, artiste scientifique d'un tout sauvageon. Et pourtant...il les sent ces flux respiratoires d'un monde potentiel fatigué d'attendre. Des yeux, des regards infinis, des gestes doux comme des fruits. Des prismes déformants pour des pupilles écarquillées. Un monde à lui, sans regard.
Les passants aux fenêtres vagabondes ont envahi la grève arrosée d'embruns. L'esthète n'a d'ouïe que pour les poses évidentes. Pour la mer aussi. Choisir l'instant, compiler les lumières, éclairer l'improbable d'un coup d'oeil à l'affût. Le photographe est au travail. Les pas alternés qui se croisent sous les troncs des marcheurs mal à l'aise, les mains lancées vers le ciel, les cheveux face au vent, moutonneux et taquins. La danse est gracieuse, le ballet audacieux. Les sensations sont multiples, surtout dans le noir.
Oui, derrière, il doit y avoir quelque chose. Il ne faut pas renoncer. Tout est là, à portée d'un doigt insouciant, d'un clic inaudible. Accepte et tu vivras. Insiste et tu verras.
Des pensées mélangées s'enchaînent : ces grains de sable entremêlés, des milliards de fois plus nombreux que les hommes -une civilisation de nomades dorés qui a accepté de se plier au souffle facétieux-, modestes particules en suspension, en construction toujours...Une belle leçon de partage. Il suffit de baisser les yeux.
Mais Ernst poursuit sa quête un peu plus loin. Au sommet de la dune, liseré volumineux adossé à la plage. La traque a commencé, celle de l'infiniment caché, du signifié en attente. Pourquoi ne pas imaginer un amas de photos retournées sur une toile, ventre contre tissu, le dos en pâture au regard. Retourner le papier pour mieux voir, derrière. L'obsession du vrai, le fantasme du non-dit. Regardez, c'est si simple de savoir, d'avancer pour de bon.
La vérité n'existe pas, ne cherchez pas...Regardez, respirez la courbe et le trait, saisissez sans plier. Avancez sans voir...Les sens ne trichent pas.
Il n'y a pas d'autre issue que ce corps, et Ernst s'est fait prophète de la vue. Sa canne blanche en bandoulière.
Sens Regard
Started by Pampi, Oct 06 2006 06:51 PM
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