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J’étais ainsi perdu en plein désert depuis des jours, avec coincées de-ci de-là quelques sombres et froides nuits, sans avec qui parler d’autre que moi-même et c’est dire si je parlais peu n’étant pas très bavard.
Imaginez donc un peu ma surprise, alors que j’avançais péniblement dans un sable plagétaire si finement tamisé qu’on aurait dit de la farine si ce n’était son goût, lorsque j’entendis derrière moi une drôle de voix.
Elle disait :
« S’il vous plaît… écris-moi un poème !
- Quoi !
- Ecris-moi un poème… »
Je me suis retourné aussi vite qu’une crêpe au dessus d’une poêle un soir de chandeleur.
Et j’ai vu un petit bonhomme qui me regardait avec une gravité certaine puisque ses deux pieds reposaient sur le sable.
Imaginez un peu ma surprise, j’insiste au niveau de ma surprise, mais n’oubliez pas que je suis en plein milieu du désert de Gobi.
- Mais qu’est-ce que tu fais là mon petit bonhomme ?
- Je ne suis pas ton petit bonhomme, je suis le Petit Mince.
C’est vrai qu’il n’était guère épais, comme aurait dit Tolstoï .
Puis, il dit doucement :
- S’il vous plaît… écris-moi un poème…
Quand le mystère est aussi mystérieux, on perd souvent toute lucidité et je me suis mis à lui répondre comme si de rien n’était, comme si nous étions ailleurs qu’en ce désert de Gobi qui mérite bien son nom, mais ne me demandez pas pourquoi.
- Je ne peux t’écrire de poème, je n’ai pas le moindre petit morceau de papier, ni le moindre crayon qui me permettrait de tracer des lettres sur la feuille que je n’ai pas.
- Ecris-moi un poème sur ce sable si finement tamisé, à l’aide de ton doigt, dit le
Petit Mince.
Je dû bien reconnaître que ce Petit Mince avait de la répartie.
- Si j’écris un poème avec mon doigt dans le sable, dans cinq minutes le vent l’aura effacé.
- Tout doit être effacé un jour, cinq minutes c’est beaucoup pour un poème.
C’est peut-être beaucoup mais c’était déjà trop pour moi. A l’école, le Français n’était pas ma matière de prédilection, loin s’en faut. Alors écrire un poème, en plein désert de Gobi en plus, me semblait être quelque chose de totalement insurmontable. Si ce Petit Mince m’avait demandé de faire une addition, voire une multiplication, et encore sans fraction ou autres saloperies, passe encore, mais une poésie !
- S’il vous plaît…écris-moi un poème…
- Ne veux-tu pas plutôt que je te dessine un bouton ?
- Non, je veux un poème, dit le Petit Mince.
C’est dommage, car je savais parfaitement dessiner les boutons.
- Quel genre de poème veux-tu, un poème qui parle d’amour ?
- Qui est-ce Damour ? demanda le Petit Mince.
- Pas Damour, un poème qui parle de l’amour, tous les poèmes, ou presque, parle de l’amour.
- Qu’est-ce que c’est qu’une mour ? demanda le Petit Mince.
- Pas une mour, l’amour, l apostrophe a..m..o..u..r, l’amour.
- Qu’est-ce que l’amour l apostrophe a..m..o..u.. r ? demanda le Petit Mince.
- Tu ne sais pas ce qu’est l’amour, mais de quelle planète viens-tu ?
lui demandais-je, car c’était un peu à mon tour de demander.
Je n’obtins aucune réponse, seulement un grand soupir qui en dit long, mais pas suffisamment pourtant pour répondre à ma question.
Et le Petit Mince s’endormit.
Alors, je me suis mis à écrire un poème dans le sable du désert de Gobi, avec mon doigt pour stylo, chaque ligne que je traçais était effacée par le vent sitôt le vers suivant terminé, si bien qu’une fois mon poème achevé, il n’en restait rien ; et je fus bien déçu lorsque je voulu le relire.
Le Petit Mince ne se réveilla que le lendemain, il bailla longuement, étira ses deux bras aussi loin qu’il le pouvait s’en s’arracher les ligaments, puis, il caressa doucement le sable avant d’en prendre une pleine poignée qu’il fit couler lentement entre ses doigts.
- Quel magnifique poème ! dit le Petit Mince.