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Avant Que Ne Rougissent Les Mélèzes… (nouvelle)


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#1 Marygrange

Marygrange

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Posted 11 April 2006 - 12:21 PM

Tu t’appelais Fernando… Ton nom, moi qui ai vécu des années en Espagne, a tout de suite attiré ma curiosité, quand je l’ai lu sur les boîtes de médicaments qui t’étaient destinées, sur le chariot dans le couloir.
Ce récit, mi-réalité mi-fiction, tu ne le liras jamais. Mais c’est ma façon de te remercier de m’avoir démontré une volonté de vivre à toute épreuve... C’est, en fin de compte, pour tous ceux qui finissent leurs jours dans l’anonymat impersonnel d’un hôpital ou l’équivalent. C’est pour dire que, derrière les carreaux d’une chambre où l’on est alité à Briançon, regarder l’horizon montagneux doit aider à franchir le pas. La nature est si belle là-bas, l’âme s’y apaise en un rien de temps. As-tu pu seulement tourné la tête vers ta fenêtre, Fernando ?...




« Izard » et « Névache »



Ce n’était pas le même centre que les autres années. Je ne pouvais m’y rendre en cette saison. Trop de monde. Alors j’ai posé une demande ailleurs et cela a marché. J’ai pu donc passer les mois de juillet et d’août dans ces montagnes que j’aimais tant. Je préférais l’été pour ma cure. La chaleur à Paris et dans un studio, c’est vraiment insupportable.
J’étais en pneumologie bien entendu. C’était des cas plutôt graves, bien plus que mon simple asthme. Cela dit, je m’y suis faite aux grands malades, fallait bien. Et il n’y avait pas que ça. Mes relations s’étendaient aux gens d’autres services rencontrés au réfectoire et à la bibliothèque.
Je suis assez individuelle en ces lieux, je ne cherche pas trop à me lier. Alors j’observe plutôt. J’aime tant ça regarder vivre les autres. Mais d’un naturel expansif quand même, je suis encline à la conversation. Cependant, je t’ai peu parlé, toi qui étais si proche mais tant reclus dans ta chambre et ta maladie. Tu n’étais pas moins sympathique et souriant pour autant. Et cela me plaisait bien.

Je préférais, et de loin, mon autre établissement de cure de Briançon. Il avait un super service d’Animation, le meilleur peut-être de la région. Et nous avions des clefs aux portes des chambres pour nous protéger des vols, chose courante dit-on, tandis qu’à La Guisane* nous n’en avions qu’aux placards où l’on gardait nos précieuses affaires à l’abri. Néanmoins, nos chambres ne portaient pas de numéros, elles avaient des noms. Et cela, j’aimais. Toi, je n’en sais rien. Mais je veux bien croire qu’aussi.
Je n’ai pas prêté d’attention à celui de ta chambre. Alors, si tu permets, je l’appelerai « Névache ». C’est tellement propre aux Hautes-Alpes, et c’est l’une de ses plus belles provinces où vivent encore les sifflantes marmottes. J’en ai vu une, un jour, en passant en car. Je ne sais plus si c’était avec les animateurs de La Guisane cet été là, ou une autre fois avec les gens de l’autre centre. Qu’importe, le tout c’était d’avoir pu en apercevoir une se dresser au bord de la route pour nous voir passer. Je suis sûre que c’était pour cela. C’est que ça semble bien curieux, ces petites bêtes ! Elles ne dorment pas tout le temps…
On m’a dit que les enfants de Névache se rendaient en ski à l’école l’hiver, tant il y a de la neige… Je n’ai jamais vu le pays ainsi, sauf une fois. Très exceptionnellement, il avait neigé en septembre, et un bon tapis en plus. J’en avais attrapé des gerçures aux lèvres. Déjà des cols se fermaient à la circulation. Branle-bas de combat au centre. Il fallait nous trouver des couvertures supplémentaires, allumer le chauffage… Le lendemain, heureusement, il n’y en avait plus. Le soleil avait tout fondu.
Y allant l’été et repartant parfois au début de l’automne, il faisait presque toujours beau pour moi. On dit que le soleil y brille 300 jours par an. C’est bien possible. J’y ai connu la pluie et l’orage pourtant comme ailleurs, mais c’est vrai que le soleil revenait très vite en force à Briançon. Un soleil pas étouffant (on n’y transpire presque pas, enfin sans faire d’efforts), mais suffisamment rayonnant pour égayer le cœur et calmer les bronches.
« Névache » se trouvait non loin d’« Izard ». Il m’arrivait de me tromper parfois et de pousser ta porte. Tu m’accueillais avec le sourire, mais guère le médecin ou l’infirmière se trouvant à ton chevet. Je refermai vite la porte et filai jusqu’à ma chambre dont j’ai fini par retenir le nom. Il le fallait bien pour ne plus te déranger.


*Il existe une bien jolie rivière, dans le Briançonnais, portant ce nom « Guisane ». Ses eaux, en été, sont d’un vert d’eau limpide. Et, sur le chemin pierreux qui la longe, une multitude de papillons de toutes les couleurs et formes virevoltent autour des pieds des promeneurs bien gentiment.




Une clope sur la terrasse



Qui étais-tu, Fernando ?
Je sais que tu avais été en Afrique. Qu’y faisais-tu ? J’ai le vague souvenir que tu étais journaliste ou photographe. Etait-ce ainsi ? Personne ne pourra plus me l’affirmer. Quand j’aurais pu peut-être le savoir, je ne l’ai pas demandé. Depuis je suis rentrée chez moi et tout s’est oublié.
J’aime bien penser que tu avais un métier passionnant, voyageur et chroniqueur dans un lointain pays. J’aime me dire que, là-bas, tu avais bien vécu jusqu’à…
Est-ce à Johannesburg que tu l’avais attrapée, ta maladie ? Nul ne me le dira.
En tout cas, tu étais bien jeune pour être si malade. Avais-tu seulement la trentaine ? Tu paraissais davantage, tant le mal t’avait ravagé.

Quand je t’ai connu, tu étais très maigre mais immense dans ton fauteuil roulant. Mais ce n’était pas ta taille qui te rendait incapable de le rouler, sinon la force qui te manquait. Alors on le faisait pour toi. Ce n’était pas comme moi…
Tu sortais de ta chambre peu, n’allais jamais au réfectoire. On ne te voyait que dans les couloirs du service, quand tu revenais d’un examen, ou sur la longue terrasse commune aux chambres.
C’est là que je te rencontrais le plus souvent, l’après-midi à l’heure du goûter. On sentait bien l’épicurien que tu avais dû être par le passé. Tu étais gourmand même si tu mangeais peu. Tu te jetais avec grand plaisir sur le gâteau et le thé que l’aide-soignante t’apportait, cela se voyait. Elle restait parfois et t’allumait une cigarette. Tu avais droit de fumer à ce stade d’évolution, cela ne pouvait pas te faire plus de dégâts. La cigarette, c’était ta dernière compagne, mon ami. Cela ne te dérange pas que je t’appelle « mon ami » ? Nous n’avions pas eu le temps de le devenir, amis. Mais nous aurions pu l’être un jour, qui sait… J’aime bien quand Hercule Poirot appelle son compagnon d’enquête, Hasting, ainsi « mon ami ». Au fait, aimais-tu les romans policiers ? J’ignore si tu lisais, si on te montait des livres de la bibliothèque. J’espère quand même. Lire cela fait tellement passer le temps dans un lit d’hôpital.
Moi, nul besoin de te cacher que j’aime ça, les romans policiers et autres littératures. J’écris un peu, c’est pour ça que j’aime lire. Et toi, avais-tu la force d’écrire de temps en temps ? Sans doute le faisais-tu avant, si tu étais journaliste. Je m’interroge sur ce qu’ils sont devenus tes papiers. J’espère que quelqu’un de ta famille ou de tes amis les a conservés…

Tu la fumais, ta clope, les yeux posés sur le panorama montagneux. Qu’est-ce que c’est beau là-bas, non ? La Durance qui coule de l’autre côté de la route, l’Italie et Sestrière au loin, la Cité Vauban ou Gargouille, les forts sur la gauche. Briançon, la ville, celle qu’on dit la plus haute d’Europe, t’y avait-on conduit une fois au moins en promenade ? Je ne le crois pas, vu ton état. Seul regarder de loin t’était autorisé, de ta chambre ou de la terrasse. Oh, Fernando, comme c’est dommage que tu n’aies pu aller te balader dans ces Alpes qui m’ont tant charmée !
Dis, à quoi pensais-tu, ta cigarette au bec, quand tu fixais les mélèzes ? Ces magnifiques conifères qui ne tarderaient pas à briller de tous leurs ors et roux, l’automne venu…




Le pique-nique



Il faut dire que ce n’est pas le meilleur endroit pour passer l’été, un centre de cure. D’abord il y a les contraintes médicales, examens, rééducation etc., et puis les contacts obligés avec des gens dont on ne rechercherait pas la compagnie ailleurs. Je ne le dis pas pour toi, ni pour l’Indienne, ni pour la cancéreuse en rémission qui avait retrouvé ses cheveux et qui te fournissait en tabac. Elle, elle pouvait sortir faire des courses tous les jours, si elle le désirait…
L’Indienne, toute vêtue de rose, je l’appelais « Petit Chaperon rose ». C’était dit en blaguant, sans intention de nuire, et elle en riait. Parfois il lui arrivait de libérer sa coupe au carré brune, plutôt jolie…
Toi, on te tenait à l’écart des autres pour ton bien. Mais qu’est-ce qui est préférable, l’ennui d’une chambre solitaire, ou la liberté d’aller et venir dans tout l’établissement malgré les mauvaises fréquentations possibles ?…

Il y avait un homme, aide-soignant la journée dans un autre service, qui animait, entre autres, la soirée dansante du week-end. Il en profitait pour draguer certaines…
Je ne me suis pas laissée faire quand il m’avait fait des avances. Mes réticences l’ont décontenancé. Est-ce pour se venger, un dimanche de sortie, qu’il choisit pour déjeuner un endroit dont l’accès était impraticable aux fauteuils roulants, au bord de la Clarée, dans la vallée du même joli nom ? Il m’avait portée sur son dos, comme un sac de pommes de terre ou de farine, du minibus à l’aire du pique-nique, tandis qu’un patient portait mon fauteuil plié. Outre la peur que j’en eus, je trouvais l’attitude plutôt irresponsable. On aurait pu tomber, moi l’étouffant de mon poids (hélas, pas des plus légers…). Il aurait pu se blesser et pas pouvoir nous ramener. Mais, heureusement, ce ne fut pas le cas…
Je me souviens aussi, un asthmatique allergique aux guêpes s’était fait piqué par une bête sur le front. Il s’est mis à suffoquer, et ce fut une autre asthmatique qui lui administra deux bouffées de Ventoline de sa propre bombe, il n’avait pas la sienne… L’homme s’est rétabli assez vite. Heureusement qu’il y avait la pétanque pour nous distraire après le repas. Le pauvre, ainsi il a pu oublier l’incident.

J’espère bien, Fernando, que les bons moments de ta vie avant étaient meilleurs qu’un dimanche de pique-nique au bord de la Clarée. Aussi belle que soit la vallée chère à Emilie Carles, la femme des Hautes-Alpes la plus célèbre du vingtième Siècle. Elle avait mené campagne contre la construction d’une autoroute. Et elle avait gagné. Val-des-Prés, sa commune, est devenu un site historique, donc plus de vilaine route alentour le défigurant…



L’Indienne



Elle venait d’une île de l’Océan Indien. Mariée à un compatriote, elle vivait en France depuis l’université. Elle avait trois enfants dont l’avenir était tout tracé selon elle. Ils feraient des études supérieures comme leurs parents, c’était l’évidence même. Elle en tirait fierté, mais c’était tout à son honneur, ma foi.
Ils étaient chanceux, immigrés certes, mais ils avaient une situation de privilégiés dans le paramédical. Pourtant l’aisance ce n’est pas tout, elle n’empêche pas le malheur... Ils avaient fait un voyage en Inde, le berceau de leurs origines, deux ans auparavant. Ils allèrent, un jour, dans un village laminé par la misère. Un homme cracha sur leur passage, pas en signe de mépris, simplement parce que le besoin l’y obligeait comme à tant de malades des poumons et des bronches. Des particules dans l’air du crachat l’ont certainement touchée, supposait-elle, et c’est ainsi qu’elle revint en France avec la tuberculose au corps.
Une fatigue anormale et des accès de fièvre furent ses premiers symptômes. Et le rituel des soins à l’hôpital et des antibiotiques s’ensuivit. C’est ainsi qu’elle vint à La Guisane en convalescence. Elle n’était plus contagieuse. Je l’ai fréquentée assez près, puisqu’elle était dans la chambre d’à côté et que nous nous parlions souvent, et je peux confirmer que je n’ai pas contracté la maladie à son contact.
Elle m’a raconté sa vie, ses études de langues, comment et où elle connut son mari, son pays, sa religion, un Islam propre aux Indiens. Elle avait la photo d’un Imam sur sa table de nuit à hauteur de son oreiller. Elle suivait à la lettre des prières à certaines heures du jour. Ce fut sa volonté de porter le voile, pas de son mari mais il accepta... Un voile encadrant son visage et recouvrant en partie une longue robe de la même étoffe, bien sûr descendant jusqu’aux pieds.
Toute dévote, elle n’était pas moins curieuse des autres et posait tout un tas de questions sur nous, Français, chrétiens et autres, sur nos mœurs etc.
Bien sûr son mari lui avait fait la cour avant de l’épouser. Ils s’étaient choisis. Ce n’était pas un mariage arrangé par leurs familles. Mais elle avait des lacunes sur les relations amoureuses. Elle n’avait pas connu les flirts d’une jeune fille occidentale avant de se stabiliser dans la vie de couple. Elle ignorait même ce que c’était que draguer. Et, sa curiosité culturelle prévalant, elle voulut savoir comment cela se faisait.
Il y avait un infirmier plutôt pas mal, genre sportif. Il lui plaisait bien, et je crois qu’elle ne lui était pas indifférente non plus. Un jour, je lui ai montré un peu la manière à suivre. J’étais dans sa chambre à l’heure où il venait relever sa température. Je lui ai parlé devant elle, pas vraiment en le draguant mais presque. Elle en était éblouie, tout sourire…
Malgré tout, elle ne supportait pas de rester là, elle voulait retourner auprès de sa petite famille qui était pourtant venue la voir deux longs week-ends. C’est ce qu’elle fit. Elle écourta son séjour prenant le risque de ralentir sa guérison bien entamée. Depuis je n’ai plus eu de ses nouvelles malgré l’échange de nos coordonnées.
Je crois, au fond, qu’elle ne s’adapta jamais à nous. Son ambition était de vivre en Inde. Est-ce peut-être ce qu’elle finit par faire un jour ?...

L’as-tu vue dans son costume pastel déambuler dans le couloir, Fernando, s’appuyant par moments aux murs, éreintée ?




La bibliothèque



Comme la plupart des maisons médicales, La Guisane avait son centre de loisirs ou d’animations, en l’occurrence une bibliothèque.
Outre les rayonnages de livres habituels dont je profitais bien, elle possédait des tables de lecture certes, mais aussi de jeux selon l’heure, et une télévision avec un lecteur de vidéos pour le film loué du vendredi soir. Un peu dérangeant le regarder quand des joueurs de belote se crient dessus ou rient derrière soi, mais on se fait à tout…
Je jouais de temps en temps au rami. Je dois dire qu’ainsi je me suis fait des connaissances assez facilement. C’est sympa le rami, on triche, on exulte mais ça fait surtout bien passer le temps dans un milieu hospitalier. C’est un jeu individuel où on ne se fait pas prendre la tête par un partenaire mauvais perdant. Il n’y avait pas que les cartes là-bas, bien sûr on jouait aussi au Scrabble. Cela dit, je préfère les passe-temps des revues où on peut se tromper sans étaler son ignorance devant les autres. Mots mêlés, codés, fléchés… On prend son temps, et libre à soi de recommencer si on les fait au crayon. Il suffit de gommer !
Dans des pièces adjacentes se déroulaient des séances de moulage, de peinture, de macramé etc. J’en faisais aussi, mais pas trop. Cela bourre pas mal les bagages du retour, ces souvenirs. Et puis, dans un vingt mètres carrés, ça prend une place importante, et on finit par les jeter nos jolies œuvres dont on était si fière après leur réalisation, à moins de les donner…
En tout cas, tout cela c’est bien utile aux malades malgré tout, ça fait oublier la déprime si on l’a et les souffrances.
Cela me ramène à toi, Fernando, et à tous les autres qui, comme toi, ne quittaient jamais ou si peu leurs chambres. Comment faisiez-vous pour supporter la solitude ? Est-ce que la douleur vous empêchait d’y penser et les soins aussi ? C’est si absorbant souffrir, mais, quand ça se calme, l’ennui revient à la charge inévitablement… Heureusement que vous receviez des visites. Toi, je ne t’en ai jamais vues autant que je m’en souvienne. Mais j’espère bien que cela t’arrivait de voir des gens qui t’étaient chers, mon ami. Moi, je n’en recevais pas, mais je n’étais là que provisoirement, le temps d’un été.
Et puis, j’avais mes occupations à la bibliothèque, la lecture, le bal… Et mes sorties dans la montagne et en ville. Tandis que toi…




La guitare contre le mur



Ce fut un vendredi après-midi de la mi-août.
Je me souviens, il ne faisait pas beau, chose rare pour l’époque.
J’aurais pu m’en abstenir à cause du temps, mais quelque chose me poussait à le faire, un certain malaise dû aux alarmes qui sonnaient depuis midi. Instinctivement, je me disais qu’il fallait quitter les lieux sans savoir pourquoi.
Ta voisine, celle des cigarettes, était aussi allée en ville pour te rapporter un paquet de Camel ou de Gauloises, je ne sais plus lesquelles…
Je n’avais pas grand-chose à acheter, mais je partis quand même pour le Centre Commercial. J’aimais bien. Il y avait des boutiques de mode très branchées. Mais je ne faisais qu’admirer les modèles en devanture et me morfondre de ma taille trop grande… Je me défoulais sur d’autres produits, papeterie, souvenirs pour le cas où je me décidais d’en offrir aux gens de chez moi, mais ce n’était pas trop mon truc. Je préférais leur ramener une spécialité gourmande comme de bons petits gâteaux du Queyras dont j’ai oublié le nom.
Parfois je m’attablais à déguster une glace délicieuse à la menthe et au chocolat à une terrasse intérieure du Centre Commercial. Et je m’adonnais bien entendu à mon activité favorite, regarder les gens qui passent, ceux sortant des magasins ou ceux poussant un caddie rempli des courses de la semaine du supermarché attenant.
Il y avait un salon de coiffure où j’allais au moins une fois durant le séjour. Peut-être était-ce là où je me rendais ce jour-là, je ne m’en souviens plus. C’est tout moi ça, aller chez le coiffeur quand il pleut. De quoi, bien évidemment, me décoiffer sur le chemin du retour et tout devoir recommencer chez moi. Mais la coupe rafraîchie et la couleur, ça, ça reste !

Je suis revenue à La Guisane vers 17 heures. Mon malaise m’avait reprise en arrivant. Cela s’accrut en passant devant ta chambre grande ouverte. (Cette fois, ce n’était pas moi qui avais ouvert la porte…). J’ai vu subrepticement tes grands pieds sous tes draps, je détournai mon regard aussitôt, gênée.
Arrivée à « Izard », je me réfugiai sur la terrasse avec toujours ce sentiment bizarre, comme si quelque chose de triste venait de se produire. Je vis la femme aux cheveux si épais qui ne donnaient pas l’impression, qu’il n’y avait pas si longtemps, elle ne les avait pas. Cela laissait de l’espoir pour le cas où, un jour…
Ce fut quand elle me dit tout. En rentrant des courses, elle était passée devant ta porte-fenêtre fermée. Elle vit ton teint livide, cireux, tu ne semblais pas respirer. Elle comprit. Elle avait entendu les coups de sonnette, tes signaux vitaux s’affoler avant de s’en aller. Je ne savais pas moi que c’était toi… De te voir comme cela immobile, ne répondant pas à ses coups frappés aux carreaux pour rentrer te donner ton paquet de cigarettes attendu, elle est allée voir les infirmières. C’est là qu’elle apprit la terrible nouvelle. Tu venais de t’éteindre, Fernando. Le sida t’avait vaincu.
Il te restait pourtant bien des années à vivre avant la vieillesse que tout individu est sensé atteindre… Ce n’est vraiment pas juste de partir sans avoir fait toute sa vie. Cela arrive à plus jeune aussi, à moi presque, à trois ans, quand j’ai eu ma polio. Mais heureusement je suis encore là, peut-être pour pas grand-chose mais j’ai toujours un avenir en vue. Toi, plus rien. Toute chose à bâtir, dans la vie, s’était écartée de tes mains inexorablement. C’est si dommage !

Je n’ai pas réagi tout de suite. Je suis sortie devant l’entrée, histoire de prendre l’air. Cet air sain que tu ne sentais plus… En poussant la porte du service, à mon retour, je t’ai vu passer dans ton lit. On te rentrait dans l’ascenseur pour un lieu que je n’osais pas prononcer…
La porte de « Névache » était toujours ouverte. Tes affaires rangées étaient contre un mur. Parmi elles, une guitare solitaire me faisait face. Je ne te savais pas musicien. Tu n’avais plus la force sans doute de jouer, c’est pour cela que je ne t’entendais pas la gratter, mais elle était là avec toi, ta guitare. Une autre compagne plus belle et durable qu’une Camel ou une Gauloise allumée…
Je suis rentrée dans ma chambre et j’ai enfin pleuré.
Tu sais, les infirmières et les aides-soignantes aussi pleuraient. On t’aimait bien là-bas, Fernando. Je sais, les sentiments ne redonnent pas la vie ni ne remplacent cette personne qui aurait dû partager la tienne avec toi, si cet horrible et odieux mal ne t’avait frappé, du moins je l’imagine…
J’étais pourtant étonnée de la démonstration des larmes d’une aide-soignante. Elle était venue dans la soirée, à la fin de son service, dans la chambre de l’Indienne où on parlait de ta disparition, qui tu étais ou nous paraissais être. Il faut dire qu’elle avait également un parent en fin de vie dans l’autre chambre à côté de moi, raison de plus pour qu’elle éprouvât tant de peine par ta perte. Il décéda mais ailleurs, dans un autre hôpital, quelques semaines plus tard. Comme je souffrais de l’entendre gémir la nuit, lui aussi...

Paix à ton âme où qu’elle soit allée. Elle doit bien se trouver dans le cœur des gens connus et aimés de toi, mon ami Fernando !




L’année suivante, je suis retournée à l’ancien établissement. J’ai aussi vu passer un mort sur une civière, mais il m’était inconnu… J’y suis allée encore d’autres étés, mais je n’y vais plus maintenant. La Sécurité Sociale impose des conditions sévères aux séjours dans les maisons médicales. Ne peuvent se rendre, en règle générale, dans les centres de cure, que les habitants de la région où ils se trouvent. Il n’y en a pas près de Paris pour les asthmatiques. C’est l’air pur des montagnes qu’il leur faut pourtant, mais ils ont leur bonne vieille Ventoline et un ventilateur pour alléger les chaudes journées et nuits d’été…

#2 Marygrange

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Posted 11 April 2006 - 12:21 PM

-effacé : doublon

#3 Félice

Félice

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Posted 11 April 2006 - 12:23 PM

oh mince, c'est hyper long !

Bon je reviens le lire ce soir... quand j'aurai plus de temps. J'ai envie de savourer.

A toute.

Félice.

#4 Sebastian1980

Sebastian1980

    Sebastian1980

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Posted 11 April 2006 - 01:46 PM

A moi perso ce sont des Gauloises blondes (j'en profite bientôt je pourrais même plus
fumer dans mon bistrot...)

#5 .ds.

.ds.

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Posted 11 April 2006 - 06:09 PM

Je fais un copier/coller Béa, et je reviendrai. Mais aux premières lignes, çà m'a l'air d'être passionnant. T'a vu, c'est chouette maintenant on peut poster des nouvelles ?

Bisous

#6 Marygrange

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Posted 11 April 2006 - 08:32 PM

Tout d'abord, merci au modérateur d'avoir supprimé les doublons sous ma demande. C'était dû à un bug...

Félice, prends ton temps, et lis au fur et à mesure, partie après partie si tu veux... wink.gif

Sébastian, il y a des fumeurs qui vivent longtemps, tu sais. Des presque centenaires, ou plus...
Dommage pour les interdits, mais c'est encore possible dans la rue, non ? Et chez toi, j'imagine...

Tu tiens un bistrot ? J'veux bien un p'tit noir... Quoiqu'à cette heure du soir, c'est peut-être pas très recommandé pour le sommeil wink.gif

Nath, on poste des nouvelles ou des petites proses sans trop savoir si c'est permis ou pas. Je crois que du moment que c'est à teneur littéraire, fictions, récits etc., c'est possible, non ? Il n'y a pas de salon pour sinon... Bisous à toi !

Amitiés à tous,
Béa

#7 Marygrange

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Posted 14 April 2006 - 06:45 PM

J'ai changé le titre pensant que c'est mieux... Pardon pour la remonte wink.gif

#8 le hamster

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Posted 14 April 2006 - 09:40 PM

Elle est superbe cette nouvelle, Béa, je viens de la lire de bout en bout.

C'est un vibrant hommage à cet inconnu, et à ton humanité, celle qui fait que tu es toi.
Le ton est bon, naturel, il te ressemble aussi. La sincérité est la meilleure chance pour la réussite d'un écrit, et là, je dois dire que c'est efficace.

On sent toujours un parfum de nostalgie dans tes écrits, peut-être la nostalgie de la vie, celle qui nous habite en permanence quand on l'aime tant...

J'ai aussi des souvenirs plein la tête, des gens comme ça dont je ne sais pas comment ils ont fini, mais auxquels on s'attache le temps qu'on les cottoie, en tant que soignant.

Comme moi tu aimes regarder les gens, plus que les choses, et t'interroger sur eux ; il n'y a pas de hasard dans nos destinées...


Continue à écrire...


Grosses bises émues, grande soeur.

Christophe

P.S. : et arrête de te poser des questions, de t'excuser, de demander pardon sans cesse... Ne laisse pas ta modestie t'empêcher de vivre. cool.gif

#9 Marygrange

Marygrange

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Posted 15 April 2006 - 09:07 PM

Tu es soignant, Christophe ? Tu connais donc l'autre vision de ces choses-là... Ton commentaire m'encourage à continuer un peu sur cette voie. J'ai envie, en effet, de continuer à écrire ces souvenirs briançonnais... Merci beaucoup !

Si je demande pardon, c'est pour la remonte. Ce n'est pas des plus corrects, je crois... C'est par politesse que je le dis, c'est tout. Merci de comprendre...

Bises, petit frère wink.gif
Béa

#10 le hamster

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Posted 21 April 2006 - 11:01 AM

J'ai été, dans une autre vie...

Cette vision-là n'était pas reluisante, mais elle apprend à grandir. J'ai fui ce monde-là, dès que j'ai pu.
On en garde quelques souvenirs poignants, de cette époque où l'on avait une vision toute neuve des choses et encore de l'humanité.

J'écrirai peut-être aussi, un jour, sur ce sujet (ce sont des souvenirs qui restent toute la vie, et il n'est pas impossible qu'ils remontent à la surface, à la fin, avec encore plus d'acuité...)

Je connais le prix de la vie et combien elle est fragile. Dans la quatrième décennie je me dis que j'ai une chance immense d'y être, et ce n'est pas ni banal ni "normal".
Raison de plus pour écrire, pour faire ce qu'on a envie de faire et ce qu'on doit faire, pour ne pas s'en priver...

J'aime la beauté des choses et de la vie telle que tu sais la décrire.
Tu as raison de continuer. Continue dans cette voie-là, tu y es brillante. wink.gif


Amicalement

Christophe

#11 Marygrange

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Posted 21 April 2006 - 08:07 PM

Citation
Je connais le prix de la vie et combien elle est fragile. Dans la quatrième décennie je me dis que j'ai une chance immense d'y être, et ce n'est pas ni banal ni "normal".
Raison de plus pour écrire, pour faire ce qu'on a envie de faire et ce qu'on doit faire, pour ne pas s'en priver...


J'ai le même sentiment, Christophe. J'écris dans la même optique, et c'est un besoin assez fort en moi... Merci pour tes encouragements !

Je vais mettre la suite de ces souvenirs de cure, et je crains bien qu'il y en ait d'autres. Me plairaît bien un petit recueil... wink.gif


Amitiés,
Béa

#12 Pascale

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Posted 21 April 2006 - 08:20 PM

Ben à lire les com, et le début il faut que j'y revienne, j'ai aimé ce que j'ai lu... Et je remonte !!!!
tongue.gif
A te lire avec plus de temps Béa !
Pascale

#13 Marygrange

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Posted 23 April 2006 - 07:45 PM

Merci Pascale ! Prends ton temps. Puis il est aussi sur mon blog... La suite est là aussi et d'autres en prépa... wink.gif

Amitiés,
Béa




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