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Balade Au Mâtin


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#1 Olivannecy

Olivannecy

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  • TLPsien
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Posted 29 January 2006 - 12:22 PM

1 - Il n’avait dit à personne ce qu’il avait vu ce soir là, devant le moulin…
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Pourtant, ce n’est pas avare d’efforts que maintenant il s’en souvient.

Au vent chaud de cette fin d’été, brise de senteurs boisées, répond d’un élan grincheux et régulier, le souffle des pales du moulin. Encore une soirée douce à l’horizon irisé par la capitulation du jour face à l’arche des heures éventées.

Comme à son habitude, l’homme s’arrête ici, face à ce vieil outil qui ne moudra plus de blé. Bâtiment filaire, tout de pierres taillées, qui se réjouissait jadis des chants de son meunier. Temps révolus des saisons enchanteresses, culte de la terre échu, fin des raisons de liesses où l’évolution a vaincu pour que le grain progresse.

Lui, descendant au bord du champ fleuri qui n’a d’égale profondeur que la hauteur de son vis à vis, armé de son chien, il s’enfonce dans les taillis. Avec son corniaud, il ne craint ni les rencontres, ni les bruits qui, croisant son chemin, pourraient causer ennuis.

La faune et la flore sont foison par ici et de collets en pièges garnis, il fait sa tournée de contrôle pour si peu de récolte. Sa gibecière reste sèche depuis des jours, comme si la nature revêche se plaisait à le narguer.

Braconnier lui diriez-vous ?
Non. Il met à sa disposition ce que dame nature lui propose sans onction.

Il n’y a rien de bien malin ici pour l’empêcher de profaner ces sous-bois épanchés vers cette route ravinée, face à ce monument fier. Peu sont ceux qui le soir y errent, par peur de croiser quelques esprits divers dont les légendes sont gourmandes. Comme peu de verbalisateurs s’attardent dans ces nuits, il peut donc s’enquérir serein, sans récolter d’amendes.

Aux cimes des arbres s’accroche un ciel d’un bleu sombre éclaté, de ceux dont les étoiles se laissent bercer. Il s’enfonce plus que de coutume, l’heure semble l’oublier, il ne voit pas son chien en pâleur se muer, regardant derrière lui la limite familière s’estomper.

Clignant des yeux, sur ses pattes frêles, il serre au mieux l’homme, de fourrés en parcelles. Des craquements étranges l’entourent. Les arbres chuintent d’un bruissement sourd, çà et là des mouvements aveugles le guettent.
Vivement que son maître sonne la retraite. Il fait meilleur au salon qu'ici dont les refrains opèrent une perdition pour ses sens aux aguets.

Cette fois, rien à ramasser. Tout est propre comme si ses appâts venaient d’être posés… Etrange sensation que ces dernières tournées. Es-ce donc la pollution qui fait fuir son gibier, ou sa quotidienne procession ?
Qu’importe, on ne peut pas toujours gagner.

Rebroussant chemin, son chien heureux du retour prend soin d’assurer le pas. La nuit avance d’une aura bleue cuivrée que l’animal n’aime guère, loin du confort de son canapé. Environnement douillet, pratique à surveiller, son maître, sa bière et sa télé.

Les parfums chauds et moites de cette fin de livrée les enveloppent moelleusement. Libérant des étincelles en lucioles chamarrées, le soir en ces bois sème des lueurs frivoles que la terre laisse hâler.

Ils débouchent dans une frêle obscurité, face à la balance du roulis régulier des lames du moulin fauchant le temps d’un allant cadencé, happant le vent pour mieux s’élancer.

Ils s’arrêtent net tous deux au bord du chemin, les yeux écarquillés pour mieux rompre la perte d’azur. Regardant face à eux, sous la lueur d’un néon grésillant, seul point lumineux dans cet espace ambiant, l’emplacement silencieux amplifiant le mouvement.

Et là : RIEN ! ! !


Pourtant, ils l’avaient raté de peu, le bus…


2 – Le repos veille aux grains



Que faire maintenant ? Il n’en sait rien. Sur cette route avec peu de fréquentation, il sera encore ici demain matin. Equipé de son cabot tout en tremblement, il ne se sent pas rentrer à pied de si loin. Une sensation délétère émane du renfoncement derrière le moulin, ne lui donnant pas envie de rester planté là pour sa nuit dévolue.

Saisissant au garrot son vaurien, il décide de traverser enfin.

D’un coup d’épaule, d’un élan bourrin, il force la porte chancelante du dit moulin, afin de trouver un coin pour se poser jusqu’au matin.

Là une odeur de foin faisandé, entassé prés d’un pétrin, le saisit de plein fouet, réveillant en son nez un chatouillement malin.
Usant de son flair, le canin ne fut pas très fier. La poussière du brin le saisissant sans remord, il partit dans un concert d’éternuements de plus en plus fort.

Son maître rabat la porte qu’il cale avec un des parpaings posés à droite de celle-ci.
Il s’avance lentement sous les raies de lumière filtrant à travers les interstices que le temps a creusés dans ce sanctuaire.

Le long du mur, un petit escalier de pierre permet d’accéder au premier niveau de son refuge. Chaque pas pesant est salué par une volute de poussière qui donne à l’atmosphère une vision brouillée à la truffe humide et tachetée de son fidèle pataud qui le suit.

Arrivé à hauteur du palier, il lance un regard circulaire à cette pièce.
Au centre, la meule usée tourne sans rien écraser. Maintenue en position haute par un levier, elle s’ébat dans le vide, émettant un bruit exsangue revenant comme un refrain épuisé, loin de la ronde enchanteresse qu’elle laisse augurer.
Son ombre se projette sur la meule dormante compacte qui n’attend que l’apport du grain pour de nouveau striduler.

Une échelle, posée sur un remblai, permet d’accéder au deuxième étage, aligné face aux engrenages pour en maintenir la forme.

Il somme son chien de rester au pied de l’accès montant. Il prend soin, pas après pas, de s’assurer de la résistance des barreaux qui grincent à chaque poussée.
Arrivant au plateau d’entretien, le plancher gémissant à chaque enjambée, il contemple de haut en bas le mât tournant à côté de son mâtin apeuré.

L’animal se couche de façon empruntée, ne sachant pas très bien s’il doit se laisser aller et s’assoupir sereinement ou rester aux aguets de tous ces petits bruits qui le rendent inquiet. Finalement il s’affaisse doucement dans un grognement plaintif.

L’homme, s’engourdissant de fatigue, trouve deux sacs de grains pour se caler, vérifiant avec soins qu’ils ne soient pas trop percés. Il laisse aller son esprit chagrin, se met à dériver en un espace libéré à une balade inachevée dans ses bois préférés.

3 – Le délire, est-ce en ciel ?


Son sommeil happe ses souvenirs fraîchement échus et lui délivre un refrain résolu
« Ba ! jours là, j’a mouru… »
Frissonnant à entendre sa propre voix, ses forces le laissant sans réaction, il affiche un grimaçant minois et laisse la comptine aller…

Ba ! jours là, j’a mouru…

C’est c’te bô matin,
Dans une ch’tite clairière.
J’balade mon mâtin
Qu’tire sur la lanière.
L’air frais est emprunt
Des senteurs des rosières.
J’prends toujours ce ch’min
Pour garder mes repères.

L’aube s’fraie un brin
D’lumière ent’les arbres.
Ca donne un air d’mystère
Comme un effroi de marbre.
J’lâche mon chien qui flaire
Tous les amoncellements glabres.
Il est tout fou quand j’libère.. ;
Il y pisse partout d’s’tous les arb’.

On avance pépère, tout droit
Pour s’poser dans la lumière
Où s’espacent en cercle de noix
C’tes feuillus, c’tes connifères
Assemblés là, unis com’ mes doigts,
Communion d’frères,
Com’ pour m’cueillir mon chien et moi
Au milieu d’un conceil de guerre.

L’ciel amorcé d’ptits nuages blancs
Se découvre à nos yeux d’réveille.
Nous au milieu d’cézarb’ géants,
On écoute s’nature qui fraye.
L’bourrasque nous a ballotté par le vent
T’fait sortir à s’t’heure de ton sommeil,
Secouant les masses en pleins d’craquements
A n’plus entendre bourdonner l’zabeille.

Moi, j’suis là que j’l’a pas vu venir.
L’Nestor à kèke pas a flairé d’pauv’ bêtes.
Si j’avais’tendu c’te voix qu’pousse à m’enfuir,
J’s’rais pas ici à commenter c’te lettre.
J’m’avais fait bô et tout reluire
Car au marché j’rejoignais Lucette.
La pauv’ doit encore s’languir
A croire qu’jui ai posé l’apin, mazette !

J’tais là à regarder l’chien frémir,
L’nez en l’air, l’yeux hors d’la bête.
La première fois qu’j’lai entendu gémir
A m’en fair’ glacer la tête,
Que j’n’ai même pas vu l’coup v’nir
Tant qu’ma bestiole avait l’air inquiète.
A peine j’leva les yeux, en un soupir
Qu’j’étais réduit en miettes…


Un craquement brusque le fait bondir sur son céans, ses yeux grands ouverts, ses os glacés, élancé par son sang qui tambourine dans ses veines, ses tempes s’emplissant d’un battement sauvage régulé dans un rythme montant.

Il se penche du haut de la plate-forme, fixe son Nestor, le nez pointant le ciel, gémissant à en perdre haleine.
La sensation délétère retraversant son corps. Il lève la tête, mémorisant la poutrelle qui, dans un craquement chaleureux, le percute avant de se faire la belle. Le choc, brisant son équilibre, le pousse au vide sans appel. Son corps, dans une pirouette fébrile, va se payer sa meilleure pelle.
Il n’a qu’un instant la vision de son chien incrédule qui le regarde flotter un moment comme une feuille morte dont le crash abrège son temps, sans espoir de retour.

Il s’affaisse violemment dans le creux de la meule dormante, ses yeux fixant le haut du mât qui livre son roulis régulier. Son regard se portent sur la meule libérée qui le laisse sans voix.

Un hurlement clair résonne, s’échappant du cabot qui fixe le toit béant.

J‘vous dis, j’m’attendais pas à ça.
C’machin m’a tombé sur la tête,
Pas eu l’temps d’l’éviter un brin,
Qu’j’méclate comme un p’tit pois dans l’assiette.


Voilà ce dont Nestor se souvient, et que ce soit devant ou dans le moulin, pour lui c’est pareil.
Quant à moi c’est la dernière interview que je vais faire à la S.P.A.

Bonsoir…

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