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Cinq Sur Cinq


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8 replies to this topic

#1 serioscal

serioscal

    serioscal

  • TLPsien
  • 2,179 posts

Posted 23 September 2006 - 07:49 AM

Je suis parti ce matin les yeux pleins de larmes
de la ville où je suis né. Le jour se levait
A peine levé le jour se dévoilait :
des rues que je connais tellement qu'il me semble souvent que mon corps est en elles
plus que dans mes chairs même.
Des rues dont j'ai rêvé chacune plusieurs fois
au point qu'il me semble parfois que si je ne devais plus jamais revoir ces lieux,
il me suffirait de fermer les yeux pour les retrouver intacts.
Je suis parti. J'ai pris le bus et traversé des villes
que je connais aussi bien que la ville où je suis né. Comme si elles n'étaient qu'une partie de cette ville.
Traversé des cités aux immeubles bizarrement fiers
comme quelqu'un qui est fier de ses plaies et les montre sans pudeur
à ceux qu'il croise qui s'épouvantent
elles savent sans doute ce qu'elles doivent à l'histoire
et que l'histoire leur doit dans l'échelle des souffrances qui modèlent l'histoire.
Je suis parti. Ou l'on m'a emmené plutôt
car ce n'était pas moi. Moi, je n'aurais pas pu.
comme si j'avais dû m'arracher aux bras d'une bien-aimée au coeur d'un délire amoureux.
Il faut que ce soient des ombres qui m'aient pris par les bras,
des ombres irréelles ou serviles de la réalité
qui m'auront pris comme des soldats sans conscience
prennent des prisonniers pour les jeter dans de grands camions où des dizaines de personnes s'entassent déjà.
M'ont arraché la peau, m'ont démembré.
A l'aube.
L'heure
des pires incidents.
Or, je ne savais pas : j'ai longtemps cru
que l'aube était une heure magique.
Farouche l'aube croyais-je n'appartenait à personne.
Personne dans mon idée ne devait la soumettre.
Ce matin en partant l'illusion a tombé.
J'ai compris en sortant, en voyant les arbres plier
les uns pour me dire "Reste", les autres "Reviens"
inutilement et vainement
que l'aube est l'heure des condamnés.
Oh condamné reçois ta chance d'un instant que tu sais le dernier.
Toutes tes perceptions se sont organisées
et tout ce que tu vois porte le poids du souvenir complet,
d'un souvenir qui ne veut pas se séparer de moi
ni de toi. Du souvenir qui a la forme de ta vie
et l'aspect intégral du paysage où tu te noies,
des choses que tu vois.
Prisonnier, condamné, ou toi encore déjà tué,
je vous reçois cinq sur cinq.

#2 Harry

Harry

    .............................

  • Tlpsien+
  • 419 posts

Posted 23 September 2006 - 08:32 AM

J'ai beaucoup aimé.

Quelques réserves :
sur la forme il y a des phrases avec trop de "que",
sur le fond l'élargissement soudain à l'"histoire" :

"elles savent sans doute ce qu'elles doivent à l'histoire
et que l'histoire leur doit dans l'échelle des souffrances qui modèlent l'histoire. "

me parait rompre la progression du texte.


Mais entre-autres passages, j'aime beaucoup celui-là :

"Or, je ne savais pas : j'ai longtemps cru
que l'aube était une heure magique.
Farouche l'aube croyais-je n'appartenait à personne.
Personne dans mon idée ne devait la soumettre.
Ce matin en partant l'illusion a tombé.
J'ai compris en sortant, en voyant les arbres plier
les uns pour me dire "Reste", les autres "Reviens"
inutilement et vainement
que l'aube est l'heure des condamnés."

De même, le glissement vers le ressenti des condamnés passe très bien.

Voilà, je ne suis pas si féru d'analyse littéraire.
Mais comme lecteur, j'ai aimé.

#3 serioscal

serioscal

    serioscal

  • TLPsien
  • 2,179 posts

Posted 23 September 2006 - 12:11 PM

Merci. Derrière ces vues de banlieue le souvenir des mots de Mandelstam et d'Akhmatova charpente le poème. Le glissement vers l'histoire passe mal ? Pour les "que", je serai intransigeant. Ils correspondent aux "échappées" du vers, quelque chose qui cherche à se rattraper, l'impression d'un instant, fugace, qui traverse des séries d'images qui enivrent la conscience, le regard accru, à un instant t. D'où les déséquilibres. J'avoue : je ne suis pas équilibré du tout.

Mais je réfléchis à ta réserve sur le plan historique. C'est quelque chose que je suis assez peu à même de percevoir sans aide extérieure. Comme il est difficile de se départir du regard qu'on a sur son poème : on le lit comme on voudrait que les autres l'entendent.

C'est souvent là une suprême déception. Et c'est peut-être dans la conscience de cette déception que commence l'écriture.

#4 missix

missix

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  • TLPsien
  • 707 posts

Posted 23 September 2006 - 04:38 PM

Citation (serioscal @ Sep 23 2006, 01:11 PM) <{POST_SNAPBACK}>
Comme il est difficile de se départir du regard qu'on a sur son poème : on le lit comme on voudrait que les autres l'entendent.

C'est souvent là une suprême déception. Et c'est peut-être dans la conscience de cette déception que commence l'écriture.


...
Jusqu'au jour où l'on abandonne.
On abandonne la partie, on pose toutes ses cartes, sur leur dos, comme des scarabées attendant l'épuisement final.

Mais, mais, il ne faut jamais désespérer.
Tu vois, moi, il y a 6 mois de cela, j'ai fait une rencontre magique. Une de ces rencontres qui vous réconcilient avec la vie, avec tout. J'ai vécu une merveilleuse rencontre virtuelle avec un homme qui parle une langue que je maîtrise plus ou moins bien. Mais à lire nos échanges, nos sourires, notre complicité de vieux amis, il m'est apparu deux merveilleuses choses : il est possible d'être entendu, et ceci même dans une langue étrangère. Et donc, la magie de l'écrit existe malgré tout, puisqu'il est possible d'entendre un sourire. Cet homme est devenu ma plus belle histoire. Une histoire que je chéris et garde au creux de moi, comme un écrivain protègerait le sujet du thème de son roman à venir. C'est une illusion aigre-douce, et je ne peux lui écrire sans pleurer des souvenirs, des desespoirs passés. Mais le plus doux, c'est que cet homme m'a permis, sans le savoir, de tuer dans l'oeuf toute l'amertume, toutes les aigreurs que toutes mes désillusions, mes déceptions, auraient pu faire naître en moi.

Je crois que c'est dans cette illusion et dans l'espoir que commence l'écriture.

Il m'a fait reprendre la plume, comme on s'envole dans l'espoir. En sachant que tout ce que je lui ai écrit, là, par exemple, il y a peu, ce matin, il le lira, le comprendra, et cette magie là, elle vaut tout l'amour, tout ce que l'on peut rêver, pleurer, ou espérer en vain.

Waow, tes mots et cet ami, quel déclencheur. Cela faisait longtemps. merci

#5 serioscal

serioscal

    serioscal

  • TLPsien
  • 2,179 posts

Posted 23 September 2006 - 07:53 PM

Merci. C'est un compliment qui touche.

#6 uiox

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    .............................

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Posted 24 September 2006 - 02:05 AM

Perfectible mais parfait.

Avec La ville s'endormait de Brel:

Chair de poule.

#7 Eden

Eden

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Posted 24 September 2006 - 09:59 AM

dense, ce texte me parle. certes il serait perfectible mais il ya une touche personnelle qui se dégage qu'on ne doit pas t'enlever, car ce texte est solidaire avant tout.

#8 Gaston Kwizera

Gaston Kwizera

    The Fresh Prince Al Adriano

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Posted 24 September 2006 - 10:20 AM

Citation (serioscal @ Sep 23 2006, 08:49 AM) <{POST_SNAPBACK}>
Traversé des cités aux immeubles bizarrement fiers
comme quelqu'un qui est fier de ses plaies et les montre sans pudeur
à ceux qu'il croise qui s'épouvantent


il y a des passages très forts dans ce texte

#9 serioscal

serioscal

    serioscal

  • TLPsien
  • 2,179 posts

Posted 24 September 2006 - 07:11 PM

Pour vous remercier, je vais me taire.


Citation
Ленинград/Leningrad

Я вернулся в мой город, знакомый до слез,
До прожилок, до детских припухлых желез.

Ты вернулся сюда, так глотай же скорей
Рыбий жир ленинградских речных фонарей,

Узнавай же скорее декабрьский денек,
Где к зловещему дегтю подмешан желток.

Петербург! я еще не хочу умирать!
У тебя телефонов моих номера.

Петербург! У меня еще есть адреса,
По которым найду мертвецов голоса.

Я на лестнице черной живу, и в висок
Ударяет мне вырванный с мясом звонок,

И всю ночь напролет жду гостей дорогих,
Шевеля кандалами цепочек дверных.

Декабрь 1930


Je reviens dans ma ville familière jusqu'aux larmes,
Jusqu'aux vaisseaux sanguins, jusqu'aux ganglions enflés de l'enfant.

Te voilà de retour, avale donc sans tarder
L'huile de foie de morue des réverbères de Léningrad sur les quais.

Reconnais sans tarder cette journée de décembre
Où au goudron funeste se mêle le jaune d'oeuf.

Petersbourg ! Je ne veux pas mourir encor,
De mes téléphones tu gardes les numéros.

Petersbourg ! Je les ai encor les adresses
Pour aller retrouver la voix des morts.

Mon escalier est noir, et dans ma tête,
Arrachée au mur, résonne la sonnette,

Et, toute la nuit durant, j'attends mes hôtes chers,
Agitant à la porte les lourdes chaînes de fer.


Ossip Mandelstam, "Leningrad", décembre 1930.
Trad. Nilita Struve


Notez bien que je rougis de présenter ce modèle de conscience poétique, quoique la traduction ne rende guère la force de frappe du vers de Mandelstam ; je sais pertinemment que, même dans cette version un peu boîteuse et plus que lacunaire, il ridiculise mon poème. Faut-il, pourtant, avoir peur de ses propres failles ?

A mon sens, non. Elles nous irriguent.




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