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DOMINIQUE PICCIOLI (nouvelle : Texte intégral)


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#1 D.GOLL

D.GOLL

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  • TLPsien
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  • Location:Marseille France

Posted 07 October 2005 - 07:57 AM

Cette histoire est une pure fiction.
Les personnages de cette histoire n'existent que dans notre imagination. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne serait que pure coïncidence.

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Comme Napoléon, Dominique Piccioli a quitté la Corse à l'âge de neuf ans. Son père avait réussi le concours d'entrée à la poste et dut partir pour faire un stage à Paris. A cette époque, Dominique n'avait aucune idée de ce que quitter la Corse signifiait.

Il n'oubliera jamais la soirée d'adieux. Toute la famille s'était réunie pour fêter leur départ sur la place de Bastelica. Il y avait la charcuterie préparée par l'oncle Ours-Antoine, le pain que le cousin Jules avait pétri, et le fromage que l'on avait fait à la maison. Pour l'occasion, la cousine Angèle était venue de Cuttoli avec son mari François le Bastiais. Chacun racontait son histoire ou chantait sa chanson. Le temps semblait s'être arrêté dans la douceur du soir d'été dont seule la Corse, son île natale, a le secret.

S'il se souvient de son enfance à Bastelica, il n'a par contre aucun souvenir de la traversée vers le continent ni du voyage en train de Marseille jusqu'à Paris. Bien qu'à l'époque il ne fut qu'un enfant, il a eu beaucoup de mal à s'adapter à la vie parisienne. Il trouvait les gens de la Capitale aussi maussades que le temps qu'il y fait, et en plus, qu'ils n'avaient pas le sens de l'hospitalité. Cependant, Dominique a fini par y prendre des repères, s'y faire des amis, et s'y fabriquer des souvenirs au goût plus ou moins insipide. Aujourd'hui encore, plus d'un demi-siècle plus tard, il s'y sent encore étranger ; son histoire n'est pas à Paris. Une certitude s'est ancrée en lui : c'est en Corse qu'il est né, c'est là qu'il mourra et reposera.

A chaque fois qu'il en a eu l'occasion, il est retourné sur l'île, et à chaque retour, ce fut le même déchirement.
Ces amis le trouvent bon conteur. Ils aiment qu'il leur raconte son enfance à Bastelica et ses différents périples sur l'île de Beauté. A chaque fois, c'est pour tous un instant magique. Dominique voit, dans les yeux de ses amis, le rêve et l'envie d'aller sur l'île. Lui, le temps de son histoire, il est reparti dans son pays.

Ce soir, c'est la fête chez Pierre et Léa. Ils ont réaménagé leur jardin et profitent de la belle saison pour l'inaugurer en faisant une soirée barbecue. Tous les amis sont là, une cinquantaine de personnes en tout. La bonne humeur est au rendez-vous. Dans le jardin de Pierre et Léa, on sabre le champagne et on porte un toast à l'amitié et à la santé de tous. "Pace Salute !, c'est comme ça qu'on dit en Corse, n'est-ce pas Doumé ?" s'exclame l'ami Vincent en lui donnant une tape amicale sur l'épaule. "Dis, ce soir tu nous racontes encore la Corse s'il te plaît ? demande-t-il avec beaucoup d'intérêt. – Ah oui ! approuve l'assemblée, raconte-nous ton île. – De quoi voulez vous que je vous parle ? demande-t-il – Fais-nous faire le tour de l'île, lui répond Pierre en imitant l'accent corse".

Pour que Dominique parle de son île, il ne faut pas le supplier longtemps. Très vite, son visage s'illumine. Il paraît que dans ces moments là, son accent corse se remarque davantage.

Ce soir, lorsque Dominique parle de la ville impériale, de la place du Diamant, des filles qui se promènent le soir sur le cours Napoléon, du port, des pêcheurs, et du marché avec ses belles vendeuses si aguichantes., ces amis ne rêvent pas. Ils chuchotent, pouffent de rire. Habilement, il change de ville et leur parle de Bonifacio, de la ville haute, d'où par beau temps on voit la Sardaigne, des promenades en mer, des grottes marines, de l'ambiance du port. Valérie, une convive basque, compare Bonifacio avec Biarritz. Dans sa voix, il sent comme un défi, une certaine ironie et cela agace un peu Dominique.

Alors, pour changer de registre, il leur parle de la charcuterie que son oncle Ours-Antoine faisait jadis à Bastelica. C'est alors que Léa l'interrompt pour lui dire que, ce matin, elle a vu du figatelli au supermarché et qu'elle a voulu en acheter. Cependant, n'étant pas experte dans la charcuterie corse, elle a préféré ne pas en prendre. A ces mots, toute l'assemblée éclate de rire. Dominique est vexé. Sa fierté corse l'interdit de quitter l'assemblée, mais il en a très envie.

Voyant cela, Pierre, le maître de maison, dit : "Ecoutez, on a assez torturé ce pauvre Dominique comme ça". Puis d'un ton solennel, il dit "Si ce soir nous n'avons pas été bon public, cher Doumé, c'est que nous sommes tous impatients de t'annoncer la nouvelle". Dominique ne comprend pas trop ce qui se passe. Il demande alors des explications, mais tout le monde rit, et personne ne semble vouloir rien dire.

Finalement Pierre se décide : "Ca vous dirait d'aller en Corse avec Doumé ?" demande-t-il à l'assemblée. La réponse est alors immédiate et unanime : "Oh oui ! Tous en Corse avec Doumé, Tous en Corse avec Doumé ! "s'exclament les invités. "Cher Dominique, dit-il d'un ton solennel, tu nous parles si bien de la Corse, que nous avons tous décidé d'y programmer un voyage organisé et nous nous sommes tous cotisés pour t'y inviter". Les amis ont tout prévu. Cependant, l'itinéraire du voyage restera une surprise pour lui. Il le découvrira au fur et à mesure.

Dominique reste interdit. Lorsqu'on lui laisse la parole, il ne peut balbutier qu'un merci.

Dominique ne croira vraiment à ce cadeau que lorsqu'il recevra un courrier de l'agence de voyage l'invitant à venir retirer son billet.
Paris Ajaccio en avion. Dominique n'est jamais allé en Corse par ce moyen de locomotion. Là-bas un guide les conduira et ils visiteront l'île en autocar.

Très tôt il commence à préparer ses affaires, son appareil photo, sa caméra, répertorier les adresses pour envoyer les cartes postales.

Dans le hall d'Orly, le groupe de touristes se retrouve. Pour une fois Dominique n'a rien à dire, rien à raconter. Ses amis l'ont bien eu.. Une heure quarante plus tard, la voix de l'hôtesse dira : "Mesdames et Messieurs, il est 15h25, nous arrivons à l'aéroport de Campo dell'oro, la température extérieure est de vingt-quatre degrés. Nous espérons que vous aurez fait un agréable voyage en notre compagnie et que nous aurons bientôt le plaisir de vous revoir sur nos lignes".

L'avion ne s'est pas encore posé sur le sol ajaccien, que l'on ressent une ambiance particulière. Chaque membre du groupe ressent cette sensation et se laisse bercer par cette certaine douceur de vivre.


Le périple commence par la cité impériale. Durant son enfance Dominique voyait Ajaccio comme la grande ville. La visite débute par une flânerie sur le cours Napoléon. Ici, on prend le temps de vivre. Les magasins ont tous un étal sur le trottoir et personne ne se risque à voler.

Dominique a pour cette ville une affection particulière. C'est elle qui lui ouvre les bras quand il revient en Corse, et la dernière à le saluer quand il s'en va.

Jamais il n'oubliera la première fois qu'il est revenu sur l'île. Dès qu'il a quitté le bateau, il s'est senti aussitôt chez lui. Pourtant, il avait perdu de vue presque toute sa famille et aurait dû se sentir étranger. On aurait dit que la nature reprenait ses droits, et que sa présence sur le sol Ajaccien était une évidence.

Bien que depuis il y soit revenu très souvent, Dominique éprouve à chaque fois le même sentiment. Le débarquement lui procure une vive émotion, et l'embarquement est pour lui un déchirement. A chaque départ il imagine le déchirement pour ceux qui restent. Il a toujours entendu dire que lorsqu'un Corse quittait l'île pour le continent, toute la famille venait l'accompagner au bateau. Malgré la douleur, ils accompagnaient le membre qui partait et agitaient le mouchoir tant qu'ils voyaient le bateau à l'horizon.

Malgré la beauté et l'atmosphère de la ville impériale, les touristes ne sont pas au bout de leurs surprises et leur conteur Corse le sait bien, cependant, il se taira.

L'autocar longe la côte. La mer est séparée de la route par des palmiers. Les voici maintenant dans un quartier résidentiel. Ils descendent à un hôtel en bordure de plage. Juste le temps de s'installer, de poser les bagages, et le voyage continue jusqu'aux îles Sanguinaires.

Dominique s'éloigne discrètement du groupe. Les îles Sanguinaires, il veut les visiter en solitaire. Il prend le chemin qui mène au pied de la tour. Arrivé tout en haut, il regarde l'horizon, et prend une grande respiration. Il savoure un court instant de solitude dans cet environnement sauvage et s'y sent en parfaite harmonie. Dans sa tête, il est quelque part dans le temps, mais certainement pas à aujourd'hui.

Il se voit solitaire, voyageur poète écrivant la vie de marins au long cours et décrivant les voiliers passant près des îles.

A terre, il continue sa balade solitaire autour de la presqu'île. Il s'imagine alors gardien du phare regagnant son poste de travail les jours d'intempéries. Il se voit longeant les falaises surplombant la mer.

"Oh Doumé, que fais-tu ici tout seul ? " s'écrie Pierre. Fini la rêverie, il est grand temps de revenir à aujourd'hui. "Vraiment, continue Pierre, ton île est bien comme tu nous la racontes". Dominique est fier et heureux.
Du coup, il fait une deuxième fois la balade, mais cette fois avec ses amis.

Après la visite, tout le monde a faim. L'hôtel a préparé un buffet corse. Ainsi peuvent-ils goûter les différentes charcuteries dont Dominique avait conté le goût. Le figatelli, la coppa, le lonzo. On a aussi préparé des cannellonis au bruccio. Chacun peut alors découvrir les saveurs, les couleurs et les sensations de plaisir que Dominique leur décrivait avec autant de talent.

Cependant, jamais personne n'avait cru Dominique lorsque celui-ci disait qu'il mangeait le fromage avec des figues. Aussi se sentent-ils presque obligés de goûter au mélange de ses deux aliments.

En ce qui concerne le dessert, celui-ci est composé de fiadones, cannistrellis, beignets à la brousse, et fruits de saison.

La soirée ne se terminera pas très tard car, le lendemain, une autre destination les attend. Dominique ne la connaît pas, et, pour ne pas être pris au dépourvu, cherche des anecdotes à raconter sur chacun des endroits qu'il connaît.


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Quand il verra le car prendre la direction de Carghèse, Dominique ne mettra guère de temps à comprendre l'excursion du jour. Les calanques de Piana sont un lieu dont il n'a jamais parlé. En effet, depuis la mort de Marie-Angèle son épouse, chaque fois qu'il parle de ce lieu, il ne peut s'empêcher de pleurer. Pour ne pas faire voir son émotion, il décide de faire semblant de dormir. Ainsi, il pourra lutter discrètement contre les larmes.

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A son retour du service militaire, il était allé passé ses vacances en Corse, et y avait fait une excursion aux calanques de Piana. Ce jour là, la couleur ocre des falaises vertigineuses qui tombent dans la mer, et les routes sinueuses n'avaient guère retenu son attention. En effet, il préférait regarder du coin de l'œil une jolie brunette au regard noir qui faisait elle aussi l'excursion avec ses parents. De temps à autres, la jeune fille le regardait. A cette époque, une jeune fille ne regardait pas les hommes, n'engageait pas la conversation en premier, et devait se montrer discrète, surtout en compagnie de sa famille.

Avant Porto, les passagers du car s'étaient arrêtés sur une plage pour pique-niquer. Voulant rester seul, Dominique s'était mis à l'écart. De sa besace, il sortit un morceau de pain pour accompagner sa charcuterie et son fromage du pays. A Paris, les produits corses lui manquaient tellement que, chaque fois qu'il était sur l'île, il en consommait plus que raison.

Après la baignade et le repas, la jolie brunette avait décidé de faire une balade sur la plage. Déjà à cette époque, le hasard faisait bien les choses : arrivée à sa hauteur, elle se tordit la cheville, trébucha et tomba. Naturellement, Dominique vint au secours de la demoiselle, la conversation s'engagea, et Dominique termina le repas avec la jeune fille et ses parents. Discrètement, mais souvent, leurs yeux se croisaient, regards furtifs mais oh combien éloquents !

Marie-Angèle, la brunette, était quelqu'un de déterminé. Elle voulut reprendre sa promenade avant que le car ne se dirigeât vers Porto. Elle invita ses parents et son hôte à faire un brin de marche le long de la plage. Les parents refusèrent, mais Dominique accepta volontiers la promenade. Ils longèrent la plage, puis allèrent dans les rochers. Ils s'installèrent quelques instants en face de la mer. Leurs regards se croisèrent à nouveau. Il prit tendrement Marie-Angèle dans ses bras puis l'embrassa fougueusement.

Comme si rien ne s'était passé, ils rejoignirent le groupe. Personne ne saura jamais si c'était encore le hasard qui avait bien fait les choses, ou si les parents de Marie-Angèle, qui avaient compris et s'étaient montrés discrets, mais, dans le car, la maman avait fait en sorte d'échanger sa place avec Dominique et les deux amoureux se retrouvèrent assis l'un à côté de l'autre. Ils continuèrent leur excursion, se parlant courtoisement de choses et d'autres. De temps à autres, ils échangeaient des regards enflammés qui en disaient long.

Sur le chemin du retour, ils passèrent à nouveau par les calanques de Piana. Marie-Angèle confia qu'elle avait une affection particulière pour ce trou en forme de cœur dans la roche ocre au travers duquel on voyait le bleu du ciel. Dominique s'approcha de la belle et lui dit : "Ce cœur symbolise l'amour que j'ai pour toi. Un amour aussi fort qu'un rocher ; Un amour qui peut rejoindre le ciel symbole de l'éternité. Veux-tu m'épouser ?" lui dit-il en lui prenant la main. Marie-Angèle était si émue qu'elle devint rouge. Puis, elle accepta la demande en mariage sans hésiter une seconde.

On peut facilement supposer que ce jour là Vénus et Cupidon s'étaient donnés rendez-vous pour former des couples, et nos deux tourtereaux avait bénéficié de cette entreprise.

Le soir, Dominique resta sur Ajaccio et Marie-Angèle regagna sa maison à Agosta. Ils s'étaient donnés rendez-vous sur la plage de Porticcio. Main dans la main, ils longèrent la plage en admirant les lumières de la baie d'Ajaccio. Lorsque Dominique lui demanda si elle avait parlé à son père, elle répondit qu'elle connaissait un moyen de forcer celui-ci à accepter leur relation. Discuter ne servirait qu'à envenimer les choses.

La mère de Marie-Angèle était plutôt effacée, une femme soumise qui avait donné sa vie pour entretenir sa maison et élever sa fille. Son père était jaloux, possessif, mais il était un brave homme et avait un grand sens du devoir et de l'honneur. Si elle avait présenté un homme à ses parents, Marie-Angèle aurait dû attendre quelques temps pour que des noces en bonne et due forme aient lieu. A l'aube de ses vingt-trois ans, elle n'avait envie ni d'attendre, ni de demander la permission à quiconque pour se marier. Sûre d'elle, sûre de son amour pour Dominique, elle savait que ce soir elle franchirait un grand cap et que, si son plan marchait, elle l'épouserait envers et contre sa famille et tout le poids de la vertu qu'on lui avait inculquée depuis sa plus tendre enfance.
Il était presque minuit, et elle était blottie dans ses bras. La lune se reflétait dans la mer. Marie-Angèle retira ses vêtements et alla se baigner. Elle demanda à son amoureux de venir la rejoindre. La baignade nus et le clair de lune sur cette plage déserte, vu l'heure tardive de la nuit, resteront pour les deux un souvenir impérissable. D'autant qu'à la sortie de l'eau, Marie-Angèle se donna à Dominique et devint femme.

Lorsque les vacances furent terminées, le couple dut se séparer, et la déchirure pour rejoindre le continent fut encore plus douloureuse pour Dominique. Elle était resté à Agosta en attendant d'aller travailler sur Bonifacio, et lui avait rejoint la capitale avec son temps et ses gens gris. Régulièrement, il recevait des nouvelles de sa dulcinée, et répondait rapidement à chacun de ses courriers.

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C'était un soir de novembre. Les premiers froids se faisaient ressentir, la grisaille était au rendez-vous. Seul dans son appartement, Dominique était énervé. Il allait et venait dans tous les sens, sans arriver à faire quoi que ce soit. C'est alors qu'on sonna à la porte. Lorsqu'il ouvrit, il découvrit avec stupeur et joie que c'était la femme qu'il aimait. A la main, elle tenait une immense valise.

Les retrouvailles terminées, elle lui expliqua qu'elle avait quitté la Corse suite à une dispute avec ses parents. En effet, elle leur avait annoncé qu'elle était enceinte, et qu'elle devait se marier au plus tôt. Ses parents ont mal pris la nouvelle, et lui ont demandé de quitter la maison. Elle, toujours aussi fière et déterminée, a quitté sa famille en embrassant tout de même ses parents. "Je quitte la maison puisque vous me le demandez, mais je ne suis pas fâchée. Je vous dirai où je suis, le jour où vous voudrez venir me voir. Ma porte vous sera toujours ouverte". Les parents étaient si surpris d'une telle réponse qu'ils ne répondirent rien et virent leur fille partir avec un grand sentiment de culpabilité.

A Paris, le mariage eut lieu au plus tôt, et dans la plus stricte intimité. Les nouveaux mariés avaient préféré s'offrir un voyage de noces au lieu où leur amour était né plutôt que de faire la fête. Puis, ils y retournèrent à la naissance de chacun de leurs trois enfants ainsi qu'à chaque grand moment de leur vie.

Puis un jour, une longue maladie eut raison de Marie-Angèle. Dominique rangea pieusement tous ses souvenirs, dans la famille PICCIOLI, plus personne ne retourna en ces lieux où naquit leur amour, et on ne prononça plus jamais le nom de ces calanques.

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Il va de soi que Dominique fait semblant de dormir. D'abord, il n'a pas envie de parler, et surtout espère que personne ne lui demandera de prendre la parole et de commenter la visite.

"Ne fais pas semblant de dormir, lui dit son ami Pierre, si ça se trouve tu ne connais pas le lieu où nous allons". Dominique répond qu'il connaît très bien l'endroit en question mais qu'il a un peu mal à la tête. C'est alors que tout le car insiste pour que leur ami Corse prenne la parole.

Dominique doit faire preuve de courage pour cacher l'émotion qu'il a dans la voix. Il trouve tout de même suffisamment de forces pour raconter son mariage et son voyage de noces. Il raconta d'abord le voyage en train entre Paris et Marseille, puis la traversée sous la tempête, puis la panne de voiture à l'arrivée à Ajaccio. Enfin, il leur décrivit les falaises de couleur ocre, le trou en forme de cœur, et surtout la surprise qu'il avait réservée à sa femme : un bijou qu'il lui offrit en gage d'amour au pied du rocher. Quelle fut sa surprise, lorsque Marie-Angèle sortit de son sac à main une petite boîte et lui offrit à son tour un cadeau, la médaille qu'aujourd'hui il porte encore autour du cou.

On ne s'étonnera pas de savoir, qu'arrivés au pied du rocher, tous les touristes du car font une minute de silence en l'honneur de Marie-Angèle et applaudissent Dominique. Enfin, le chauffeur du car, met en l'honneur de la famille PICCIOLI l'hymne Corse. Dominique continue la visite silencieux, avec en mémoire tous ces souvenirs qui lui sont chers et qu'il n'a jamais partagés avec personne.

Le soir, de retour dans leur hôtel aux îles Sanguinaires, un repas gastronomique les attend. Celui-ci ne tarde pas trop, car les voyageurs sont fatigués et ils veulent récupérer pour être en forme lors de l'excursion du lendemain.

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Le repos de la nuit a porté ses fruits. Les touristes sont tous en pleine forme. Après le petit déjeuner, ils partent pour Bastelica. Ce jour là, par discrétion, personne n'a demandé à Dominique de commenter dans la mesure où il s'agissait de visiter le village où il avait passé son enfance.

Pourtant, c'est lui qui demande à prendre la parole. Dominique se souvient de toutes les anecdotes avec précision. Les jeux d'enfants autour de la statue de Sampierro Corso, la couleur du pain du cousin Jules, la charcuterie de l'oncle Ours-Antoine, la cousine Barberine qui habitait à côté de la maison. Barberine avait un âne que l'on avait surnommé "Coco". Ne pouvant renier les siens, bien que très docile, Coco était très têtu. Il fallait user de fines ruses pour pouvoir en obtenir ce que l'on voulait. Bien que l'âne ne lui servait à rien, la cousine Barberine tenait à cet animal, car c'était Nonce, un berger qui lui avait demandé sa main, qui le lui avait offert. La belle histoire d'amour eut une fin tragique, car Nonce périt dans un incendie de forêt avec son troupeau. Barberine ne s'était jamais mariée, et avait gardé l'âne.

Après la visite de Bastelica, le groupe prend la route de Tolla. Le car sillonne le lacet où s'entrecroisent les montagnes. Dominique ferme les yeux. Il s'imagine seul, se promenant sur cette route chevauchant Coco. Très docile, ce dernier avance lentement et, au fur et à mesure que l'âne se dirige vers le lac, Dominique se sent apaisé. Puis, sans que personne ne s'étonne, des ailes poussent sur l'animal qui quitte la route pour retrouver l'eau translucide du lac par la voie des airs. Un coup de sabot sur la surface de l'eau, et les voilà tous les deux partis vers l'horizon.
Dominique se retrouve à Bastelica. La nuit est tombée. Toute sa famille est là. Même si cette soirée ressemble à celle de la veille pour son départ, Dominique ne partira pas demain pour Paris. Il n'est même pas surpris de voir que la cousine Barberine porte maintenant une alliance et parle de Nonce comme de son mari. Le cousin Jules apporte des miches de pains énormes, les victuailles sont abondantes. Il se dirige vers Marie-Angèle. Autour du cou, elle porte un pendentif représentant un cœur bleu ciel serti d'ocre. Elle lui tend un verre de vin, le prenant, son mari lui dit : "Maintenant je suis de retour".

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Le car fait une halte sur un point de vue surplombant le lac de Tolla. Seul Dominique reste assoupi sur son siège. On l'appelle pour le faire descendre, mais ce dernier ne répond pas. Inquiet, le guide s'approche de lui pour voir si tout va bien : "M. PICCIOLI, nous sommes arrivés en haut du lac de Tolla. Voulez-vous venir avec nous pour voir le paysage ?". Il découvre alors le visage à la fois blafard et détendu de Dominique. En tant que bon secouriste, il cherche à le faire réagir, mais sans succès. Dominique ne respire plus, et son cœur ne bat plus.


Bien que l'on eût appelé des secours, c'était trop tard. Le défunt fut déposé au funérarium de l'hôpital d'Ajaccio. Ses enfants arrivèrent dans la soirée.

Malgré leur douleur, ils respectèrent la volonté de leur père, à savoir être incinéré et que les cendres soient jetées dans les calanques de Piana.

Est-il vraiment nécessaire de s'attrister sur une fin de vie lorsque celle-ci se passe sans souffrance, entouré de ses amis, et que l'on part rejoindre ceux que l'on a aimés.

Dominique est né et mort sur l'île qui était chère à son cœur. Tous ses amis ont pu assister à la cérémonie et lui rendre un dernier hommage. Ils sont rentrés à Paris tristes mais sereins. Ils ne pourront plus jamais évoquer la Corse sans avoir une pensée pour Dominique PICCIOLI.

#2 roseaupensant

roseaupensant

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  • TLPsien
  • 953 posts

Posted 07 October 2005 - 04:15 PM

Enfin j'ai lu la suite de cet émouvant conte.

Daudet n'est pas trés loin ni Prosper Mérimé.
Mais le tien cher DGOLL est authenticité.
Merci,

Permets que je l'imprime ?

Bravo !

amtiés.

:-))

#3 D.GOLL

D.GOLL

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  • TLPsien
  • 1,406 posts
  • Location:Marseille France

Posted 07 October 2005 - 08:53 PM

Merci beaucoup roseaupensant, avec grand plaisir je te donne la permission, c'est un honneur pour moi

Amicalement

D. GOLL

#4 Marygrange

Marygrange

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  • TLPsien
  • 6,796 posts
  • Location:Paris, France

Posted 08 October 2005 - 07:04 PM

Une bien belle histoire toute émouvante et qui me donne bien envie d'aller dans cette région des Calanques de Piana pour voir ce coeur ouvert dans la roche... :wink:


A Roseaupensant, je dirais que mieux vaudrait qu'il fasse un copier/coller du texte car il n'y a plus la fonction "version imprimable" et, s'agissant d'un texte en prose il risquerait de se retrouver avec des lignes incomplètes en imprimant normalement.... Et puis il dépenserait pour rien son encre en imprimant en même temps le reste de la page dont la paire de seins du haut...


Bises à toi Denis,
Béa

#5 roseaupensant

roseaupensant

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  • TLPsien
  • 953 posts

Posted 08 October 2005 - 09:51 PM

A Marygrange :

Merci pour le tuyau je vais suivre ton conseil.


:-))




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