
Maureillas
#1
Posted 22 July 2006 - 01:45 PM
Une chambre où passent et repassent des blouses blanches.
Une chambre où l'on vient de temps en temps s'occuper de la
14 B. La 14 B est en train de mourir. La 14 B c'est ma grand- mère. Elle dort là. On pourrait croire qu'elle se repose. Mais non, elle ne se repose pas. Elle souffre. Elle s'étouffe.
Je vois sa bouche qui s'entrouvre maladroitement à la recherche de l'air. Je sens quelquefois sa main qui serre la mienne. Puis elle entrouvre ses yeux.
Elle me regarde alors. Son regard est devenu vitreux.
C'est comme si un fantôme regardait à travers ses yeux.
C'est Louise mémé. Elle murmure quelques mots.
Je lui souris. Je fais mine d'avoir compris.
Son regard se referme. La fenêtre a du mal à contenir la vie.
La fenêtre ne laisse plus passer que quelques soupirs, que quelques instants de légers passages.
Je reste là, à côté d'elle. Je n'ose plus la regarder.
La regarder me fait si mal. Je sais bien que ma douleur est égoïste. Si je pleure c'est parce que j'ai mal pour moi.
Je ne veux pas qu'elle me laisse. Je ne veux pas qu'elle s'en aille. J'ai si peur du vide qu'elle va créer.
Et pourtant, il faut la laisser partir. Il faut la laisser s'en aller. Dans cet espace hors de moi que je ne connais pas.
Dans ce monde, où je ne la reverrais plus jamais.
En moi, je lui ouvre un passage vers mon jardin secret.
Cet endroit au fond du coeur où chaque belle chose ne meure jamais. Où il suffit de penser à un moment de bonheur pour oublier ce que je vis en ce moment.
Ne retenir que ces instants là, où elle a su devenir une des plus belles femmes de ma vie.
Elle se bat là, depuis quelques jours. Elle se bat si fort.
Elle aurait du mourir plusieurs fois déjà.
Elle a attendu que tous ses enfants soient là.
Hier matin encore, elle nous a demandé ce qu'elle allait faire maintenant. "Te reposer mémé".
Sa réponse. Sa dernière phrase. Les derniers mots que je garderais d'elle. "Alors je me rattraperai après".
Elle est morte ce matin. On l'enterre demain. Dans son village à côté de mon grand père et de ces deux enfants morts trop jeunes. Elle va retrouver les siens. Ceux qui l'attendent depuis si longtemps. Nous, on l'emmènera en pleurant vers eux. On la laissera partir. On lui fera un beau passage vers cet autre monde. Maureillas se meurt pourtant.
Maureillas ne sera plus jamais le village de mon enfance.
Maureillas sans elle n'est plus qu'un village sans âme.
Je ne veux plus aller vers Maureillas.
Je ne veux plus voir sa maison qui se perdra dans la succession. Je ne veux pas voir d'autres vies, d'autres sourires. Eux ne sauront jamais qui était cette femme merveilleuse. Elle était ma grand-mère.
Sa lumière sur la terre s'est éteinte. Et moi, moi, je pleure dans un cyber café.
#2
Posted 22 July 2006 - 02:17 PM
Je voudrais juste te dire quand même, que tu as dans ton coeur un trésor, infiniment précieux, que t'a légué ta grand mère: c'est le souvenir de son amour.
C'est le souvenir des moments merveilleux que tu as passé avec elle, tout ce qu'elle t'a transmis, les valeurs de la vie qui étaient les siennes. Des valeurs de femme, fragile et forte, généreuse et aimante.
Je ne l'ai pas connue, ta grand mère, mais la manière dont tu en parles me la fait voir comme si je l'avais devant moi.
Personne ne pourra jamais t'enlever ce trésor, tu le garderas toujours dans ton coeur, il t'éclairera pour les moments difficiles.
Et, un jour, ce trésor, toi aussi tu le légueras. A tes petits enfants tu le transmettras, et la chaine ne sera pas rompue, au fil des générations.
c'est tout ce que je te souhaite.
Amitié
Artemisia
#3
Posted 22 July 2006 - 04:45 PM
Oui. Il est des rencontres comme de grands trésors. Une chance inestimable de croiser la route d'une personne riche et exceptionnelle. Une personne qui nous touche au point de changer la nature profonde d'un être. D'en dévier sa course. D'en illuminer l'existence. De lui offrir espoir et force. Force si puissante contre les aléas de la vie.
C'est si rare. Si rare d'en rencontrer.
J'ai eu cette chance là. Je suis riche d'elle. Je suis pauvre aussi. Maintenant je vis à nouveau avec les génies du passé qui rassasie mes soifs d'émotions. Les génies littéraires. Les génies des notes et des couleurs.
Génies coincés dans une fenêtre du passé. Dans un lecteur mp3. Dans un écrin de plastique au musée. Dans un livre soldé parce que les autres ne comprennent pas. Ne comprennent pas que l'essence de la vie est là. Dans cet amour de l'art.
Mes doigts tendrement ouvrant ce chemin infini.
Au plaisir de te relire.
génies du passé qui rassasient.
Désolée cette fichue manie d'écrire tout d'un bloc sans me relire.
#4
Posted 22 July 2006 - 08:07 PM
Je ne veux pas passer à côté de quelque chose de rare.
Amitié
Artemisia
#5
Posted 22 July 2006 - 08:18 PM
#6
Posted 22 July 2006 - 08:27 PM
Je ne veux pas passer à côté de quelque chose de rare.
Amitié
Artemisia
Touchée. Je suis très touchée Artemisia. Je sais ce que sont les attaques incéssantes, coup de poing armés dans le vide mais qui provoquent toujours l'onde, le bruit sourd d'un choc invisible. Ces gens là cherchent à provoquer la cassure d'une joie enfantine. Ce petit quelque chose de puéril. Quand on est touchée, rien n'est plus pareil. Les autres apparaissent. Et les voir destabilise. Mais heureusement et peut etre cela vient de mon incroyable optimisme, cela marche dans l'autre sens. Et là, l'onde devient merveilleuse.
#7
Posted 22 July 2006 - 08:43 PM
Zut alors. Moi qui croyait que la poésie était une affaire technique. Je n'ai pas de coeur, merde ! Je n'écrirai jamais de poésie ?
#8
Posted 22 July 2006 - 09:12 PM
Zut alors. Moi qui croyait que la poésie était une affaire technique. Je n'ai pas de coeur, merde ! Je n'écrirai jamais de poésie ?
Au fait, je t'ai trouvé très bien dans la cité des enfants perdus.
#9
Posted 22 July 2006 - 09:30 PM
#10
Posted 22 July 2006 - 09:40 PM
Tu as des actions dans ton slip ? Tu te rends bien compte que devant derrière ce n'est que stérélité ?
#11
Posted 22 July 2006 - 09:46 PM
#12
Posted 22 July 2006 - 09:47 PM
#13
Posted 22 July 2006 - 09:50 PM
#14
Posted 22 July 2006 - 09:53 PM
Bon sinon ? Tu as pas un texte ? Parce que là c'est un hommage à ma grand mère et une pensée pour une amie qui vient de perdre son père et les mots assassins ça le fait quand meme moyen.
#15
Posted 22 July 2006 - 10:01 PM
Non, je n'ai pas de texte. Je suis TOTALEMENT impuissant.
#16
Posted 23 July 2006 - 09:17 AM
#17
Posted 23 July 2006 - 09:22 AM
Moi, au moins, je connais une psychologue qui sait faire preuve d'humanité face aux monstres. J'ai toujours su que les bons sentiments cachaient la plus criminelle des inhumanités. Ah ! Combien de gentils papas et de jolies mamans, combien de fiancées toutes mignonnes ont envoyé leur fils ou leur fiancé se faire trucider en 1914 avec les meilleurs sentiments ?
Gabriel Chevallier, La peur, Le Passeur, 2002 (1930)
#18
Posted 23 July 2006 - 09:50 AM
Qui fait partie des plus beaux souvenirs de mon enfance.
#19
Posted 25 July 2006 - 01:00 PM
J'aime beaucoup la simplicité, la pureté avec laquelle tu as écrit ; épuré comme avec l'esprit d'un enfant.
Bravo, Miss
#20
Posted 25 July 2006 - 03:47 PM
J'aime beaucoup la simplicité, la pureté avec laquelle tu as écrit ; épuré comme avec l'esprit d'un enfant.
Bravo, Miss
Hum.. Personne n'avait jamais remarqué en lisant ce texte l'esprit de l'enfant. Je suis touchée de ta remarque pertinente.
0 user(s) are reading this topic
0 members, 0 guests, 0 anonymous users