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Rue Du Portail Des Rêves (2)


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#1 INFONTE

INFONTE

    INFONTE

  • TLPsien
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Posted 20 August 2006 - 09:59 AM

Je me suis approché.
Je me suis arrêté face à l'antre, à l'écoute de mon coeur.
J'attendais la chamade. Je ne suis plus un enfant : j'ai souri.
Rien n'avait changé.
Le monde et son temps avaient glissé autour.

La ruelle s'étouffait en ce plain midi, touffu d'une densité de jungle.
Les abords étaient déserts de civilisation.
La ville piaillait au loin, loin derrière la nouvelle rocade.
Comment dire ? J'étais spectateur de mon émotion.
Jusqu'à ce que ...

J'ai entendu leurs voix.
Y avait Max avec sa tignasse blonde et son short toutes saisons, ses mollets de grenouille et ses coups de pieds dans les petits graviers des rigoles. Max râlait à son habitude.
Y avait Serraf' et sa maladie du sommeil, ses paupières mi-closes à l'évêque et sa langue pateuse.
Y avait P'tit Ol à la boucle rebelle et Mavmav secoué de tics, Gilles en manque de graphite, qui machouillait un HB magique, et Ricchi au profil de couteau dans un coeur de fille, et Steno la Boule qui puait de ses pieds malades dans ses godasses, et Laurent Beaugosse que son légionnaire de père tondait sous le poil, grand collectionneur de bêtises réprimandées au tarif.
Ils passaient devant moi.
" Bonjour M'ssieur ", " Bonjour M'ssieur ", " B'jour M'ssieur " " B'jour "
" Eh, eh, les gars, qui qu'c'est çui là ? "
Je n'étais plus là.
Ils ne s'en apercevraient donc pas ?

Les gosses ont avancé prudemment dans la ruelle.
Les herbes folles avaient poussé. Mavmav reniflait en haussant les épaules. Son ombre pantinait sur les murs obscurs.
Max et P'tit Ol avaient cavalé jusqu'à la grande porte au fond de la ruelle.
Les cartables étaient balancés. Un coup se préparait.
Serraf' s'assoupissait contre sa borne, à côté de Ricchi qui surveillait les alentours, au rythme de ses incisives sur ses ongles. Steno et Beaugosse avaient sorti leurs billes.
" Mincedur, Steno, même tes billes puent des pieds ! "
Je les regardais. J'avais les mains dans les poches et je sifflotais.
Max et P'tit Ol se perdaient en conjectures.
" J'te dis que l'autre soir, il est rentré là. Même que j'ai vu la porte se refermer. "
" Rigole pas. Tu crois qu'une sorcière l'a bouffé ? "
Je me sentais bien, en famille.
J'écoutais leurs âneries.
Ils étaient mon cirque, ma piste aux étoiles.
Shakespeare avait raison. Nous, la clique des frangins.
Un petit lézard courait sur le mur au rythme des ratés de son moteur, pat pat tip tap stop, un code en morse saurien.
" Vous m'avez tant manqué, les gars. "

Max et P'tit Ol avaient repris leur cartable.
Ils se penchaient sur la partie de Steno et Beaugosse. Gilles, en pleine crise, s'était assis en tailleur et dessinait un monstre sur un bout d'enveloppe sale.
" T'as raison Beaugosse. Pouah ! Steno, tu pourris des doigts de pieds. "
" M'en fous. J'lui ai piqué ses cristals ; passe que ça vous déconcentre. "
" Et toi ? T'es déconcentré depuis que t'es né alors ? "
" Non, je m'suis habitué, c'est tout. "
Ricchi secouait Serraf'.
" Bon, vous l'avez retrouvé ? "
Sa voix se perchait. Il muait à l'envers.
Les autres ricanèrent.
" Tu vois pas qu'il est là. Il regarde les champions tricher. "
" Qui c'est qui triche ? Je pue p'têt des pieds mais j'suis pas un tricheur. "
Serraf' baillait.
" N'empêche. Il est plus là. Et moi, il me manque. "
Steno et Beaugosse se sont levés. Les billes sont tombées. Gilles a posé son gribouillis. Ricchi s'est mis à sangloter. P'tit Ol a baissé la tête. Max s'est mis à taper dans les cailloux.
" Ricchi, arrête de chialer. T'es pas une fille ! "
Beaugosse a dégluti :
" Ben moi, j'suis pas une fille et j'ai aussi envie de chialer. "
Mavmav arrêta de tressauter. Il pleurait. De toute façon, il parlait jamais.

Un rayon de soleil est entré dans la ruelle.
Elle me semblait vieillie, encore plus vieille.
Les gamins s'étaient évaporés.
Ils ne restaient qu'un souvenir imaginaire.
J'étais parti depuis tant d'années.
Mais, en vérité, je crois ne les avoir jamais quittés.

Dans une boucle de l'espace-temps immémorial, dans le havre d'une ruelle tranquille, une troupe de marmots braille, ricane, triche, renifle et crache par terre.

J'ai sursauté.
La porte s'est ouverte sans un bruit sur ses gonds huilés.
J'avais toujours pensé que seuls des gnomes musculeux pouvaient actionner sa machinerie rouilée, ou alors les chevaux de Ben Hur, attelés au joug.
Une jeune femme est sortie.
J'ai vu d'abord l'or de ses cheveux, longs et soyeux.
Elle tenait en remorque, par la main un p'tit gars.
Elle s'est arrêtée quelques pas plus loin. Je sentais qu'elle me dévisageait.
Elle est repartie aprés une hésitation.
J'ai respiré à nouveau.

J'allais partir.
Je me suis penché.
Derrière la borne de Serraf', y avait une bille, une cristal.
J'ai tendu la main. Puis j'ai reculé.
Derrière la borne de Serraf', y a toujours une bille, une cristal.
Y en aura toujours une.

Où que vous soyez, mes frères, nous serons toujours une clique, une bande, une troupe, un troupeau, une armée, un cirque.
Nous serons toujours des frères.
Nous serons toujours un rêve rêvé.
Shakespeare avait raison et on le savait pas.

Je suis parti.
Je ne me suis pas retourné.
Rien n'avait changé.
Le monde et son temps avaient glissé autour.

Rue du Portail des Rêves :
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Edited by INFONTE, 20 August 2006 - 10:03 AM.


#2 Salam

Salam

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  • TLPsien
  • 881 posts
  • Location: Hexagone
  • Interests:Ecriture - les Autres

Posted 20 August 2006 - 06:35 PM

Bien écrit et vraiment agréable à lire, vite embarquée et jusqu'au bout portée.




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