Concerto en sol : enterrement classique
Carmen VI: Ruptures musicales
Dans la grande salle aux voûtes dorées, nous occupons les places de biais. Mon regard oblique saisit la présence de quelques masques mélomanes, pâles et livides sous la lumière ennuyeusement tamisée. Alors émerge ma lassitude qui se fixe sur la singularité commune de l'un ou l'autre de ces masques convoqués à l'enterrement classique du toi et moi.
Tu me souris. Toujours ému par ta grâce, je ne te cache pas mon trouble, aussitôt ajournée par le début de mon concerto.
J'observe mon Allegro importun.
Au début un masque aveugle se durcit. Viril, il se crispe en rictus amers. Martialement plissées, les commissures des lèvres martèlent des ordres absurdes à une armée d'ombres spectrales. Le front haut se drape d'orgueilleuses campagnes guerrières et fait mécroire à de mystérieuses séquelles, accentuées par les douloureux arcanes que trahissent de profonds sillons du coin des yeux jusqu'aux tempes dégarnies.
Étonnés des fantaisistes sursauts ennemis, les longs cils arcadiens bien rangés mais en bataille scandent une hypothétique victoire contrecarrée par des tirs en solo d'une canonnière obstinée.
Piano. Le masque se calme, se fige enfin, survivant miraculé qu'une divine quiétude envahit soudain lorsque cessent les tirs solitaires d'archets trop pressés d'en finir, et semble dire à nous mortels :
"Ascendero in caelum, descendero in infernum, sumpsero pennas meas diluculo et habitavero in extremis maris."
Ton immobilité m'inquiète un peu. Je me demande si tu m'aimes encore quand un léger mouvement vers ma puérile agitation me rassure sur tes sentiments toujours présents.
À l'Andante, sous les feuillages blanchis d'un triste automne, les traits d'un autre masque, féminin cette fois, à l'âme clôturée, se noient dans l'appogiature diésée de bois humides, en pensées orphiques, sinueuses caresses aux phrases artésiennes, et coulent en ondes mélancoliques, sourdes et endeuillées.
La paisible et sombre posture des renflements faciaux des joues et des mâchoires interroge et attend l'onction aux bords colorés des lèvres, miellées au centre par quelques sucs sur elles trop passés.
Pas de réponse si ce n'est ce léger frémissement des cavités nasales, interrompu par d'inopportunes méditations insidieusement accordées à d'ultimes soupirs amoureux. Les muscles palpébraux s'entrouvrent brusquement pour une dernière supplique 'melpoménienne' -sursaut 'sa-christique', et semblent vitrifier le regard qu'ils révèlent d'un cri : « Que mon imblocation ici soit faite ! » puis se referment lentement.
Une brusque envie de rire que je dois maîtriser me contraint à fermer les yeux à l'Allegro Presto. Philistin que je suis ! J'entends enfin ma musique. Dans une parfaite déréliction, plus aucune image ne trouble mon écoute. Je deviens à mon tour un de ces masques absurdes et ridicules observés par quelques distraits en mal de dérision.
Ma main rencontre la tienne, glacée comme celle d'une morte. Tu frémis.
Lorsque les sons se taisent, les mains claquent, pâles percussions en écho au silence vidé d'un l'espace orphelin délaissé par mes notes envolées.
Les masques disparus, réapparaît sous la lumière crue l'humanité des visages. Je remarque la pâleur du tien sans vie. Descendero in infernum.
Pour toi je revêtirai les ailes de l'aurore et j'irai nous abriter aux extrémités de la mer.
© Mai 2007
les sentiments
la musique
il y a là l'essence de l'être au milieu de l'univers...
déférence..
Théo