Dix sept heures : le Café Arco
...
Que fais-je là ce soir à Prague la baroque ?
Certes j'aime ses rues ses églises d'époque,
Son palais Wallenstein ses loggias à arcades,
Place 'mala strana', pilastres en façade...
Sous les ponts de Bohème où je suis revenu,
Plus de traces du temps où Vltava courait nue.
Je pense encore à toi, ma douce Ludmila.
Tout semble disparu car toi tu n'es plus là.
Le vent d'hiver ferma tes paupières humides,
Comme une ombre glacée sur toi une chlamyde
Fidèle au rendez-vous vers toi précipitée.
Au café Radetzky tu t'engouffras livide...
Ce temps je l'ai perdu et cette ville est vide.
Au fond de moi aussi l'étrange vacuité.
Je griffonne, fébrile, ses quelques vers sur mon petit carnet rouge.
Il est l'heure. Elle m'attend.
Dix huit heures trente : L'Hôtel Europa
Dos et épaules nus. Décolleté profond jusqu'au creux de tes reins. Lignes pures et racées. Tu es belle il est vrai. Cette robe du soir, en organdi de soie et dentelle noires, délicatement imprimée de petites vandas bleues, sublime ton corps.
Tu babilles futile pour meubler le temps qui nous presse.
" Oh cher ami ! Cet après-midi ! Quel ennui cette exposition ! Tu ne trouves pas ? Je ne comprends rien à ces peintres modernes. Et puis ces noms tchèques… Tu te rappelles, toi ?..."
"Medek... Mikulas Medek...". Je réponds en pensant à une de ses toiles : Den a noc
"Medek? Tiens, presque ton prénom". Ton sourire est moqueur. Tu n'es toujours pas prête.
"Nous allons être en retard". Je lâche, indifférent à ta vénusté dévoilée.
"Oh !...Ces ballets !...C'est toujours la même chose… On donne quoi au fait, ce soir ?"
"Giselle…" (ou les Willis je pense au fond de moi)
"Ah !... Tchaïkovski !"
"Adolphe Adam... en fait Théophile Gautier." Las, je murmure à peine ce nom étranger à ta culture béotienne.
Tu n'entends pas. De toutes façons tu ne comprends rien à la musique et la poésie n'est pour toi que du verbiage inutile.
"Mais que dis-tu ?"
Je n'ai pas le temps, pas l'envie de parler. Des mots dont tu n'as rien à faire...
Autour de toi, les fragrances enivrantes d'un Guerlain que je ne reconnais plus.
Un instant plus tard, dans le hall de l'hôtel, un voiturier souriant me tend la clé : "Your car is ready, Sir ! Good evening, Lady !"… "Many thanks"...
"Ah cher ami, je dois vous dire quelques mots… nous verrons ça tout à l'heure."
Vingt heures : Le Théâtre National
Au début lumières et dorures, lustre monumental accroché sous la voûte, fresques comme un soleil... le rouge des fauteuils.
Rideau ! C'est là que tout commence.
La fin du premier acte approche lentement. Tu glisses entre mes doigts, un petit papier bleu, en deux plié.
Je ne t'aime plus.
Endommageur.
Finis la pantomime, les bourrées à quatre temps. Les danses alourdies des belles villageoises, le vin jeune des vendanges, n'enivrent encore un peu.
Et au milieu, Giselle, puisque je ne vois qu'elle.
Légère elle semble seule s'envoler sur ses pointes. Sans appuis, sans pesanteur, elle recrée l'espace en courtes pulsations d'ailes, comme les battements d'un cœur qui engendrerait la vie.
Tu me tends, agacée, un deuxième bout de papier sur lequel je lis à peine dans la pénombre.
Je vais te quitter.
Le deuxième acte c'est l'acte blanc. Tout le corps de ballet se déchaîne dans un ciel sombre. Elles dansent légères au bord de ma pensée, ces willis en tutu romantique fait de tulle illusion.
Leurs phrases sont aussi longues que mon attente, aussi désespérées que mes larmes.
Où se perd ton regard, Giselle la willi ? Est-ce toi qui effleure les cordes de l'alto qui longuement te pleure ?
Un troisième billet.
Tu ne dis rien ? Tu es perfide !
Point d'orgue.
Et je la vois, telle Sylphide; c'est Ludmila qui me revient de l'au-delà.
[Ecrit à Prague, le dimanche 26 mars 2006]
...
Que fais-je là ce soir à Prague la baroque ?
Certes j'aime ses rues ses églises d'époque,
Son palais Wallenstein ses loggias à arcades,
Place 'mala strana', pilastres en façade...
Sous les ponts de Bohème où je suis revenu,
Plus de traces du temps où Vltava courait nue.
Je pense encore à toi, ma douce Ludmila.
Tout semble disparu car toi tu n'es plus là.
Le vent d'hiver ferma tes paupières humides,
Comme une ombre glacée sur toi une chlamyde
Fidèle au rendez-vous vers toi précipitée.
Au café Radetzky tu t'engouffras livide...
Ce temps je l'ai perdu et cette ville est vide.
Au fond de moi aussi l'étrange vacuité.
Je griffonne, fébrile, ses quelques vers sur mon petit carnet rouge.
Il est l'heure. Elle m'attend.
Dix huit heures trente : L'Hôtel Europa
Dos et épaules nus. Décolleté profond jusqu'au creux de tes reins. Lignes pures et racées. Tu es belle il est vrai. Cette robe du soir, en organdi de soie et dentelle noires, délicatement imprimée de petites vandas bleues, sublime ton corps.
Tu babilles futile pour meubler le temps qui nous presse.
" Oh cher ami ! Cet après-midi ! Quel ennui cette exposition ! Tu ne trouves pas ? Je ne comprends rien à ces peintres modernes. Et puis ces noms tchèques… Tu te rappelles, toi ?..."
"Medek... Mikulas Medek...". Je réponds en pensant à une de ses toiles : Den a noc
"Medek? Tiens, presque ton prénom". Ton sourire est moqueur. Tu n'es toujours pas prête.
"Nous allons être en retard". Je lâche, indifférent à ta vénusté dévoilée.
"Oh !...Ces ballets !...C'est toujours la même chose… On donne quoi au fait, ce soir ?"
"Giselle…" (ou les Willis je pense au fond de moi)
"Ah !... Tchaïkovski !"
"Adolphe Adam... en fait Théophile Gautier." Las, je murmure à peine ce nom étranger à ta culture béotienne.
Tu n'entends pas. De toutes façons tu ne comprends rien à la musique et la poésie n'est pour toi que du verbiage inutile.
"Mais que dis-tu ?"
Je n'ai pas le temps, pas l'envie de parler. Des mots dont tu n'as rien à faire...
Autour de toi, les fragrances enivrantes d'un Guerlain que je ne reconnais plus.
Un instant plus tard, dans le hall de l'hôtel, un voiturier souriant me tend la clé : "Your car is ready, Sir ! Good evening, Lady !"… "Many thanks"...
"Ah cher ami, je dois vous dire quelques mots… nous verrons ça tout à l'heure."
Vingt heures : Le Théâtre National
Au début lumières et dorures, lustre monumental accroché sous la voûte, fresques comme un soleil... le rouge des fauteuils.
Rideau ! C'est là que tout commence.
La fin du premier acte approche lentement. Tu glisses entre mes doigts, un petit papier bleu, en deux plié.
Je ne t'aime plus.
Endommageur.
Finis la pantomime, les bourrées à quatre temps. Les danses alourdies des belles villageoises, le vin jeune des vendanges, n'enivrent encore un peu.
Et au milieu, Giselle, puisque je ne vois qu'elle.
Légère elle semble seule s'envoler sur ses pointes. Sans appuis, sans pesanteur, elle recrée l'espace en courtes pulsations d'ailes, comme les battements d'un cœur qui engendrerait la vie.
Tu me tends, agacée, un deuxième bout de papier sur lequel je lis à peine dans la pénombre.
Je vais te quitter.
Le deuxième acte c'est l'acte blanc. Tout le corps de ballet se déchaîne dans un ciel sombre. Elles dansent légères au bord de ma pensée, ces willis en tutu romantique fait de tulle illusion.
Leurs phrases sont aussi longues que mon attente, aussi désespérées que mes larmes.
Où se perd ton regard, Giselle la willi ? Est-ce toi qui effleure les cordes de l'alto qui longuement te pleure ?
Un troisième billet.
Tu ne dis rien ? Tu es perfide !
Point d'orgue.
Et je la vois, telle Sylphide; c'est Ludmila qui me revient de l'au-delà.
[Ecrit à Prague, le dimanche 26 mars 2006]