Aller au contenu

Photo

Poème pour chefs du personnel


  • Veuillez vous connecter pour répondre
5 réponses à ce sujet

#1 Marc o

Marc o

    Tlpsien ++

  • Membre
  • PipPipPip
  • 323 messages

Posté 27 janvier 2009 - 08:10

" Un vieil homme me demande une cigarette
et je partage avec lui mes deux dernières.
"Je cherche du boulot. Je vais la fumer
au soleil."

C'était un pauvre hère presque en colère
adossé à la mort.
Il faisait froid et les camions
chargés et délabrés comme de vieilles putes
bringuebalaient dans les rues encombrées...

On s'affaissait comme les lattes d'un plancher pourri
tandis que le monde tentait de dégager l'os
qui pesait sur son cerveau.
(Dieu est un endroit solitaire privé de steak.)

Nous sommes des oiseaux qui meurent
Nous sommes des bateaux qui coulent -
le monde s'écrase contre nous
et nous
battons des bras
et nous
battons des jambes
comme le baiser de mort du mille-pattes :
mais ils nous tapent gentiment dans le dos
et appellent notre poison "politique".

Donc, nous fumons, lui et moi - menu fretin
grignotant des amorces de pensées...

Tous les chevaux ne viennent pas,
et pendant que vous regardez les lumières des prisons
et des hôpitaux clignoter,
et les hommes porter des drapeaux avec autant de précautions
que des bébés
n'oubliez pas :

vous êtes un instrument, des boyaux,
un coeur et un ventre, soigneusement conçu -
donc si vous prenez le train pour Savannah,
prenez le meilleur ;
ou si vous mangez du poulet sur un rocher
choisissez un animal bien particulier.
(Vous l'appelez volatile ; moi j'appelle les volatiles
des fleurs.)

Et si vous décidez de tuer quelqu'un
prenez n'importe qui et non quelqu'un :
certains hommes sont faits de composants plus
spéciaux, plus précieux : ne tuez pas
dans ce cas
un président ou un Roi
ou un homme
derrière un bureau -
ceux-là ont de célestes longitudes
de lumineuses attitudes.

Si votre décision est prise
prenez-nous
nous qui attendons, fumons et fulminons ;
nous sommes rouillés de tristesse et
enfiévrés
devant
les échelles brisées.

Prenez-nous
nous n'avons jamais été des enfants
comme vos enfants.
Nous ne comprenons pas les chansons d'amour
comme vos amoureuses.

Nos visages sont du lino craquelé
craquelé sous les pas lourds et assurés
de nos maîtres.

On nous mitraille de fanes de carotte,
de graines de pavot et de grammaire bancale ;
nous gaspillons nos journées comme des merles fous
et prions pour des nuits alcoolisées.
Nos sourires mielleux s'enroulent autour de
nous comme des serpentins :
nous n'appartenons même pas au Parti.

Nous sommes une scène esquissée par
le pinceau blanc terreux de notre Epoque.

Nous fumons, endormis comme des figues dans un bol.
Nous fumons, morts comme le brouillard dans un col.

Prenez-nous.

Un assassinat dans une baignoire
ou quelque chose de rapide et de spectaculaire ; nos
noms
dans les journaux.

Reconnus, enfin, l'espace d'un moment,
devant des millions d'yeux indifférents
qui se réservent
pour ne scintiller et ne s'enflammer que
devant les tristes railleries éculées
de leurs comiques vaniteux, choyés
et convenables.

reconnus, enfin, l'espace d'un moment,
comme ils seront reconnus
et comme vous serez reconnus
par un homme tout gris sur un cheval tout gris
qui caresse une épée
plus longue que la nuit
plus longue que l'épine dorsale douloureuse
de la montagne
plus longue que tous les cris
des bombes atomiques qui ont jailli des gorges
et explosé par erreur dans un autre
pays.

Nous fumons et les nuages ne nous voient pas.
Un chat passe qui expire Shakespeare
dans un souffle.
Suif, suif, chandelle de cire : notre dos
est mou et notre conscience se consume
candidement
la mèche de vie qui reste nous
est comptée.

Un vieil homme m'a demandé une cigarette
et m'a raconté ses ennuis
et voici
ce qu'il a dit :
que cette époque était un crime
que la Pitié ramassait les billes
et que la Haine ramassait la
monnaie.

Il aurait pu être votre père
ou le mien.

Il aurait pu être un satyre
ou un saint.

Mais quoi qu'il fût,
il était condamné
et on a fumé au
soleil
et regardé autour de nous
oisifs
pour voir ce qui nous
attendait. "

C.Bukowski Avec les Damnés.

#2 .ds.

.ds.

    Tlpsien +++

  • Membre
  • PipPipPipPip
  • 3 825 messages

Posté 27 janvier 2009 - 10:31

Oui.

Edit : Mais, ce que nous sommes, à savoir chaque pas, là où nous avançons sans bien savoir pourquoi parfois, n'est-t-il pas tout autant une "entreprise" dont nous sommes le chef ?

Un commentaire de moi, un des plus débile, ou con, au choix...

Tout cela pour dire que chacun ne peut être meilleur ou son contraire. Je crois qu'il est des outrages et des insatisfactions qui ne peuvent se nommer.

Peut-on douter de tout ?

(Merci Marco de poser Buck à la lecture - je ne m'attarde pas davantage ; peut-être devrais-je ?)

#3 LeGénéralAnonyme

LeGénéralAnonyme

    Tlpsien +++

  • Membre
  • PipPipPipPip
  • 672 messages

Posté 28 janvier 2009 - 01:35

c'est un beau poëme

#4 Aksel

Aksel

    Tlpsien +++

  • Membre
  • PipPipPipPip
  • 1 475 messages

Posté 28 janvier 2009 - 01:42

Je dirai même plus: un très beau poème.

#5 Invité_Gallaumar_*

Invité_Gallaumar_*
  • Invité

Posté 28 janvier 2009 - 01:55

Ben ouais, c'est du Bukowski !...
Je suis fan.

#6 Marc o

Marc o

    Tlpsien ++

  • Membre
  • PipPipPip
  • 323 messages

Posté 20 août 2009 - 12:33

" Un vieil homme me demande une cigarette
et je partage avec lui mes deux dernières.
"Je cherche du boulot. Je vais la fumer
au soleil."

C'était un pauvre hère presque en colère
adossé à la mort.
Il faisait froid et les camions
chargés et délabrés comme de vieilles putes
bringuebalaient dans les rues encombrées...

On s'affaissait comme les lattes d'un plancher pourri
tandis que le monde tentait de dégager l'os
qui pesait sur son cerveau.
(Dieu est un endroit solitaire privé de steak.)

Nous sommes des oiseaux qui meurent
Nous sommes des bateaux qui coulent -
le monde s'écrase contre nous
et nous
battons des bras
et nous
battons des jambes
comme le baiser de mort du mille-pattes :
mais ils nous tapent gentiment dans le dos
et appellent notre poison "politique".

Donc, nous fumons, lui et moi - menu fretin
grignotant des amorces de pensées...

Tous les chevaux ne viennent pas,
et pendant que vous regardez les lumières des prisons
et des hôpitaux clignoter,
et les hommes porter des drapeaux avec autant de précautions
que des bébés
n'oubliez pas :

vous êtes un instrument, des boyaux,
un coeur et un ventre, soigneusement conçu -
donc si vous prenez le train pour Savannah,
prenez le meilleur ;
ou si vous mangez du poulet sur un rocher
choisissez un animal bien particulier.
(Vous l'appelez volatile ; moi j'appelle les volatiles
des fleurs.)

Et si vous décidez de tuer quelqu'un
prenez n'importe qui et non quelqu'un :
certains hommes sont faits de composants plus
spéciaux, plus précieux : ne tuez pas
dans ce cas
un président ou un Roi
ou un homme
derrière un bureau -
ceux-là ont de célestes longitudes
de lumineuses attitudes.

Si votre décision est prise
prenez-nous
nous qui attendons, fumons et fulminons ;
nous sommes rouillés de tristesse et
enfiévrés
devant
les échelles brisées.

Prenez-nous
nous n'avons jamais été des enfants
comme vos enfants.
Nous ne comprenons pas les chansons d'amour
comme vos amoureuses.

Nos visages sont du lino craquelé
craquelé sous les pas lourds et assurés
de nos maîtres.

On nous mitraille de fanes de carotte,
de graines de pavot et de grammaire bancale ;
nous gaspillons nos journées comme des merles fous
et prions pour des nuits alcoolisées.
Nos sourires mielleux s'enroulent autour de
nous comme des serpentins :
nous n'appartenons même pas au Parti.

Nous sommes une scène esquissée par
le pinceau blanc terreux de notre Epoque.

Nous fumons, endormis comme des figues dans un bol.
Nous fumons, morts comme le brouillard dans un col.

Prenez-nous.

Un assassinat dans une baignoire
ou quelque chose de rapide et de spectaculaire ; nos
noms
dans les journaux.

Reconnus, enfin, l'espace d'un moment,
devant des millions d'yeux indifférents
qui se réservent
pour ne scintiller et ne s'enflammer que
devant les tristes railleries éculées
de leurs comiques vaniteux, choyés
et convenables.

reconnus, enfin, l'espace d'un moment,
comme ils seront reconnus
et comme vous serez reconnus
par un homme tout gris sur un cheval tout gris
qui caresse une épée
plus longue que la nuit
plus longue que l'épine dorsale douloureuse
de la montagne
plus longue que tous les cris
des bombes atomiques qui ont jailli des gorges
et explosé par erreur dans un autre
pays.

Nous fumons et les nuages ne nous voient pas.
Un chat passe qui expire Shakespeare
dans un souffle.
Suif, suif, chandelle de cire : notre dos
est mou et notre conscience se consume
candidement
la mèche de vie qui reste nous
est comptée.

Un vieil homme m'a demandé une cigarette
et m'a raconté ses ennuis
et voici
ce qu'il a dit :
que cette époque était un crime
que la Pitié ramassait les billes
et que la Haine ramassait la
monnaie.

Il aurait pu être votre père
ou le mien.

Il aurait pu être un satyre
ou un saint.

Mais quoi qu'il fût,
il était condamné
et on a fumé au
soleil
et regardé autour de nous
oisifs
pour voir ce qui nous
attendait. "

C.Bukowski Avec les Damnés.


...