La vieille dame aux anges
à Lise Gervais (1933-1998) Artiste peintre
Une pomme verte pourrit près de la fenêtre
Un réveil matin sonne , affolé , dans une cage d’oiseau
Rien n’est vrai que celui qui regarde
Et Madame Gervais le sait. Tant le mois de mai est gris
Les commères jacassent. Les infirmières s’affairent
Cézanne s’approche de son lit et lui tend un fruit octogonal
Mais elle le rejète avec colère et réclame son sirop d’érable
Ses anges de plâtre lui sourient avec l’air bête de l’inutile
Sous ses paupières labourées une nuit étoilée la berce
Dans la barque sur l’étang de Giverny les parfums du lilas l’enlacent
Sur sa table de chevet, les pinceaux ont frisé et les huiles ont séché
Seule la violette africaine a poussé…
Une brindille de lumière jaune, joue à rouge et à bleu
Sur sa courte pointe, là où l’éternité vient de s’arrêter
Avec un vol d’outardes, hier, Riopelle est venu la voir
Ils ont ri. Ils ont bu. Ils ont parlé de pêche à la truite
Et de cueillette de champignons sauvages
Dans les boisés humides des Laurentides
Et elle avait le regard pâmé devant le plafond tout blanc
Où l’araignée du matin tissait son destin
Le médecin vient de refermer la porte
Ses anciens amants se penchent sur elle
Et tiennent affectueusement ses vieilles mains
Toutes tachées des eaux fortes de la nuit
Cette nuit qui vient délayer dans sa tête
La chaîne infernale des mots
Qui assouvissait son corps à la douleur
Cette nuit qui vient lui enlever ses outils
Et lui rendre la paix de son œuvre
Cette nuit que toute notre vie nous attendons
S’approche d’elle pour lui donner un dernier baiser
Dans la chambre, il fait noir et le ciel est barbouillé dehors…