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#1 Charles Doutuna

Charles Doutuna

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Posté 24 avril 2014 - 06:35

C'était la gorge de la nuit dans toute sa beauté démentielle qui avançait peu à peu , et moi je m'enfonçais jusqu'aux viscères les plus profonds de cette obscurité , tête baissée. Charles

chantait , fredonnait toutes sortes de chansons bizarres sur la vie et la mort ,tandis que je traînais la patte derrière lui.

 

« Où on va ?» lui lançai-je

 

« Qu'importe . Accélère le pas !»

 

Alors j’accélérais , pour arriver à sa hauteur et voir son regard perdu à l'horizon , rêveur certes , mais dont le calme contrôlé me disait toute sa fureur de vivre . Il m'acquiesça un sourire plein de fougue et je ne puis alors que le lui renvoyer .

 

« Crois tu que nous sommes assez ivres?» me demanda-t-il

 

« Je crois qu'on peut l'être encore plus !» lui répondis-je , hoquetant

 

« Oui , mais ivres de quoi au juste?»

 

Ainsi nous arrivâmes à un nouveau bar qui avait l'air un peu miteux , et qui l'était , mais nous pûmes tout de même nous asseoir et savourer une bonne pinte de bière de je ne sais plus quel pays. Au comptoir étaient accoudés une bande de marins à la gueule affreuse ; ça se voyait qu'ils avaient pas dormi depuis longtemps ces gars là , et à en observer leur levé de coude , ils avaient très soif. Un des bougres , le chef de la bande à en croire sa grande gueule , vint se joindre à notre table . Il me regarda droit dans les yeux – il louchait – et moi aussi d'ailleurs- pour me dire avec une gravité solennelle:

 

« Écoutes mon petit , je suis certain que tu bois comme une fillette . Je parie cent balles que fais pas le poids face à moi»

 

Je me retrouvais bien embarrassé moi face à cette brute qui devait faire bien deux fois ma corpulence , et encore une fois c'est Charles qui vint me tirer de l'affaire:

 

« Eh , pépé , je parie moi aussi cent balles que cette nuit tu vas dormir sous la table dans ta gerbe et que j'aurais les poches bien remplies.»

 

Il misèrent leur monnaie sur la table et commencèrent illico leur concours de cul-sec à la Tequila sous les yeux cernés des autres marins qui beuglaient pour encourager leur confrère.Charles ne tremblait pas et semblait déguster chaque millilitres du liquide. Pire encore , en attendant son tour , il trépignait , devant le visage pâle , exaspéré de son adversaire:

«Encore!»criait-il , avec un air plein de malice , déconcertant tout le monde autour de lui.Alors , on lui remplissait encore et encore son verre.

Petit à petit , nous vîmes le marin-en-chef cligner des yeux , puis tousser , vaciller un peu , et lors de ce qui fut sa dernière gorgée , son œil se retourna dans son orbite tandis que son corps s'écrasa par terre - saisi de convulsions , les autres durent l'amener en dehors de l'établissement. C'est dans un silence froid que Charles prit son dû et nous partîmes de ce bar au galop , nous méfiant de possibles représailles.

Le hasard guida ensuite nos pas vers un autre bar , où émanaient musique rock'n'roll et des cris de filles . Notre sang ne fit qu'un tour et le temps d'un claquement de doigt et de vingt roulements de tambours , nous étions en train de danser avec deux jeunes fille – l'une, une blonde aussi rayonnante que neuf soleils, était plus jolie que l'autre , une brune maigrelette au teint pâle et au sourire coincé . Charles les invita à une table avec nous et leur offrit à boire . Les présentations faites , il raconta d'abord l'histoire avec les marins , mais aussi comment il avait eu sa veste , comment il s'échappa de prison au Mexique , comment il s'était fait telle ou telle cicatrice , tout un tas d'histoires invraisemblables mais qui à vrai dire étaient tout à fait passionnantes , si bien que tout l'auditoire , moi y compris , était tenu en haleine le long de son discours – deux ou trois personnes , intriguées , vinrent même se greffer à la table pour l'écouter.Le plus étonnant avec Charles , c'est que je ne savais pas d’où il venait , et ça personne ne le savait ,non , je ne savais pas grand chose sur lui ,sinon que ses parents étaient de pauvres fermiers et qu'il avait fugué à l'âge de 9 ans pour mener une existence différente. Il a ensuite été recueilli comme orphelin par une famille aisée ,grâce à laquelle il avait pu étudier et fut d'ailleurs plutôt brillant; il aurait pu entrer dans une école prestigieuse , mais à 15 ans , il fugua de nouveau , subsistant de petits boulots jusqu'à ce jour. C'est à la bibliothèque que je l'ai rencontré ; alors que je feuilletais l'Odyssée d'Homère , il me donna une tape sur la tête. Ses yeux bleus rieurs se mirent alors à danser devant moi et il me dit qu'il avait de bien plus belles histoires à raconter que cette salade grecque périmée – il me conta alors je ne sais plus quelle histoire farfelue avec une prostituée slave et un cracheur de feu , puis me suivit partout ,vraiment partout , me collant au train sans s'arrêter de parler , et moi je riait , nous allions jusqu'à un bar passer la soirée où il réussit à me conter son histoire sans fin, qu'il poursuivit jusqu'à que j'embrasse mon oreiller et entame ma symphonie orchestrale de ronflements . Il squatta ainsi 3 mois d'affilée chez moi , dans mon minuscule appartement , jusqu'à ce soir là , où nous étions assis à cette table - alors que la jolie blonde buvait ses paroles , il annonça :

 

« Un jour , je serais un grand écrivain !»

 

« Et pour l'instant , tu fais quoi ?» l'interrogea la blonde

 

« Je n'écris pas .»

 

« Ouais , ouais , mais tu fais fais quoi?»

 

« Je vis.Et quand la peur , l'angoisse de la mort se fera trop grande , alors j'écrirais.»

 

« Wow , tu es drôlement sérieux pour ton âge!»

 

Il lui prit la main .

 

« Viens , je vais te montrer quelque chose.» Toute excitée , elle le suivit jusque dans les toilettes , et ils firent ce qu'ils avaient à faire . Pendant ce temps , je restais seul avec la brune . Même si elle ne me plaisait pas trop , j'essayais de lui faire du gringue , seulement moi , je savais pas comment m'y prendre .

 

« Tu sais , la séduction est omniprésente - lui dis-je – on ne peut pas y échapper , tous les rapports humains sont séduction , ainsi ,même les activités culturelles ne servent que de support à la séduction , rares sont les personnages qui transcendant cela , et l'amour, l'amour véritable ainsi doit pour moi s'opposer à toutes formes de séduction , les dépasser , pour mieux en jouer , peut être.»

 

Elle bailla

 

« Pour en venir au fait que le fait que nous soyons tous les deux assis à cette table n'a rien d'anodin …»

« C'est comme ça que tu me dragues?» Me lança telle , désabusée

 

« Oublie . Tu as soif ?»

 

« Ouais.»

 

Nous bûmes alors notre verre , le regard plongé dans la bière , et un mec avec une veste en cuir pourrie vint casser notre infinie solitude-à-deux :

 

« Marie , tu as pas vu Louise par hasard? Ça fait plus d'une heure que je la cherche!»

 

La brune balbutia quelque mots incompréhensibles pour couvrir son amie , mais farce du destin , c'est à ce moment là que Charles sortit victorieux des toilettes , se reboutonnant le pantalon , suivit de la jolie blonde.

 

« Elle suce bien!» Me mima- t-il avec ses lèvres , ses mains et sa bouche.

 

« Louise??? Qu'est ce que tu foutais avec ce mec?» gueula le mec à la veste en cuir

 

« Chéri , t’énerve pas , je peux tout t'expliquer»

Lui supplia la blonde , mais c'était trop tard . Son «mec» s'était jeté sur Charles . Il tombèrent les deux aux sols , se livrant une lutte féroce: Charles saisit une bouteille et la cassa sur le crâne de son vis à vis, le laissant à terre . La blonde cria à la vue du sang qui commença à couler. A ce moment précis , la bande de marin rentra dans le bar – et quelque chose me disait qu'ils n'étaient pas venu là pour boire une bière.

 

«Ou est ce fils de pute?» Gueula l'un d'eux .

 

Je me retournais mais Charles avait filé en douce dehors où je le rejoignis ,et nous courûmes sans nous arrêter plusieurs centaines de mètres avant de nous arrêter au milieu d'un pont. Il me prit l'épaule d'une ferme poigne:

 

« C'est ici que nos chemins se séparent , va l'ami , on se retrouvera!»

 

« Quoi? Mais les marins arrivent , tu vas te faire botter le cul!»

 

« T’inquiète , j'ai un plan . Ils ne m'auront pas.»

 

« Je te fais confiance pour ça . Mais pourquoi pars tu si tôt? Et où vas tu?»

 

« Je ne sais pas ou j'irai ; je me laisserais porter par le vent. Mais je dois partir . Tu sais , les gens fantasment l'inconnu , et ils se lassent de tout ce qu'il croient connaître. Si je reste trop longtemps , les gens vont s'habituer à moi , et je vais finir par les ennuyer ; alors je pars avant qu'il ne soit trop tard .»

 

« Qu'est ce qui arrêtera ton vagabondage?»

 

« L'amour , peut être?»

 

Les marins mirent fin à notre discussion et formèrent rapidement un arc de cercle autour de Charles , tranquillement accoudé à la balustrade du pont . J'eus à peine le temps de m'enfuir en courant. Mais moi , je ne les intéressait pas . C'était lui qu'ils voulaient . Au loin , j 'aperçus la silhouette de Charlot qui cria : «HASTA LA VISTA» , puis il sauta du pont haut d'une quinzaine de mètres avec tout son culot , sitôt suivit d'un PLOUF et des cris des marins . J'étais loin , mais je pouvais encore entendre son rire , son rire enfantin transpercer l'air comme une flèche ivre , et alors je riais moi aussi . Il nageait vers de nouveaux horizons, imaginaires ou pas , où il aspergera à coup sûr tout le monde de sa superbe folie créatrice . Peut être le reverrais-je un jour , qui sait ?

Moi , je marchais alors , pour rejoindre ma réalité ,avec mon appartement rempli de solitude narquoise . Le soleil , se levant peu à peu , découvrait la scène des ébats nocturnes avec stoïcisme , ainsi que ma mine horrible : Je m'arrêtais un instant , ayant une subite envie de dégueuler , mais qui disparu aussitôt pour mieux revenir plus tard. Je plissais les yeux pour voir quelque chose, en remontant très lentement l'avenue menant chez moi . Le passé me faisait face.